Publié le : 27 juin 2017 à 7 h 16 min
Quand des élèves sèment l’horreur à Dioulé
-‘’On mange pas élèves”, selon les élèves du lycée moderne, Lambert Dan Zoumanan de Logoualé
Les élèves instigateurs de ces expéditions meurtrières sont les supposés chasseurs de sorciers et semblent se dédouaner devant les accusations dont ils sont l’objet. Dans cette seconde publication de l’enquête : Sur les traces des “crimes” des lycéens autoproclamés chasseurs de sorciers, les élèves se cachent-ils derrière des vols, incendies de biens, pillages…sous le prétexte de chasseurs de sorciers?. Au point où, quand l’un des leurs perd la vie, la famille éplorée est prise pour cible et désignée comme sorcière? Au plan médical, les réponses à ces interrogations sont ailleurs.
Au centre de santé urbain (CSU) de Logoualé, le chef du laboratoire d’analyses médicales, interprétait le 5 février 2017, ‘’ une absence d’agglutinines O et H : pas de fièvre typhoïde’’ et ‘’ une goutte épaisse positive avec densité parasitaire 380 trop/µl de sang.’’
Malheureusement, Dika Bleu Marcel ne prendra jamais les médicaments prescrits après l’analyse, car il rendra l’âme le 6 février aux environs de 11 heures, au moment où son oncle s’est rendu avec l’ordonnance à la pharmacie. « Les derniers médicaments prescrits par le médecin sont restés entre mes mains, quand j’ai reçu la mauvaise nouvelle », raconte l’oncle du défunt, Bleu Jean, avec beaucoup de peine et d’amertume.
Autant affirmer que le mardi 7 février 2017, avant les obsèques de l’élève Dika Bleu Marcel, inscrit en classe de 1ère, originaire du village de Dioulé, les causes de sa mort était, au moins connues. Cependant, les élèves du lycée moderne, Lambert Dan Zoumanan de Logoualé sont arrivés aux environs de 10 h, par petits groupes, par véhicules et par motos-taxis, nourrissant des intentions autres que celles de compatir à la douleur de la famille éplorée.
Le visage badigeonné en noir, les élèves (plus de 800 selon le témoignage du chef de comité du village) armés de gourdins, de barres de fer, de machettes, d’armes blanches et de pierres affichaient de mauvaises intentions. Les ingrédients d’une descente punitive suivie d’horreur dans cette localité située à près de 7 km de Logoualé étaient réunis. À la différence des autres villages, la phrase pour traduire le motif de ce mouvement d’une violence extrême est encore visible au charbon sur le mur de la maison contiguë au lieu où le défunt a été enterré: ‘’On mange pas élèves (Ndlr: On ne mange pas élèves.)”, ont-ils signé pour traduire leurs intentions.
C’est dans l’une des quatre maisons de la cour familiale rendue en gravats que le corps de Dika Bleu Marcel repose à jamais. Pour son enterrement, son corps fut « bétonné » dans du ciment coulé dans la tombe le même jour par les élèves. Ce, après que les élèves ont volé cinq barres de fer à béton (n°8), trois paquets de ciments, du sable et des chevrons sur le chantier de la maison en construction de Tia Jules Venance.
Seuls et maîtres du village, ces gamins ont pillé les biens de la famille, en général et la garde-robe de la mère du défunt, en particulier. Dans une logique de violence ‘’sans limite’’, une nouvelle moto de marque KTM a été incendiée, les derniers médicaments destinés au soin du défunt emportés ainsi que toute la volaille du village (plus de 500), et extorsion de fonds aux vendeurs (boutiquiers et autres commerçants du village).
Voilà le sombre visage que présentait le village de Dioulé après le passage musclé des élèves du lycée de Logoualé. « Personne ne pouvait les arrêter parce qu’ils étaient nombreux (environ 800 élèves) et très excités. Certains villageois ont tout abandonné pour se cacher en brousse. Ils étaient tous sourds à ce qu’on leur disait», témoigne le chef de comité du village, Gueu Gilbert.
