[Côte d’Ivoire] Ce que deviennent les victimes de la mutinerie des forces spéciales d’Adiaké

[Côte d’Ivoire] Ce que deviennent les victimes de la mutinerie des forces spéciales d’Adiaké

Aucune visite de compassion du gouvernement et des élus aux deux blessés

Pardon, nous vous demandons pardon en tant que vos fils, car ce qui est arrivé ici à Adiaké, nous ne l’avons pas voulu.” C’est en substance le message, lancé par le commandant Ouattara Djakaridja dit Djakiss des ‘’Frci-Kossovo’’, à l’endroit des populations locales le 15 juin 2011, dans la salle des fêtes de la mairie d’Adiaké. Et d’ajouter: “la guerre est terminée et les Frci se veulent les amis de toutes les populations.” Des propos disponibles sur le site de la mairie : http://www.mairieadiake.org.

Les forces spéciales se mutinent à Adiaké. Ph. Archives

Six ans après, le message semble être tombé dans des oreilles de sourds. En effet, les soulèvements des forces spéciales basées dans cette région, située à plus de 90 km d’Abidjan et à une cinquantaine de km d’Aboisso, Chef-lieu de la région du Sud-Comoé ont fait officiellement deux blessés.

Trahissant leur engagement de 2011, les militaires ont troqué leur treillis et la discipline chers à leur corporation avec l’insoumission aux ordres de la hiérarchie à Adiaké les mardi 07 et mercredi 08 février 2017. Conséquence de cette anarchie: un adolescent de 12 ans, Naloaté Kouamé et dame Adingra ont reçu des balles perdues.

Si l’adolescent affichait un sourire le samedi 04 mars 2017, lors de notre passage, ce n’est guère le cas de la seconde victime qui affiche toujours le visage pâle, triste et le regard lointain et interrogateur. En effet, elle souffre encore d’intenses douleurs du fait d’une balle qui est toujours logée dans sa cuisse.

Fait notable, les deux victimes n’ont reçu jusqu’ici la visite d’aucun membre du gouvernement encore moins d’un élu d’Adiaké. Les parades faites dans la ville par les militaires, à bord de pick-up, en tirant des coups de feu en l’air ont malheureusement eu raison des deux victimes sus-citées.

Plus d’un mois, après ces événements, le jeune adolescent de 12 ans, non scolarisé, commence à jouer avec les enfants de son âge. La cuisse gauche encore bandée, il recouvre progressivement la santé. Seulement, Naloaté Kouamé ne peut pour le moment accompagner son père pour des travaux champêtres et continue de recevoir des soins “de la part des militaires à la maison.”

En effet, le diagnostic et l’examen clinique du Dr Koné Bakary de l’Hôpital général d’Adiaké, fait le mardi 07 février 2017, première journée du soulèvement des mutins révèlent qu’il a pris une balle dans “la face de la cuisse antérieure gauche, sans lésion osseuse.”

Le jeune adolescent de 12 ans, Naloaté Kouamé (la cuisse bandée) et son aîné,Naloaté Arouna le porte-parole. Ph. S.K.

Le même constat a été fait par Dr Abo Guy Sosthène de la clinique médicale danga (Cocody) deux jours plus tard à Abidjan le jeudi 09 février 2017, où la victime est prise en charge par le gouvernement. “Traumatisme balistique (cuisse gauche)”, peut-on lire sur la fiche de sortie de Naloaté Kouamé qui a été hospitalisé du jeudi 09 au lundi 13 février.

La fiche de sortie de Naloaté Kouamé

En absence de son géniteur, Naloaté Niwalingué, cultivateur, son frère aîné, Naloaté Arouna, qui s’exprime mieux en français nous reçoit. “Mon frère a pris la balle dans la cuisse ici même dans la cour de la maison”, indique le jeune élève. Le porte-parole, âgé de 16 ans, élève en classe de 2nd C, au Lycée Municipal d’Adiaké nous rassure de l’engagement du gouvernement, quant à la prise en charge des soins de son jeune-frère. “Autant vous dire que mon père n’a reçu aucune enveloppe de la part de l’État. Par contre, je vous rassure que des militaires viennent à domicile, pour s’occuper de mon frère”, indique notre interlocuteur.

