Le taux de chômage en Côte d’Ivoire est-il compris entre 70 et 90% comme l’a annoncé la Banque africaine de développement (BAD) ? Africa Check a vérifié cette statistique récemment reprise par un quotidien.
Le quotidien ivoirien Notre Voie (proche de l’opposition), dans sa version imprimée du mardi 13 mars 2018, rapporte que le taux de chômage en Côte d’Ivoire se situe dans une fourchette comprise entre « 70 % et 90 % », citant la Banque africaine de développement (BAD).
Un lecteur a contacté Africa Check pour suggérer de vérifier cette statistique.
Nous avons cherché les preuves de cette affirmation.
D’où vient cette information ?
Africa Check a contacté l’auteur de l’article, Edmond Gomond, qui a dit s’être appuyé sur le rapport rendu public le 12 mars au siège BAD à Abidjan. C’était au cours du lancement de l’édition 2018 de ‘’Perspectives économiques en Afrique’’, ainsi que la réponse Marie-Laure Akin-Olugbadé, directrice générale adjoint de la BAD, chargée de l’Afrique de l’Ouest, à certaines préoccupations des journalistes.
Sur quoi le rapport s’est-il basé ?
Solange Kamuaga-Tossou du département de la communication et des relations extérieures de la BAD a confirmé à Africa Check l’information et joint à notre requête la page dans laquelle la réponse a été tirée.
«Les informations données par Mme Marie Laure Akin-Olugbade (…) sont extraites du rapport Perspectives économiques de l’Afrique de l’Ouest présenté à Abidjan le 12 mars dernier », a-t-elle dit.
Dans son intervention, elle faisait référence à la page 25 dudit rapport, qui souligne que « la part cumulée des emplois vulnérables et des chômeurs dans la population active a atteint un pic d’environ 90 % au Bénin et au Niger en 2016. Elle a varié entre 70 % et 90 % en Côte d’Ivoire, en Gambie, au Ghana, au Mali, au Sénégal et au Togo», a ajouté Solange Kamuaga-Tossou.
«La source de ce document est ILOSTST 2016 et Statistiques de la BAD », a-t-elle précisé.
Qu’en dit le ministère de l’Emploi ?
Mais ces chiffres sont loin de ceux du ministère en charge de l’emploi. Le ministre de la Jeunesse, de l’Emploi des jeunes et du Service civique Sidi Tiémoko Touré, invité de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI) a dit que «le taux de chômage selon le BIT est la part de la main d’œuvre des personnes sans emplois à la recherche d’un emploi et qui sont disponibles pour occuper un emploi ».
Sidi Tiémoko Touré a souligné que «le chômage est apprécié à partir de 3 critères forcément cumulatifs, donc en l’absence d’un seul critère on ne peut pas parler de chômage ».
Ainsi, le taux de chômage en Côte d’Ivoire « est en baisse depuis 2012, où il se situait à 6,1 %. Il s’est établi à 5,3 % en 2014 puis à 2,8 % en 2016», avait précisé M. Touré, démentant des chiffres selon lesquels le chômage toucherait environ 76% des Ivoiriens.
Il a conseillé d’éviter «de confondre emplois et emplois salariés ». Selon lui, « un taux calculé sur la base d’une enquête ou de personnes ayant répondu ‘’non’’ à un questionnaire ‘’exercez-vous un travail salarié ?’’ Ne saurait être considéré comme étant un taux de chômage ».
«Selon l’enquête nationale sur la situation de l’emploi du secteur informel 2016 qui a été menée en Côte d’Ivoire, l’emploi salarié représente 24,1% de la population à l’emploi », a-t-il fait observer.
En outre, un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), intitulé «Emploi et questions sociales dans le monde-Tendances 2018», mentionne que « le taux de chômage qui était de 3,9 % en 2000, n’a cessé de baisser jusqu’à atteindre 2,6 % en 2016 ».
Les différents chiffres « se justifient »
Ulrich Djè, administrateur principal du travail et des lois sociales, a déclaré à Africa Check que ‘’les chiffres communiqués par le ministère de l’Emploi des Jeunes, l’OIT et la BAD se justifient ».
«L’Etat de Côte d’Ivoire et l’OIT s’appuient sur les trois critères du chômage des personnes en âge de travailler, de la disponibilité à travailler et la recherche active d’un emploi. Un échantillonnage est donc fait sur une certaine période pour déterminer le taux de chômage. Les chiffres communiqués par le ministère et l’OIT sont conformes aux résultats des enquêtes menées sur la base de ces critères », a-t-il expliqué.
«Les chiffres de la BAD viennent de la remise en cause des critères utilisés’’, constate Ulrich Djè. En effet, poursuit-il, « dans des économies fortement informelles comme les nôtres, une grande partie de la population n’est pas prise en compte quand on applique les critères désormais universels de l’OIT ».
‘’Comment capitaliser les personnes disponibles et effectivement à la recherche d’un emploi dans la nébuleuse de l’informel ? Les chiffres présentés par la BAD doivent s’interpréter dans ce sens’’, selon Ulrich Djè pour qui ‘’90 % de notre économie échappe au système légal, parce qu’étant dans l’informel’’.
Conclusion : le chiffre est fondé mais…
Un journal proche de l’opposition a récemment annoncé que le taux de chômage est compris entre 70 et 90 % en Côte d’Ivoire, citant un haut responsable de la BAD.
A la lumière des données disponibles, le chiffre relayé par le journal est bel et bien fondé sur un rapport de la BAD. Le même chiffre est appuyé par l’OIT.
Mais Ulrich Djè, administrateur principal du travail et des lois sociales, en Côte d’Ivoire, a confié à Africa check que les chiffres communiqués par le gouvernement, l’OIT et la BAD «se justifient’’ tous. Il précise toutefois que « dans des économies fortement informelles comme les nôtres, une grande partie de la population n’est pas prise en compte quand on applique les critères désormais universels de l’OIT ».
Les différents chiffres sont basés sur des critères qui ne sont pas identiques. En conséquence, nous estimons que le chiffre est correct mais les bases de calcul varient d’une organisation à une autre.
Recherché par Seriba Koné édité par Assane Diagne pour fr.africacheck.org