Quatre ans après l’attentat de la plage de Grand-Bassam, la Côte d’Ivoire est de nouveau touchée par une attaque terroriste. Dans la nuit de mercredi à jeudi, une position des forces ivoiriennes, située dans le nord-est du pays, à quelques deux kilomètres de la frontière du voisin burkinabé, a été assiégée par un groupe armé, causant la mort d’une dizaine de soldats. Le Dr Arthur Banga, chercheur en histoire des stratégies militaires apporte son analyse au micro de notre correspondant à Abidjan.
RFI : Un poste mixte de l’armée et de la gendarmerie ivoirienne a été attaqué tout près de la frontière avec le Burkina Faso, une dizaine de morts et six blessés d’après le chef d’état-major. Une attaque en sol ivoirien avec un si lourd bilan ce n’était pas arrivé depuis l’attentat de Grand-Bassam en 2016.
Arthur Banga : Oui, évidemment… C’est la deuxième fois que la Côte d’Ivoire est frappée en quatre ans, mais il y a quand même une différence d’approche. Autant à Bassam, on a senti une opération longuement préparée et minutieusement préparée. Là c’était une opération en réaction, qui a utilisé des moyens plutôt traditionnels, une façon d’opérer plutôt classique, qui a consisté à encercler un poste isolé et pouvoir imposer le combat avant l’arrivée des renforts. Une tactique classique que l’on peut voir dans les pays du Sahel, ce qui montre quand même que ce n’est pas tant la puissance de projection qui était recherchée, mais une façon de marquer les esprits et de réaffirmer sa position après l’opération conjointe menée par l’armée ivoirienne et burkinabè.
Justement, cette attaque a eu lieu dans la zone de Kafolo, trois semaines après une opération antiterroriste menée conjointement par les armées ivoiriennes et burkinabè pour déloger les jihadistes ayant trouvé refuge en territoire ivoirien. L’attaque de la nuit de mercredi serait donc la réponse de ces groupes armés ?
D’abord, il faut comprendre que les jihadistes qui opèrent dans le Sahel sont un peu en perte de vitesse dans cette zone, la mort de Droukdel le montre. Ils ont essayé de se répartir plus au Sud. Ils ont déjà touché le nord du Bénin il y a quelque temps, et là, le sud du Burkina depuis un moment et pourquoi pas le nord de la Côte d’Ivoire, dans leur volonté d’expansion. Et d’amener les armées ivoiriennes et burkinabè à coopérer, à œuvrer et à les bombarder il y a quelques semaines. Tout le monde se doutait que les jihadistes allaient vouloir répondre et montrer qu’ils sont encore présents dans la zone. Je pense que logiquement c’est ce qui s’est passé.
Mais on parle quand même d’une réponse seulement trois semaines, un peu moins d’un mois après l’opération. Qu’est-ce que cela dit, justement, de l’efficacité de ces opérations anti-jihadistes, même conjointes, contre les armées des deux pays ?
On va aller dans une bataille qui sera longue, qui est déjà longue. Depuis au moins 2011, le Sahel est enflammé par ces jihadistes. De toute façon, les jihadistes, dans leur conception territoriale, n’ont pas de limites. Ce n’est pas parce que vous ne réagissez pas, qu’ils ne vont pas vous attaquer. Donc cela ne change pas grand-chose.
Vous faisiez justement référence à l’enlèvement, l’an dernier, dans le nord du Bénin, de deux touristes français et de l’assassinat de leur guide par des groupes armés, visiblement venus du Burkina, là aussi. Suite à cela, l’armée de terre ivoirienne lançait l’opération « Frontière étanche » qui permet de renforcer la protection des frontières par la présence militaire. Cette opération donne-t-elle des résultats ?
Si l’on veut juger l’efficacité des opérations contre les terroristes et les jihadistes par leur silence total, aucune opération ne serait efficace. Comme je le dis, c’est une guerre longue, une guerre perpétuelle qui va nécessiter beaucoup de courage et beaucoup d’innovation. Je pense que c’est bien fait, c’était plutôt bien de mener des opérations pour essayer de sanctuariser le nord de la Côte d’Ivoire qui était sous la menace incisive. Au contraire, les représailles d’aujourd’hui montrent qu’il faut continuer les efforts qui ont été opérés pour renforcer les équipements, la mobilité de nos armées et la coordination avec les armées voisines, voire les armées internationales qui sont présentes dans le secteur.
L’an dernier encore, le président ivoirien Alassane Ouattara proposait la création d’un G5 des pays du golfe de Guinée, tels que le Ghana, le Bénin ou le Togo, entre autres, afin d’appuyer la lutte antiterroriste du G5 Sahel et de la Minusma, et surtout, de faire barrage à la vague jihadiste qui s’approche de plus en plus de la côte. Est-ce que cette idée fait son chemin dans la sous-région ?
Déjà, la Côte d’Ivoire est vraiment engagée dans la coopération internationale et sous-régionale contre le terrorisme. Il y a l’initiative d’Accra, qui permet de coordonner les renseignements, il y a l’opération « Comoé » qui montre les relations bilatérales… Mais je pense qu’au lieu de créer des comités Adhoc à chaque fois, il faut donner plus de sens à la Cédéao, à son comité de défense. Cette idée de renforcer la coopération, l’institutionnaliser, même dans nos pratiques militaires, je pense que c’est quelque chose de fondamental pour pouvoir répondre à la menace. Parce que, comme je le disais, la menace terroriste n’a pas de frontières. Il ne faudrait pas que la réponse ait des frontières.
Est-ce que l’on peut parler d’un risque jihadiste terroriste à l’intérieur même des terres ivoiriennes et dont les agents seraient des Ivoiriens ?
De toute façon, il faut être vigilant. Parce que, pour prospérer, les terroristes ont toujours besoin de soutiens internes, de gens qu’ils vont convaincre, soit en surfant sur la religion, sur certaines idéologies, ou en surfant sur la pauvreté, sur les divisions… Et donc ils vont chercher des terreaux propices pour pouvoir diffuser et évangéliser à leur conviction pour être plus efficaces sur le territoire. Le territoire de la Côte d’Ivoire est déjà dans l’œil du cyclone et ils vont continuer à infiltrer, à essayer d’avoir le maximum de personnes possible. Il faut s’y attendre. Il faut se préparer en conséquence, en travaillant déjà sur des projets de déradicalisation, de lutte contre la radicalisation, mais aussi de lutte contre les inégalités et les injustices sociales.
Avec RFI
Le titre est de la rédaction