-Des indemnisations à la tête du client
-Des victimes mal informées
Le président de l’ONG ‘’Mouvement colombe ivoire’’, Sékou Sylla, a été interpellé, le jeudi 4 octobre 2018, aux environs de 11h au foyer des jeunes de Boribanan (un quartier de la commune d’Attécoubé) par les éléments du commissariat du 10e Arrondissement, puis conduit au violon de la préfecture de police d’Abidjan, où il a été gardé à vue pendant plusieurs heures, avant d’être relâché aux environs de 22h.
C’est suite à une manifestation de protestation relative à l’indemnisation des victimes du 4e pont, au cours d’une réunion convoquée par la Cellule d’exécution du plan d’actions de réinstallation (PAR) qu’il a été interpellé.
Selon M. Guéi Gilbert de la cellule de coordination de l’environnement, joint par téléphone, la Cellule d’exécution du Plan d’actions de réinstallation (PAR) a convoqué une réunion d’informations ouvertes aux personnes qui ne se sont pas faits enrôler pour le paiement des biens impactés par la réalisation du projet de construction du 4e pont.
« Il s’est trouvé que toutes les personnes concernées par le déguerpissement sont venues à cette rencontre. C’est ainsi que nous leur avons indiqué que la rencontre n’était pas destinée à tout le monde. Mais qu’elle ne concernait que les propriétaires des bâtis qui sont à Bouribanan, qui n’ont pas encore négocié leur montant d’indemnisation», a indiqué Guéi Gilbert.
C’est quand nous faisions passer cette information à l’assemblée que, selon notre interlocuteur, « Sékou Sylla est passé derrière nous pour dire aux gens de partir et de ne pas prendre en considération tout ce que nous avons dit. » Ce qui a occasionné l’interpellation du président de l’ONG ‘’Mouvement colombe ivoire’’, selon notre interlocuteur.
Joint par téléphone, Sékou Sylla confirme : « Effectivement, hier (Ndlr : jeudi) j’ai été arrêté par les éléments de la police du 10e arrondissement, puis transféré à la préfecture de police. Une fois au 10e arrondissement, le commissaire m’a signifié que, sur instruction du préfet d’Abidjan, il devait me conduire à la préfecture. Une fois là-bas, on voulait m’auditionner et je leur ai dit que si je devais parler, ce serait devant mon avocat.»
Après de longues heures de garde à vue à la préfecture de police, en présence de son avocat, Sékou Syla a été libéré aux environs de 22h. Il est convoqué le lundi 8 octobre, à 10 heures à la préfecture de Police d’Abidjan parce que, selon lui le préfet de police était absent lors de sa garde à vue.
En effet, depuis 2016 cette ONG suit le processus d’indemnisation. Mais, selon le président, « l’Etat de Côte d’Ivoire ne veut pas respecter les accords de prêts. Ils ont voulu démolir les écoles qui sont sur l’emprise du projet. Nous nous sommes opposés, en disant que pour un projet sérieux, normalement vous devez dédommager les gens depuis le mois de mai et puis leur dire de libérer les lieux avant la rentrée. Nous, en tant qu’ONG, on doit prendre les dispositions pour satisfaire les populations pour qu’elles partent, et ils ne l’ont pas fait. Vous venez dire aux gens en août de quitter les lieux et de ne pas inscrire leurs enfants à l’école, alors que ces personnes n’ont pas encore bénéficié de l’indemnisation, les occupants terriens n’ont pas encore été recasés. C’est pour cela que nous avons fait des protestations et, par la grâce de Dieu, ça été accordé et les écoles sont restées».
La menace de déguerpissement plane et le temps court. Nonobstant, depuis quelques semaines, certains victimes ont déjà reçu leur chèque d’indemnisation, et ont reçu l’ordre de quitter leurs habitations. « Ce qui n’est pas chose aisée. Donc, le mardi 2 octobre 2018, nous leur avons dit de reporter le processus jusqu’à la fin de l’année scolaire en cours. À l’issue de cela, j’ai reçu un appel et coup du fil d’un monsieur qui s’est présenté en tant qu’un sergent-chef à la police judiciaire, qui a dit qu’il va m’arrêter. Je lui ai demandé les motifs qui vont l’amener à m’arrêter et il n’a rien trouvé de concret à me dire», s’indigne Sékou Sylla.
Des révélations troublantes. Dans l’accord de prêt, selon Sékou Sylla, il est prévu 450 000 FCFA pour tous les locataires. Pour lui, le processus d’indemnisation liés à un projet de l’État se paie au Trésor et non dans une banque commerciale. Or, aujourd’hui, ils imposent un montant aux locataires. « Certains premiers locataires ont même déjà signé des certificats de compassassion de charges estimé à 320 000 FCFA. Les deuxièmes ont signé des certificats de compassassions de charges de 270 000 FCFA. Et après les gens ramènent les locataires sur 230 000 FCFA. Mais il y a des locataires qu’ont fait signer des certificats de compassassions de 120 000 FCFA. Et lorsque nous avons mis la pression sur eux, ils ont remonté sa à 250 000 FCFA », révèle-t-il.
