[Conflit foncier à Subiakro] Tensions autour du lotissement

[Conflit foncier à Subiakro] Tensions autour du lotissement

Depuis 2020, un conflit foncier divise Subiakro, près de Yamoussoukro. Le projet de lotissement Bouquinville, initialement porteur d'espoir pour les habitants, est entaché de tensions entre propriétaires et promoteurs. Une enquête de "L'Enquêteur" éclaire les rivalités et les espoirs de résolution.

Abidjan, le 11 novembre 2024 (crocinfos.net) – Depuis 2020, un conflit foncier agite le village de Subiakro, proche de Yamoussoukro. Ce village, divisé en trois quartiers (Subiakro, Anokro et Broukro), avait pour projet de lotir 750 hectares, espérant apporter la prospérité aux familles et propriétaires terriens. Cependant, des discordes autour de la gestion du projet ont rapidement éclaté, provoquant des tensions et des ruptures au sein de la communauté.

Une vue du lotissement querellé de Subiakro

En 2020, après 17 ans de tergiversations, les propriétaires terriens décident de lancer le lotissement de leurs parcelles. Kouassi Konan, surnommé “Bouquin”, lui-même propriétaire terrien, est choisi pour diriger le projet. Pour renforcer l’équipe, Bouquin fait appel à Amemon Brou Faustin, un capitaine des douanes, comme opérateur du lotissement. Ce dernier engage l’expert en bâtiment Ayatto Yapi Odilon Narcisse, dont la société, Ayatto Entreprise, est chargée des travaux topographiques. Le processus semble ainsi bien encadré : les responsabilités et les parties de chacun sont établies, et le projet prend apparemment forme avec la création d’un “comité de gestion du lotissement de Bouquinville”, présidé par Bouquin.

Luttes de pouvoir autour du projet de lotissement

Cependant, le chef du village, Kouassi Koffi Élysée, refuse de soutenir l’initiative, se retirant ainsi du projet. Les propriétaires terriens, déterminés à mener à bien le lotissement, suivront les démarches administratives sans l’approbation du chef. Finalement, en 2020, le site est approuvé pour le lotissement après que les documents sont validés par le ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, avec l’assistance du géomètre agréé Kouamelan Ahoulou Joseph.

Mais le projet connaît un premier obstacle lorsque Kouassi Konan dit Bouquin découvre qu’Amemon Brou, en tant que douanier, n’est pas habilité à effectuer ce type de travail. Afin de garantir le respect des procédures, un accord est signé avec Kouamelan Ahoulou pour assurer une conformité stricte aux exigences légales. En dépit de ces précautions, les difficultés s’accumulent : en 2020, après l’obtention de l’approbation de lotissement, des techniciens non identifiés, envoyés par Amemon Brou, font irruption sur le site pour effectuer des travaux. Bouquin envoie une lettre à Amemon Brou, datée du 12 février 2020, dénonçant ces interventions non autorisées, qui gênent le bon déroulement des travaux.

Fac-similé du contrat entre Kouassi Konan ‘’Bouquin’’ et l’opérateur

Les tensions s’intensifient lorsque des individus munis de conventions signées par Amemon Brou, en dehors de l’accord initial avec Kouassi Konan ‘’Bouquin’’, apparaissent sur le site, revendiquant des droits sur les terres. Dans sa correspondance, Bouquin exige fermement qu’Amemon Brou respecte les engagements pris avec le comité des propriétaires terriens. Face à l’escalade, Amemon Brou se rend sur place avec une arme pour intimider les propriétaires, incitant Bouquin à porter plainte pour menace de mort auprès du tribunal de Toumodi. Toutefois, cette plainte ne sera pas suivie d’effet, et le conflit continue de s’aggraver.