Au commandement de la brigade de la gendarmerie de Logoualé, Ouonguin Bossis Bell est fiché dans plusieurs rapports, selon notre source. « Son nom est dans tous les rapports dans lesquels il y a des mouvements d’élèves ; ces documents sont transmis au greffe de Man », explique-t-il. Après l’enquête menée par la gendarmerie et celle des enseignants appuyées par le rapport de l’administration du lycée, les faits accablent certains élèves. Ouonguin Bossis Bell, Kambou Kevin et Oulé Pierre en classe de 1ère A, ainsi que Bleu Siméon de la classe de 1ère D, sont identifiés comme « les instigateurs».
Des sanctions jugées ‘’faibles’’. Le lundi 13 février, avant la transmission du rapport au directeur régional de l’Education nationale et de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle (Drenetfp) de Man, un conseil de discipline s’est réuni au bureau du proviseur, Vehi Teh Diomandé. La rencontre a enregistré les présences du corps professoral, des membres de l’administration, du président des parents d’élèves, membre du conseil de discipline, Diomandé Jean-Baptiste et, surtout des élèves Ouonguin Bossis Bell et Kambou Kevin, ainsi que de certains élus.
Après l’exposé des faits par l’éducateur des classes du niveau 1ère, rapporteur de la mission de Dioulé, les élèves ont affirmé devant le conseil de discipline avoir reçu l’autorisation du proviseur. « Ayant reçu l’autorisation de M. le proviseur, nous avons levé des cotisations d’un total de 13.000 FCFA auprès de nos camarades. Nous savions que le proviseur était en déplacement à Man, mais on ne pouvait pas attendre parce que l’enterrement avait lieu ce même jour», peut-on lire dans le rapport administratif.
À la préoccupation de savoir qui a enterré le corps, les accusés ont répondu par ce qui suit: « Lorsqu’on arrivait à Dioulé, il n’y avait aucun parent ; alors nous avons enterré notre camarade et nous sommes revenus à Logoualé.»
En effet, le premier responsable du lycée s’est rendu tôt, le matin du mardi 7 février (jour des dégâts à Dioulé) à la Drenetfp de Man pour y rencontrer le directeur, Kouassi Kra. Il attendait que les élèves qui ont décidé de compatir à la douleur de la famille éplorée lui fasse le point des cotisations levées afin qu’ils soient accompagnés par certains enseignants. « J’étais en plein échange avec M. le directeur quand j’ai été informé que le lycée s’était vidé», explique le proviseur.
«J’attendais que Ouonguin Bossis Bell et ses camarades reviennent me faire le point pour que l’administration désigne des encadreurs pour les accompagner aux obsèques, mais ils ne sont plus revenus », ajoute-t-il
Au terme des discussions, le conseil a exclu « pour trois jours fermes» , les élèves Ouonguin Bossis Bell, Kambou Kevin, Oulé Pierre et Bleu Siméon. Mieux, les parents dont les enfants ont été reconnus comme instigateurs des troubles ont signé un engagement de « radiation de l’établissement et la réparation de tous les actes de vandalisme en cas de récidive ou d’autres comportements répréhensibles ». Aujourd’hui, la sanction infligée aux élèves fauteurs de troubles est diversement interprétée. Certains parents la jugent ‘’faible’’ et proposent ‘’la radiation’’.
Sur la question, le directeur régional de l’Education nationale et de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, basé à Man, Kouakou Kra donne sa part de vérité : « Tout ce que l’école pouvait faire, c’est de sanctionner les fautifs selon le règlement intérieur. Maintenant, concernant les dégâts commis dans un village, c’est une affaire civile. »
À Dioulé, lorsque Goué Oulaï, greffier au Tribunal de première instance de Yopougon (au moment des faits) et fils du village a appris lesdits événements, il s’est rendu au village, et a constaté par lui-même, les dégâts causés par les élèves. Ainsi, Bleu Rosalie et Bleu Jean (famille du défunt) ont porté plainte contre « Ouonguin Bossis Bell et autres » , le 13 février 2017, au bureau du procureur de la République près le Tribunal de Man « pour destruction volontaire de bien meubles et immeubles avec préméditation, vol, et menaces de mort ». Le soit-transmis est à la brigade de gendarmerie de Yopougon « pour enquête complète ». Cinq mois après, jusqu’à ce que nous mettions en ligne cette enquête « Les investigations se poursuivent et nous sommes dans l’attente des résultats », a indiqué le greffier.
