[Assassinat de Thomas Sankara] 34 ans après, des journalistes d’investigation africains à son Mémorial

[Assassinat de Thomas Sankara] 34 ans après, des journalistes d’investigation africains à son Mémorial

15 octobre 1998-15 octobre 2021. Cela fait 34 ans que des éléments de la sécurité présidentielle, dirigée à l’époque par Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré, assassinait froidement Thomas Sankara au Conseil de l’Entente à Ouagadou (Burkina-Faso). Des journalistes d’investigation africains se sont rendus à son Mémorial là, où il a été zigouillé.

Abidjan, le 15-11-2021 (crocinfos.net) 15 octobre 1998-15 octobre 2021. Cela fait 34 ans que des éléments de la sécurité présidentielle, dirigée à l’époque par Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré, assassinait froidement Thomas Sankara au Conseil de l’Entente à Ouagadou (Burkina-Faso). Des journalistes d’investigation africains se sont rendus à son Mémorial là, où il a été  zigouillé.

Plus de 200 ans journalistes d’investigations venus de 15 différents pays, invités par la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo), lors de la 9e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (FILEP) ont fait un tour au Mémorial dédié à cette illustre personnalité, le samedi 13 octobre 2021 pour voir, écouter, toucher et mieux comprendre sur place ce qui s’est réellement passé ce 15 octobre 1998.

Sous un soleil caniculaire de 36 degrés à l’ombre, Luc Damiba, le secrétaire général du Comité international du Mémorial Thomas Sankara a entretenu les journalistes.

Thomas Sankara voulait épargner un drame, mais…

Nous avons immortalisé notre passage au Mémorial, le 13 octobre 2021.

L’on retiendra que ce 15 octobre aux environs de 16h, il y a 34 ans, Thomas Sankara tenait une réunion avec ses hommes au Conseil de l’Entente, dans une salle du bâtiment « Burkina ». Thomas Sankara a transformé ce siège appartenant à cinq pays (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Benin, le Niger et le Togo) à celui du Conseil national de la Révolution (CNR).

Thomas Sankara arrive dans sa R5 noire, « un peu de retard », selon Luc Damiba. Il est en tenue de sport – il porte un survêtement rouge -, car le jeudi est jour de « sport de masse ». Il vient de s’asseoir. Alouna Traoré, qui rentre de mission du Bénin, prend le premier la parole. À peine a-t-il commencé que des tirs retentissent. « De la salle, Thomas Sankara et les autres entendent des tirs nourris. Ils ne savent pas  qu’un groupe de militaires a pris position autour du bâtiment où la réunion se tient », rappelle notre interlocuteur.

Après avoir abattu froidement les gardes du corps de Thomas Sankara, sa garde rapprochée, le commando intime l’ordre à ceux de l’intérieur de la salle du bâtiment « Burkina » de sortir. Thomas Sankara ne sait pas qu’il poussait ses derniers souffles sur la terre des Hommes. « Sortez ! Sortez ! Sortez ! », crient les assaillants à ceux qui sont dans la salle. L’heure est grave, Thomas Sankara sait maintenant qu’il va mourir, mais il veut aller seul : « Ne bougez pas, c’est de moi qu’ils ont besoin », lance Thomas Sankara en se levant. Aussitôt, il est froidement abattu sur le perron de la salle de réunion. Avec lui, tous ceux qui étaient dans la salle seront éliminé un à un en sortant de la salle.

Alouna Traoré est le dernier à sortir de la salle, il est aujourd’hui le seul survivant dont témoignage fait le tour de la presse et des médias. « Je suis allé me coucher parmi ceux qui avaient déjà été abattus », raconte-t-il au confrère de RFI. Puis il entend l’un des assaillants : « Y a un qui n’est pas mort, il faut le conduire dans la salle – [où l’on avait conduit d’autres membres du CNR, NDLR]. » Il le suit, pensant que sa dernière heure a sonné. « J’ai simplement demandé à celui qui m’escortait la permission d’uriner, après quoi je me disais que le temps était arrivé pour moi de partir. Mais non ! Il m’a poliment conduit à une salle où j’ai retrouvé certains collègues du Conseil de l’entente. Nous sommes restés dans la salle toute la nuit. Puis le matin, tout bonnement, on nous a demandé de rentrer chez nous. »

Ces assassins ont le sommeil trouble

Le secrétaire général du Comité international du Mémorial Thomas Sankara, Luc Damiba (de profil), fait revivre les instants de l’un des pires crimes de sang au Buurkina Faso aux visiteurs

Trente ans après, selon RFI qui l’a rencontré. Alouna Traoré ne sait toujours pas pourquoi il a été épargné ce jour-là. Il a fait plusieurs dépressions nerveuses. Il est marqué à jamais. Dans les différentes interviews qu’il a données à la presse, le rescapé n’a pas toujours donné les mêmes détails sur ce qui s’était passé ce jour-là. Il sait que son témoignage a été remis en question par certains. « Je suis un humain. Imaginez-vous l’émotion ! » Mais s’il reconnaît « quelques variances », comme il dit, il insiste sur l’essentiel : « Thomas Sankara a été abattu, assassiné les mains en l’air. Je dis bien les mains en l’air. Je m’en tiens au fait. »

En tout, treize personnes ont donc été tuées ce 15 octobre. Thomas Sankara, cinq participants à la réunion, cinq gardes : Emmanuel Bationo, Abdoulaye Gouem, Wallilaye Ouédraogo, Hamado Sawadogo et Noufou Sawadogo ; Der Somda, le chauffeur de Thomas Sankara ; et un gendarme, Paténéma Soré, venu distribuer un courrier, qui a également trouvé la mort ce jour-là.

Aujourd’hui, Le Mémorial Thomas Sankara est devenu un lieu de pèlerinage. Le secrétaire général du Comité international du Mémorial Thomas Sankara, Luc Damiba, fait revivre les instants de l’un des pires crimes de sang au Buurkina Faso aux visiteurs.

Ces vérités révolutionnaires résonnent encore dans la mémoire collective. La tour Sankara de 87mètres (en confection), une bibliothèque, une esplanade de 2000 places, ainsi que d’autres infrastructures sur 3ha 800 m2 viendront achever de convaincre que Thomas Sankara reste vivant.

34 ans après, les coupables courent toujours, le général Gilbert Diendéré rejette en bloc les quatre chefs d’accusation retenus contre lui : « Je ne vais pas assumer ce que je n’ai pas fait. »

La nuit de ces criminelles est, pour sûr, hantée. Ils ne vivent en paix. Ces demi-dieux d’hier sont réduits à leur simple expression. Il n’est même pas sûr qu’après leur mort le monde entier se souvienne d’eux. Peut-être que là encore, grâce à Thomas Sankara, des journalistes, des chercheurs et des écrivains s’intéresseront à eux, mais un degré très moindre.

Sériba Koné, envoyé spécial à Ouaga

 

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