Devant la situation tendue, le chef du village, qui jusqu’alors s’était tenu à l’écart, sollicite l’intervention de l’ancien sous-préfet de Yamoussoukro, Kessa Godo. Ce dernier, dans une résolution datée du 7 avril 2021, reconnaît Amemon Brou comme l’unique promoteur du lotissement, bien que sa légitimité soit contestée par les propriétaires terriens. La résolution soutient également Ayatto Yapi en tant que technicien du projet, mais stipule qu’Amemon Brou est responsable de reprendre les attestations villageoises initialement signées par lui, Bouquin et le géomètre Kouamelan Ahoulou. Ces documents doivent désormais être contresignés par le chef du village et les chefs de famille pour être valides.

Ce dernier développement marque un tournant dans le conflit foncier à Subiakro, où le pouvoir et les intérêts personnels continuent de diviser la communauté. Les habitants, déchirés entre espoir et défiance, observant avec inquiétude ce projet de lotissement, qui, au lieu de leur offrir un avenir meilleur, ne cessent de ravir les rivalités et de menacer la paix sociale.

Une résolution jamais respectée

En 2021, la querelle foncière continue à Subiakro entre des propriétaires terriens, représentés par Kouassi Konan ‘’Bouquin’’, et Amemon Brou, promoteur du projet Bouquinville. Une résolution, supposée pacifier les parties, est décidée, mais le chef de terre local met en place un comité parallèle, destituant Bouquin, accusé de malversations. Bouquin riposte en saisissant le tribunal de Toumodi pour contester la légitimité d’Amemon Brou, qui répond en saisissant la Cour d’appel de Bouaké. La Cour décide de renvoyer les deux parties vers un conseil d’arbitrage, comme le prévoit l’article 5 de la convention initiale.

Malgré cette directive, un comité parallèle dirigé par Kouamé Koffi Dieudonné commence à distribuer des attestations foncières, provoquant la colère de plusieurs propriétaires fidèles à Bouquin. Ces derniers crient à la spoliation, affirmant que les décisions sont prises sans leur consentement. Le 7 décembre 2021, les propriétaires dénoncent publiquement la destitution de Bouquin lors d’une conférence de presse. Des représentants de la communauté expriment leur désarroi face à l’appropriation des terres par Amemon Brou, qu’il accuse de manipuler le processus pour ses intérêts.

En parallèle, les propriétaires affirment que les parcelles attribuées ne respectent pas les droits qui leur reviennent et demandent que Bouquin reste à la tête de la gestion foncière. Le conflit est porté devant la justice, et Amemon Brou, accompagné de son partenaire Kegnan Kouamé Alexis, soumet des guides d’attribution au ministère de la Construction, qui ne font qu’aggraver les tensions. Certains propriétaires, avec l’aide de leur avocat, saisissent le ministère pour geler le traitement des ACD (Arrêté de concession définitive) concernant Bouquinville.

Le ministère de la Construction pour une solution définitive

En janvier 2023, un sursis est accordé, suspendant provisoirement le projet. Cependant, pour lever cette suspension, une délégation comprenant Amemon Brou et plusieurs représentants locaux rencontrent le ministère de la Construction. Ce dernier envoie alors une mission d’inspection menée par MM. Gui Benoit et Goris à Yamoussoukro pour apaiser les tensions. Le 21 juin 2023, lors d’une réunion à la préfecture, des propositions sont formulées autour de quatre points principaux : une révision de la répartition des lots, l’absence de procès-verbaux de partage, l’opacité autour des guides d’attribution, et la contestation d’un plan parcellaire de 2013, contesté par Dieudonné.

Une vue du village de Subiakro

L’inspecteur général Gui Benoit rappelle que la convention initiale reste en vigueur, conférant trois lots sur dix au promoteur, et critique les pratiques d’Amemon Brou et de Dieudonné, dénonçant une absence de transparence. Le géomètre expert Kouamelan Ahoulou Joseph accuse Amemon Brou de ne pas avoir respecté ses engagements malgré un procès-verbal rédigé en mai 2020. M. Brou aurait refusé de financer les travaux du géomètre, préférant confier cette tâche à Delbé Zahiri Narcisse, de la Direction de la Topographie, pour faire valider les allégations de Kouamé Koffi Dieudonné, ce dernier affirmant que le plan réalisé par l’équipe de M. Yapi en 2013 était erroné. Cependant, M. Zahiri n’a pas pu produire le résultat souhaité, laissant la situation dans une impasse.

