En 2016, le gouvernement du Président Ouattara a pris une décision pour le moins salutaire, qui fixait le nombre de mois de caution et d’avance de loyer, respectivement à 2 et 1 mois. Cette décision longtemps attendue, du fait de l’anarchie et le laisser-aller longtemps observés dans le secteur de l’immobilier, a été accueillie par la majorité des Ivoiriens avec enthousiasme et soulagement. Malheureusement, la mesure n’a guère prospéré, car comme bien d’autres décisions prises par le gouvernement, (notamment celle portant interdiction de fumer dans les lieux publics ou encore celle interdisant les sachets), elle n’a jamais connu un début d’application. D’ailleurs, pour avouer l’impuissance du gouvernement face au non-respect de cette mesure, Monsieur Bruno Koné, Ministre et porte-parole du gouvernement, répondant aux questions des journalistes, avait affirmé que cette mesure risquait fort bien de «tuer le secteur». Face à une telle réponse déconcertante, on est poussé à s’interroger si le gouvernement avait vraiment pris le soin de préparer et de mûrir cette décision ?
Un an après, soit le 12 juillet 2017, le gouvernement remet le couvert avec un projet de loi relatif au bail à usage d’habitation. Ce projet de loi fixe le nombre de mois pour la garantie locative (caution) à 2 et celui des avances de loyer à 2 également. Au passage, il est prévu des sanctions contre tous les contrevenants. Faut-il en rigoler ou en pleurer? Toujours est-il que la décision semble avoir l’adhésion de nombreux Ivoiriens qui voient là une alternative à l’épineux et complexe problème de logement en Côte d’Ivoire.
Mais si les locataires, qui réclament depuis belle lurette que les différents gouvernements se penchent sérieusement sur cette question préoccupante, peuvent raisonnablement pavoiser, qu’en est-il de la situation des propriétaires?
La situation méconnue des propriétaires immobiliers
Ils sont bien nombreux les Ivoiriens qui portent un regard peu amical sur les propriétaires immobiliers. Ces derniers sont vus comme des personnes méchantes, sans cœur, des hommes et des femmes vénaux, dépourvus de sentiment et de la moindre compassion. Ces perceptions prégnantes dans l’imagerie populaire, ne sont, à la réalité, que de malheureux préjugés qu’on colle à la peau de ces braves hommes et femmes qui, au prix de multiples sacrifices et privations, contribuent à l’économie nationale dans un secteur d’activité difficile et concurrentiel. En effet, pour enviable que pourrait paraître la situation des propriétaires immobiliers, il n’en demeure pas moins que dans la réalité, ils vivent des situations que personne -et surtout pas le locataire-ne veut ni comprendre, ni analyser avec objectivité. Or, il suffit de franchir la barrière et faire une incursion dans l’univers du propriétaire, pour découvrir l’envers du décor, fait de problèmes et d’injustices de toutes sortes. Ce sont entre autres:
-L’indélicatesse de nombreux locataires, mauvais payeurs qui accumulent des arriérés de loyers;
-Des locataires qui laissent les maisons dans un état lamentable et que le propriétaire est obligé de remettre en état à ses frais;
-Les ardoises des factures de CIE et SODECI que les locataires laissent aux propriétaires;
-Les nombreux frais d’huissier engagés par les propriétaires dans l’optique de vider le locataire indélicat;
-Les mises en demeure de la justice au locataire qui s’étendent sur 3 mois au moins;
-La lenteur de la justice dans la délivrance des avis d’expulsion des locataires indélicats;
-La justice qui ne contraint pas le locataire en cause à rembourser les arriérés de loyer dus;
-Les impôts fonciers qui ne tiennent pas compte de l’évolution de la situation des loyers durant l’année fiscale en cours;
-La situation particulière des baux administratifs que l’État peine à honorer, contraignant les propriétaires à patienter de longues et pénibles années;
-Le coût excessif des terrains;
-La longueur et la lenteur des procédures administratives (titres fonciers, permis de construire…);
-Le coût des matériaux de construction qui ne cesse de grimper d’années en années, malgré les bonnes et récurrentes déclarations du gouvernement.
Comme on peut le voir, la situation des propriétaires immobiliers confirme bien l’adage qui enseigne que « les apparences sont souvent trompeuses». En effet, bien loin des poncifs dont on les accable, la situation des propriétaires, à quelques rares exceptions près, reste peu reluisante. Elle est même déplorable, au regard de la panoplie des problèmes rencontrés et des retours sur investissement qui demeurent bien trop maigres, comparativement à l’importance des sommes investies, très souvent grâce à des prêts bancaires.
Comment sauver le secteur?
Le secteur de l’immobilier en Côte d’Ivoire, c’est peu dire, connaît une véritable crise, du fait de la convergence de plusieurs facteurs: la diminution de l’offre locative du fait du manque ou de la faiblesse des investissements étatiques, l’augmentation anarchique du prix des loyers, le manque d’uniformité au niveau des conditions de location (contrat de bail), la grogne récurrente des locataires qui se sentent abandonnés par les pouvoirs publics, l’injustice flagrante et multiforme à l’égard des propriétaires, le manque de confiance entre locateurs et locataires, le laxisme et le silence complice des autorités (gouvernement, justice), la non-application des dispositions en vigueur dans le domaine locatif…
Aussi, serait-il opportun de créer une Régie du Logement, une sorte de guichet unique, réunissant diverses compétences, aussi bien des représentants des locataires et propriétaires, des agents du ministère de la justice que du ministère en charge de l’habitat. La mission d’une telle structure serait de conseiller, recevoir et régler, sur la base des textes en vigueur, toutes les questions et contentieux liés au logement.
C’est à ces conditions, et dans le respect scrupuleux des intérêts des différentes parties, que sera instauré, dans le milieu immobilier, un climat de paix pérenne. Sinon, on aura beau prendre des décisions, fixer des règles et normes, brandir des menaces et sanctions, mais aussi longtemps que le propriétaire aura le sentiment que ses intérêts ne sont pas protégés face à des locataires de plus en plus indélicats, irresponsables et peu soucieux du bien privé, il appliquera difficilement les lois.
Sériba Koné