À ce jour comme geste de compassion, la famille de l’adolescent n’a reçu que “100.000 FCFA, offerts par les militaires.” “Nous savons que le maire a organisé une marche de pardon, mais la famille n’a reçu la visite de personne”, précise Naloaté Arouna.

Au quartier Agnikro II où réside la seconde victime âgée de 29 ans, le cas de Mme Adingra Annick est encore préoccupant. Elle a reçu une balle perdue à la cuisse gauche au quartier Agnikro I où elle aidait sa mère, dame Akouba Mireille Ahoua, à faire de l’attiéké (couscous à base de manioc). Le diagnostic fait par le même docteur de l’Hôpital général d’Adiaké révèle “une plaie punctiforme de la cuisse gauche par arme à feu.”

Les victimes n’ont reçu que la somme de cent mille FCFA chacun des militaires

Très affectée et éprouvée par la douleur dans cette partie charnue du corps, c’est avec beaucoup de peine que dame Annick Adingra, est parvenue à s’asseoir sur une chaise, pour s’entretenir avec nous. Selon sa génitrice, elle passe beaucoup de temps allongée sur une natte tout au long de la journée, parce que la balle est encore logée dans sa cuisse. “Elle préfère la position allongée pour calmer le mal”, explique sa génitrice, Akouba Mireille Ahoua.

Dame Adingra Annick soouffre d’une balle logée dans sa cuisse. Ph. S.K

Le regard hagard, les yeux légèrement fermés, signe de douleurs qui la rongent, Mme Annick Adingra sort sa fiche médicale sur laquelle elle a été hospitalisée à la même date que l’adolescent de 12 ans, à la clinique médicale danga. Les  résultats cliniques révèlent effectivement qu’elle a eu “un traumatisme balistique.

Les effets des douleurs atroces se confirment, car elle a un rendez-vous le 29 mars 2017, à 11h avec Dr Samba Koné. Cependant, la fiche n’explique pas, si c’est pour extraire la balle ou pas. Tout comme Naloaté Kouamé, elle n’a eu contact avec aucun membre du gouvernement. “Nous n’avons rien reçu comme compassion de la part du gouvernement, mais nous sommes pris en charge. C’est vrai que j’ai arrêté le commerce que je faisais avec ma mère, mais nous prions pour que je recouvre la santé”, souhaite-t-elle.

“L’incident est clos”. Ce sont les termes utilisés par le ministre ivoirien chargé de la Défense, Alain Richard Donwahi après la mutinerie des militaires des forces spéciales d’Adiaké. Après le retour au calme, le général Touré Sékou et le commandant Lassina Doumbia sont allés en délégation avec les mutins pour faire amende honorable auprès de la chefferie traditionnelle, les élus et les autorités administratives de la région.

La fiche de sortie de dame Annick Adingra. Ph. S.K.

L’on se rappelle encore qu’en lieu et place d’une visite de compassion aux deux victimes, le député-maire d’Adiaké, par ailleurs DG du Port autonome d’Abidjan, Hien Sié, avait préféré une marche populaire le samedi 11 février 2017. Invitant la population de cette localité à sortir pour dire “non” aux troubles qui ont semé l’émoi en leur sein.

Sur la question de visite de compassion, élus et gouvernement restent sans voix. La ministre de la Solidarité, de la Femme et de la Protection de l’Enfant, Mme Mariatou Koné et le député-maire d’Adiaké ont opposé un refus de répondre à nos préoccupations. “Nous pensons que l’essentiel est fait”, semblent résumer les proches des personnalités sus-citées qui ont requis l’anonymat. “N’oubliez pas que c’est un “dossier sensible”, donc personne ne pourra se prononcer sur les questions que vous posez si ce n’est le gouvernement lui-même”, coupe court un conseiller municipal.

Au total, loin des discours et de “pardon”, des militaires et autres, le jeune Naloaté Kouamé et la dame Adingra Annick demeurent les plus grosses victimes du mouvement d’humeur des forces spéciales.

Sériba Koné envoyé spécial à Adiaké

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