Les inspecteurs constatent qu’au lieu de procès-verbaux authentifiant le partage des lots, M. Kouamé Koffi a uniquement produit des attestations distribuées sans consensus avec les autres propriétaires. Le guide d’attribution des lots, élaboré par Kegnan Kouamé Alexis à l’insu des propriétaires et approuvé par le chef du village, a été déposé à la direction régionale, accentuant la discorde.

Les propriétaires, toujours désunis, dénoncent la dépossession de leurs terres au profit d’un promoteur qu’ils jugent protégé par des relations influentes. Bouquin, soutenu par d’autres propriétaires, réagit en s’opposant fermement à l’enregistrement des guides d’attribution et des attestations dans le cadre des quatre tranches de Bouquinville, dénonçant publiquement une gestion foncière opaque et irrégulière. Bouquin rappelle aussi qu’une opposition avait déjà été déposée en juillet 2021 au ministère, accusant Amemon Brou de contourner la résolution du sous-préfet et de vendre des parcelles en dehors de tout accord collectif.

Cette affaire témoigne des pratiques contestées dans la gestion des terres et une résistance accumulée de la part des propriétaires contre les méthodes employées par le promoteur. Le ministère de la Construction reste impliqué dans la recherche d’une solution définitive, alors que le fossé entre les parties continue de s’élargir, et que les propriétaires crient toujours à la spoliation.

Une enquête réalisée par L’Enquêteur

[Encadré 1]

Quand le corps préfectoral fait fi de l’arrêté ministériel sur le partage des lots

Le jeu trouble du corps préfectoral dans cette affaire, c’est surtout le fait de s’appuyer sur un avenant qui ne fait pas foi. Une affaire où ceux qui ont signé l’avenant au contrat qui a conduit à l’approbation du lotissement, ne sont pas ceux qui ont signé le contrat. Amemon Brou et ses amis ont réussi à mettre à l’écart le sieur Bouquin en l’accusant de malversation sans jamais en apporter les preuves. Pendant que le vieux Bouquin était devant les tribunaux pour prouver son innocence, Amemon et ses camarades avec la complicité de certaines autorités de la ville de Yamoussoukro à qui ils ont promis monts et merveilles, ont réussi à berner les autorités préfectorales avec un avenant biaisé.

A la question de savoir pourquoi ceux qui ont signé le contrat ne sont pas ceux qui ont signé l’avenant, le Préfet de région de Yamoussoukro qui dit ‘’s’insurger contre l’implication du ministère de la Construction dans un conflit foncier lié au partage de lots à Subiakro’’, nous a répondu que c’était ‘’des détails’’.

En relisant le rapport qu’il nous a lui-même remis sur ce conflit, nous nous sommes aperçus que l’approche du litige par le sous-préfet central de Yamoussoukro est différente de celle de la justice et de l’analyse faite par Alexandre Kouamé ex-directeur de cabinet du ministre de la Construction. Dans ce rapport, le sous-préfet affirme que le litige se trouve entre les détenteurs de droits coutumiers. A la justice on parle de litige entre les détenteurs de droits coutumiers, le promoteur du lotissement et les auteurs techniques.  Cette décision de la justice qui ressort bien évidemment du sursis d’Alexandre Kouamé.

Et pourtant on aurait pu faire l’économie de toutes ces interprétations, si l’arrêté N ° 200 / MCLAU / DGUF / DDU / IGB du 20 février 2014 du ministère de la Construction instituant le Procès-Verbal de Partage des lots issus des lotissements approuvés à l’initiative des communautés villageoises avait été appliqué en son Article 3 :

« Le Procès-Verbal de Partage des Lots est établi sous la supervision d’un Agent Assermenté du Ministère chargé de la construction et de l’urbanisme en vue de la prise de l’Attestation Domaniale.

