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[Côte d’Ivoire/Présidentielle du 31 octobre] Scrutin entre inquiétude et désobéissance civile

Abidjan, 31-10-2020 (lepointsur.com) En Côte d’Ivoire, la majorité des lieux et bureaux de vote a ouvert ses portes sous haute surveillance de la force publique à 8h, pour le scrutin présidentiel du 31 octobre 2020. Alassane Ouattara brigue un troisième mandat controversé face Kouadio Konan Bertin, dit KKB, candidat indépendant. Quant à ceux de l’opposition, Pascal Affi N’Guessan du FPI et Aimé Henri Konan du Pdci-Rda, ils contestent les conditions dans lesquelles se tient le scrutin, appellent au boycott (sans le retrait de leur candidature) et à la désobéissance civile.

L’état de siège se décrète seul à Abidjan

Les différentes rues de la capitale économique, Abidjan sont vides des véhicules, qui créent les embouteillages les samedis. Rond-point du sable dans la commune de Yopougon, seuls quelques agents en armes des 35 000 hommes déployés pour la sécurité sont visibles. Le constat est le même au Carrefour la Vie de Cocody et au Grand Carrefour de Koumassi. Abidjan a signé son deuil.

L’opération ‘’Barrissement de l’éléphant’’ chargée d’assurer la sécurité de ce scrutin sous haute tension, est composée de 35 000 membres des forces de l’ordre, selon le ministre de la Sécurité Vagondo Domandé, qui donnait des détails à la télévision publique le vendredi 30 octobre.

Point mitigé

Dans les différentes communes du District d’Abidjan, plusieurs bureaux et lieux de vote ont été pris d’assaut par les votants, malgré la pression de l’opposition, surtout de Guillaume Soro qui affirmait qu’il “n’allait pas avoir d’élection’’.

À la mi-journée, l’heure n’était pas encore à un point exhaustif du déroulement du scrutin, mais dans l’ensemble tout se déroulait entre ‘’inquiétude’’ et ‘’désobéissance civile’’. Mme Bahi épouse Richard Konan, commerçante s’est rendue au Collège moderne de Yopougon, tôt le matin pour accomplir son droit. « Je suis inquiète c’est pourquoi je suis sorti tôt pour voter et, suivre la suite à la maison », indique-t-elle, priant que le scrutin et l’après vote se passe dans la paix.

Au lycée Sainte-Marie où le président sortant, Alassane Ouattara a voté, il a appelé ses concitoyens ‘’épris de paix et de patriotisme d’aller voter’’.

Aux environs de 9h, selon un confrère, la sous-préfecture d’Annépé, ville située au sud-est dans le département d’Adzopé, qui compte sept villages, n’avait pas encore reçu de matériel de vote. « On attend. Je suis là j’attends », indiquait-il, ajoutant, par ailleurs ‘’mon matériel aurait été saccagé à Assikoi. Je suis à Annépé. Mes parents attendent’’.

À Yopougon Anador, nous avons constaté l’absence des forces de sécurités ainsi que des agents de la CEI dans ce lieu de vote aux environs de 10h. Le vote a été interrompu dans un centre à Blaukhauss (Cocody), selon plusieurs sources dont un journaliste. « Des jeunes ont bloqué l’accès et lançaient des projectiles, la police a riposté à coups de gaz lacrymogènes pour les battre en retraite », témoigne-t-il.

Vives tensions

Des voies ont été barrées par les manifestants

La Commission électorale indépendante (CEI) avait noté, avec regret, le 30 octobre dans un communiqué de presse que la période de la campagne a été émaillée d’incidents malheureux avec des morts.  Le pouvoir évoque 30 morts, mais l’opposition parle de 67 morts, de plusieurs blessés et beaucoup de destruction de biens.

Ce jour, la tension monte d’un cran dans plusieurs chefs-lieux de département des régions favorables à l’opposition. Le mode opératoire perpétré par les manifestants est pratiquement le même : obstruction des voies, destruction des urnes, multiplication des appels à désobéissance civile sur les réseaux. Rien ne l’arrête dans sa lutte contre le 3e mandat controversé du président sortant, Alassane Ouattara.

Des risques d’affrontement communautaire ont été signalés à Oumé et à Gagnoa, dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Des manifestations similaires ont été signalés à M’Batto et à Ebilassoukro dans l’est du pays et au centre, à Tiébissou selon plusieurs sources, confirmées de sources sécuritaires.

La désobéissance civile a été largement suivie dans les localités où l’opposition avait manifesté violemment contre le 3e mandat d’Alassane Ouattara. Notamment à Daoukro, Bonoua et Gagnoa…. Au fur et à mesure, d’autres régions se signalent en barrant les axes pour empêcher l’accès du matériel de vote aux lieux et bureaux de vote. Les axes Bouaké-Beoumi, Oumé-Kokoumbo, Tiebissou-Bouaké ont été barrés par endroit. 

Le porte-parole de l’opposition, Pascal Affi N’Guessan a fait cas d’une ‘’dizaine de morts’’ qu’elle (opposition) a ‘’déploré’’ lors d’un point presse dans l’après-midi. « Quel que soit ce qui s’est passé, nous ne nous sentons pas concernés (…) Les Ivoiriens ont refusé de s’associer à cette mascarade d’élections », a déclaré Pascal Affi N’Guessan.