Le confrère, Zio Moussa, fils de Dioulé, lui, a décidé d’élever une stèle à la mémoire de Dika Bleu Marcel. Quant aux chasseurs de sorciers, ils vaquent librement à leurs occupations en attendant, probablement, un autre cas de décès d’un des leurs pour sévir de nouveau.
Sériba Koné envoyé spécial à Logoualé
kone.seriba67@gmail.com
Encadré 1
Un groupe d’élèves organisés dans l’Ouest
Plus d’une semaine (13 février) après les signatures conjointes d’engagement des parents et élèves, le nom d’Ouonguin Bossis Bell est cité dans un autre rapport relatif à un mouvement de grève du 22 février 2017. Ce jour-là, les cours ont été interrompus et le directeur régional de l’Education nationale et de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle de Man, Kouakou Kra a demandé un rapport.
Outre, Ouonguin Bossis Bell, d’autres élèves venus des autres lycées et collèges de Logoualé dont Dion Doh Ange du collège Sarhaoum de Man et un certain Anicet venu de Guiglo ont été appréhendés par le proviseur, Veh Teh Diomandé. Ils ont été conduits au commandement de la brigade de gendarmerie, pour une garde à vue. Par conséquent, le proviseur ne saura jamais pourquoi les élèves qu’il a conduit au commandement de la brigade de gendarmerie ont été ‘’libérés’’ par l’adjoint du commandant ? « Mais, grande a été ma surprise quand ils ont été purement et simplement relaxés par le commandant de brigade-adjoint, sans aucune explication », s’indigne le proviseur.
Par ailleurs, il reconnaît avoir mis fin aux activités de délégué de Ouonguin Bossis Bell pour ce qui suit : « Au lycée moderne, Lambert Dan Zoumanan de Logoualé, seuls les chefs de classes représentent les relais entre les élèves, les professeurs et l’administration. Voilà pourquoi, nous avons décidé de mettre fin à son mandat de délégué. »
Il précisera, par ailleurs, que le fait d’être parmi les élèves qui sont arrivés à son bureau pour une levée de cotisation afin d’apporter la compassion à une famille éplorée ne signifie pas qu’il est reconnu comme « délégué. » « Toutes les sanctions sont prises en conseil de discipline et non de façon personnelle», a-t-il fait savoir.
S.Koné envoyé spécial à Logoualé
Encadré 2
Le ver est dans le fruit
Pendant le congé de Pâques, nous avons rencontré Ouonguin Bossis Bell, dans son village à Yapleu, le 12 avril aux environs de 19h. Une localité située à une vingtaine de km de Logoulaé. Celui qui est pointé du doigt à chaque mouvement de trouble est un gamin flegmatique, élancé (environ 1,80 m), qui parle peu. En revanche, l’accusé a un regard fixe, fascinant, pénétrant, un visage serein.
« J’ai toujours dit que les gens sont contre moi. Pourquoi le proviseur ne vous a-t-il pas dit qu’il m’avait démis après mon élection en tant que délégué ? » nous a-t-il lancé avant de se renfermer dans un mutisme dédaigneux. N’est-ce pas là, le complexe de la culpabilité de tout criminel?
Son père, Ouonguin Jeannot, enseignant à la retraite, répondait aux interrogations en abondant dans le même sens que son fils. « C’est un coup monté contre mon fils. Il n’est plus délégué à ce titre, il ne peut pas être à la tête d’un groupe », a-t-il coupé court.
À l’en croire, il a accepté de signer l’engagement, pas parce que son « fils est fautif, mais pour le maintien de la paix au sein de l’établissement« . La crise entre le groupe d’élèves fauteurs de troubles et l’administration, ainsi que le corps professoral est profonde. Les parents d’élèves ont déjà du mal à apprécier le comportement de leurs enfants pour qui ils ont pris des engagements. Et l’esprit de la violence rôde dans certains établissements de l’Ouest, d’où des élèves font mouvement vers Logoualé.
Sériba K. envoyé spécial à Logoualé
kone.seriba67@gmail.com