La copie originale du procès-verbal est transmise aux responsables des services déconcentrés du Ministère chargé de la construction et de l’urbanisme ainsi qu’au Préfet de la circonscription administrative concernée. L’opération de partage peut être constatée par voie d’huissier ».

A la vérité, le corps préfectoral n’en a cure de cette disposition et ne compte pas lâcher prise. ‘’Yamoussoukro étant un havre de paix, nous ferons tout pour préserver la paix. Si nous sentons que l’application une décision de justice peut troubler l’ordre public, nous allons faire en sorte qu’elle ne doit pas appliquée. Nous en avons les moyens. Et c’est ça notre rôle (….)’’, a prévenu monsieur Yeo sous-Préfet central de la capitale politique de la Côte d’Ivoire.

L’Enquêteur

[Encadré 2]

Les explications de Amemon Brou initiateur et financier du projet

Dans l’objectif de recouper et d’équilibrer nos information, nous avons envoyé via whatsApp un courrier à Amemon Brou l’initiateur et le financier de cette opération afin qu’il nous donne sa part de vérité dans cette affaire. Voilà de larges extraits de sa réaction à notre courrier le 16 septembre 2024 par whatsApp.

«Bonjour monsieur DOSSO, je m’appelle AMEMON Brou Faustin, financier et initiateur du lotissement dénommé « Bouquinville». Je suis très honoré par votre courrier me témoignant l’intérêt que vous accordez à la situation qui prévaut sur le site. En effet, monsieur DOSSO, ce dossier de lotissement a fait couler beaucoup d’encres et de salives que je vais me permettre de vous faire l’économie. Cependant, pour plus de clarté dans la recherche des informations fiables et sincères, je souhaite que vous vous rapprochiez des autorités compétentes de la ville de Yamoussoukro en charge du règlement de ce problème. J’ai cité le corps préfectoral de ladite ville. Veuillez recevoir, monsieur le Directeur, l’expression de la considération.

Toutes mes excuses, je sors de la messe. Je vais vous mettre en contact avec mon avocat pour toutes informations. Je vous remercie pour votre compréhension.

Sauf votre respect, pouvez-vous me dire la personne qui vous a mandaté pour ce travail ?

Pour votre information, nous sommes devant les tribunaux pour le règlement de ce malentendu. La justice a choisi des arbitres à cet effet. Monsieur, je souhaite que vous vous rapprochiez d’eux pour faciliter votre procédure. Aussi, le Ministère de la Construction, du logement et de l’Urbanisme est, également, saisi. En somme, vous avez plusieurs sources d’informations à vous disposition.

Je pense bien qu’une personne vous a contacté pour le travail. Vous ne vous êtes pas autosaisi du dossier (…) Je constate que vous êtes bien informé sur la personne. Vous n’êtes pas un me médium pour lire dans un verre de cristal. Dites-moi tout simplement la personne qui vous a mandaté. Je suppose qu’il aura tes frais alloués à cette investigation. Je veux la responsabilité de chacun. Monsieur, j’ai trop souffert pour ce lotissement. Comprenez-moi. Ne vous fatiguez pas, je suis à l’ENA et je bénéficie d’un congé bien mérité d’un mois. Voyez-vous que vous n’êtes pas sérieux. Est-ce qu’on fait le bonheur de quelqu’un contre son gré ? Votre travail est loin d’être impartial (…) Comme le masque est tombé, dites-moi qui est derrière cette investigation de trop (…) Mais monsieur, vous venez, ouvertement de me menacer déposer votre courrier auprès de la direction, chose que je vous autorise. S’il vous plaît, je n’ai plus rien à vous dire. Je vous remercie».

Malgré toutes ces réponses du sieur Amemon lors de nos échanges, nous avons néanmoins déposé un courrier auprès de son avocat maître Doumbia. À son cabinet sis à Cocody-Aghien.

L’E.


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