Par ailleurs, Coulibaly Kuibiert, président de la CEI dans un entretien au journal télévisé de 13h sur la chaîne nationale publique (RTI) a déclaré qu’il y un ‘’engouement’’ sur l’ensemble du territoire ivoirien. « Je l’avoue, effectivement dans certaine zone, on a eu quelques soubresauts, quelques empêchements au vote avec destruction de biens matériels électoraux », a-t-il reconnu. Mais, minimise les dégâts eu égard aux 10 815 lieux de vote et 22 381 bureaux de vote sur toute l’étendue du territoire. « À peine 25, 30 ou 40 bureaux de vote sont concernés, n’empêche que c’est un droit fondamental. C’est pourquoi la Commission électorale indépendante a pris l’engagement sur elle, de régler toutes ses difficultés » a fait savoir le patron de la CEI. Là où il y a eu destruction de matériel, Coulibaly Kuibiert a indiqué que la structure en charge des élections en Côte d’Ivoire a procédé au remplacement de ce matériel et a donné des instructions à ses collaborateurs sur le terrain de respecter les 10 heures de vote, selon l’heure de démarrage effective des élections : « Si vous avez commencé à 8h, vous terminerai à 18h, mais si c’est après ajoutez 10h ».

Concernant l’impact que cela peut avoir, le président de la CEI a précisé que cela s’apprécie en terme de ratio au nombre de bureau de vote.

Une mission d’observation fait le point de la mi-journée

Selon la cellule de veille électorale de la mission d’observation électorale de Wanep-ci, qui a déployé six cent quatre-vingts (680) observateurs sur le terrain, quatre cent un (401) ont pu effectivement remonter les données, au moment du point fait aux environs de 14h sur l’ouverture des bureaux de vote. « Ce sont cent cinquante-huit (158) incidents qui ont été rapportés dans notre base », précise le communiqué. Il y a des incidents d’ordre technique liés aux dysfonctionnements et irrégularités constatés dans le déploiement du matériel électoral. « Par exemple, dans le Cavally, Guiglo Sous-préfecture, sur l’axe Guiglo Blolequin, les bureaux de vote n’ont pas ouvert ».

Des incidents d’ordre social avec l’obstruction des voies d’accès aux centres ou aux bureaux de vote. Des personnes armées (armes blanches), selon le rapport enlèvent/détruisent le matériel électoral. « Par exemple, dans la région de l’Agnéby Tiassa, à Sikensi et à Agboville, des voies sont barricadées depuis 6 heures du matin empêchant la tenue effective du scrutin ».

Des incidents d’ordre sécuritaire liés eux, aussi, par le dysfonctionnement dans le dispositif sécuritaire. « Par exemple, dans la région de la Mé, à Adzopé (Bekoukuissin), des personnes, autres que les agents des forces de l’ordre, assurent la sécurité. Cette même réalité est observée à Agou et à Yopougon (Terminus 40 et au Koweit) ».

À l’analyse, conclut le communiqué, ‘’les foyers de tension sont plus accentués dans certaines régions notamment : le Sud Comoé, le N’zi, le Moronou, le Guemon et l’Agneby Tiassa’’.

Les observateurs électoraux de l’ONG Indigo-Côte d’Ivoire indiquent dans un communiqué que 21% des bureaux de vote n’ont jamais ouvert sur l’ensemble du territoire national. « On enregistre plus de 150 incidents. Des morts et blessés dans plusieurs Localités. Là où il y a eu des ouvertures de bureau de vote, les électeurs ne sont pas sortis massivement », justifie le communiqué.

Des sons discordants

La CEI compte relever le défi d’une ‘’élection libre, transparente et crédible’’ déjà contestée par l’opposition significative ivoirienne. Faisant le point de distribution des cartes d’électeur, allant du 14 au 25 octobre 2020, elle a indiqué qu’au terme de la période de distribution des cartes d’électeur, 3 084 288 électeurs ont effectivement retiré leur carte ; soit 41,15% des 7 495 082 électeurs.

Un cargo de la police nationale a été incendié dans le département de Botro

L’ancien chef d’Etat ivoirien Laurent Gbagbo, qui ne s’était pas exprimé publiquement depuis son arrestation en avril 2011, a affirmé jeudi 24 octobre dernier, à l’avant-veille de la présidentielle, que son pays allait vers “la catastrophe’’ et a appelé au dialogue, dans une interview à TV5 Monde.

’Ce qui nous attend, c’est la catastrophe. C’est pour ça que je parle. Pour qu’on sache que je ne suis pas d’accord pour aller pieds et poings liés à la catastrophe. Il faut discuter’’, a déclaré M. Gbagbo, depuis la Belgique où il attend un éventuel procès en appel devant la Cour pénale internationale (CPI) après son acquittement en première instance de crimes contre l’humanité.

À l’issue de son vote à la mi-journée, ce samedi au lycée Sainte Marie de Cocody, le président sortant a appelé tous ses ‘’concitoyens épris de paix et de patriotisme d’aller voter car c’est un jour important pour la démocratie’’.

Il a en outre estimé que le scrutin se déroule dans le calme, mais reconnaît qu’il y a eu quelques zones de tensions : « J’ai eu un compte rendu du ministère de l’administration du territoire qui m’a fait savoir qu’à part quelques heurts dans des endroits isolés, les votes se déroulent bien. Les Ivoiriens sont sortis nombreux pour voter ».

Les positions restent tranchées entre l’opposition ivoirienne soutient qu’elle ne reconnaîtra pas l’élection du président sortant et le parti au pouvoir qui estime être dans son droit.

La présidentielle ivoirienne du 31 octobre 2020, est un scrutin de toutes les inquiétudes. Des zones de tension éclatée se signalent un peu partout dans le pays.

Sériba Koné

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