Pourquoi les incendies ravagent-ils les marchés et les inondations emportent-elles des maisons dans les quartiers pauvres ? La faute à l’imprévoyance des autorités et au fatalisme des habitants.
Le marché de Bromakoté, un sous-quartier d’Adjamé, à Abidjan, a pris feu le 19 juin, occasionnant la mort d’une personne. À notre grande surprise. Comme tous les incendies qui ravagent régulièrement nos marchés. Que voulez-vous ?
Comment pouvons-nous savoir que lorsque l’on construit un marché de mille places et que l’on laisse deux mille personnes ou plus s’y installer, il y a danger ? Qui est venu nous expliquer, dans nos différentes langues, qu’il ne faut pas faire de branchements électriques anarchiques dans les marchés, faire du feu entre les tables, obstruer les bouches d’incendie ? Qui a expliqué à nos autorités, maires, préfets, responsables de la protection civile et autres qu’ils doivent régulièrement inspecter les marchés pour s’assurer que les normes de sécurité sont respectées ? Quelles normes de sécurité d’ailleurs ? D’où vient cette expression ? Après donc la pluie qui nous surprend régulièrement, chaque année, à peu près aux mêmes dates, c’est au tour du feu de nous surprendre tout aussi régulièrement sur nos marchés ou ailleurs.
Nous sommes cependant des gens qui ne se laissent pas abattre pour si peu. Demain, nous reprendrons nos places dans ce même marché de Bromakoté, lorsqu’il aura été reconstruit, nous nous comporterons exactement comme nous le faisions et personne ne viendra nous dire de changer. Pourquoi changer ? Ainsi sommes-nous fabriqués, ainsi nous resterons. Noir, c’est noir ! Et nous attendrons que le prochain incendie vienne nous surprendre. Quand on veut sortir du sous-développement, on ne se laisse pas distraire pour si peu.
Ce n’est d’ailleurs pas le premier incendie de marché que nous connaissons dans ce pays. Quel marché de ce pays n’a pas pris feu au moins deux fois ? Ainsi donc sommes-nous. Imprévoyants, inconséquents, fatalistes, incapables de nous projeter dans le futur, pour tout dire, inconscients et irresponsables.
“Tout est entre les mains de Dieu”, disons-nous. En oubliant que ce dieu nous a dotés d’un cerveau qui, s’il est utilisé à bon escient, peut nous permettre d’éviter bien des désagréments dans la vie. Mais apparemment, nous refusons de l’utiliser, préférant nous en remettre à la fatalité. Chaque fois que nous posons un acte, nous refusons d’en voir toutes les conséquences. Est-il si difficile de savoir, par exemple, qu’en obstruant les égouts d’un quartier on prend le risque de les voir déborder en cas de pluie ? Ou que l’on risque un court-circuit qui peut entraîner un incendie lorsque l’on fait des branchements électriques anarchiques ? Savons-nous aussi que le rôle des autorités est de protéger les citoyens, parfois contre eux-mêmes ?
Installations anarchiques
Diriger un peuple, ce n’est pas le laisser passivement faire tout ce qu’il veut, même tout ce qui est contre l’intérêt général. Pendant de longues années, nous avons laissé une partie de notre population s’installer anarchiquement sur le bord de mer à Abidjan, sur la route de Grand-Bassam. Au-delà des problèmes esthétiques et environnementaux que cela posait, il y avait régulièrement des maisons emportées par la montée des eaux et des morts d’hommes. Une autorité a fini par y mettre le holà.
Toutes les constructions anarchiques ont été rasées et nous prenons aujourd’hui plaisir à circuler sur cette voie en regardant la mer, même si nous savons qu’une telle décision a plongé de nombreuses familles dans la détresse. Cette même autorité devrait aussi être capable d’engager les travaux qu’il faut afin que nos différents quartiers ne soient plus inondés durant les saisons des pluies et que nos marchés ne partent plus régulièrement en fumée. Cela est tout à fait possible.
Paris est devenu Paris, c’est-à-dire l’une des plus belles villes du monde, parce qu’il y eut un certain [baron Georges Eugène] Haussmann [1809-1891] qui y traça de grandes avenues, en détruisant des milliers de maisons. Abidjan est l’une des plus belles villes d’Afrique. Mais elle ne le restera que si nous nous comportons en gens responsables ayant une vision et étant capables d’anticiper. À la suite des inondations, certains internautes se sont amusés à comparer un quartier de Koumassi à Venise. Mais la vérité est que de nombreuses familles vivent de vrais drames lors des saisons des pluies.
Quelqu’un qui connaît bien la question nous a expliqué que le problème de ce quartier, tout comme celui d’autres quartiers, ne serait résolu qu’en détruisant de nombreuses maisons qui n’auraient pas dû être construites là où elles l’ont été. Aurons-nous le courage de le faire au nom de l’intérêt général ?
Source : Fraternité Matin