L’imam de la Mosquée de Boribanan, Sanogo constate lui, aussi qu’un flou entoure cette affaire : « Il faut dire que les tentatives d’intimidation et les menaces envers M. Sékou sont courantes. Ce n’est que la mise en application de ce qu’il nous expliquait chaque fois. »
Pour lui, la cellule impose sa manière et utilise les moyens répressifs de l’État, parce qu’il n’est pas dans ‘’la vérité’’. « Ils veulent marcher dans le faux à travers ces tentatives d’intimidations. Ils ne veulent pas appliquer le Plan d’action de réinstallation (PAR) validé par la Banque africaine de développement (BAD) avec l’Etat de Côte d’Ivoire. Ils veulent tromper les gens. Ils vous balancent les montants à la tête du client », se justifie-t-il.
Le directeur exécutif du Mouvement ivoirien des droits humains (Midh), Amon Dongo qui accompagne l’ONG Mouvement colombe ivoire, reconnaît le dysfonctionnement dans le projet. En effet, concernant la répartition qui doit être faite au regard des textes juridiques, Amon Dongo indique ce qui suit : « La loi dit que pour être exproprié, il faut une indemnisation préalable juste et satisfaisante. À l’époque, il y a eu des discussions entre les autorités ivoiriennes et la Banque africaine développement pour résoudre ce problème. Au sorti de ces discussions les deux camps ont établi un programme, un plan et un certain nombre d’engagements qu’ils doivent respecter. Ces engagements varient selon la situation de chaque résident. »
Cependant, il soutient ne pas pouvoir affirmer ou infirmer à ce jour, si les aspects juridiques sont respectés. « Nous avons eu des entretiens avec la cellule d’exécution des projets et elle doit nous fournir des documents pour une bonne appréciation des informations recueillies. Mais, nous ne sommes pas encore entrés en possession des documents en question. Donc, pour l’instant nous prenons les informations que nous recevons avec beaucoup de réserves. Car, il y a des contradictions profondes entre ce que la cellule dit et ce que les populations disent », révèle le directeur exécutif du Midh.
Quand l’information d’intérêt public et les documents publics restent encore ‘’confidentiels’’. Malgré le manque d’informations, l’indemnisation a déjà commencé. Plusieurs victimes ont perçu de l’argent sur des bases illégales. Pis, les dirigeants de la cellule d’exécution des projets parlent de ‘’négociations des montants’’ avec les victimes en lieu et place du barême établi. « Ce qui nous préoccupe, c’est que la majorité des victimes est analphabète ou ont un niveau de scolarité très bas et sait même pas qu’est-ce qu’elle négocie avec des experts », s’inquiète Amon Dongo.
En revanche, il prend avec beaucoup de pincettes le terme ‘’négociation’’ en attendant d’être en possession des documents officiels.
En un mot, ce que la BAD, qui donne les fonds, a signé avec l’Etat de Côte d’Ivoire par rapport aux victimes du projet de 4ème pont n’est pas respecté par la cellule sur le terrain. Aussi, la banque du trésor de la Côte d’Ivoire qui devait recevoir les montants alloués à l’indemnisation ne reçoit pas l’argent, c’est un autre établissement financier qui reçoit les fonds.
La coordination qui dépend de l’Ageroute a décidé de nous donner sa version des faits les jours à venir. Cependant, précise notre source, « depuis 2017, quand on a pris les choses en main, on a toujours rencontré les gens pour les sensibiliser. Et depuis 2017, on a commencé à travailler avec M. Sékou Sylla sur ce projet, on l’a associé à toutes nos rencontres. Donc, quand il y a une information, on va à la rencontre des gens pour leur donner les informations, afin qu’ils puissent s’apprêter. Chaque fois, quand on fait les réunions, il passe par derrière pour boycotter notre travail et intoxiquer les gens avec des informations contraires. Nous, notre rôle, c’est de donner régulièrement les informations aux gens impactés par le projet. Si vous avez besoin des informations, venez à la cellule de coordination on va vous les donner. »
L’indemnisation des victimes du déguerpissement pour la construction du 4e pont a démarré lundi 17 septembre 2018, à Attécoubé, pour une première phase de paiement concernant au total 1600 personnes recensées à Attécoubé (Fromager, Jean-Paul 2, Santé, Boribana).
Après Attécoubé, certaines victimes des quartiers de la commune de Yopougon (Yaossehi, Doukouré et nouveau-quartier) ainsi Adjamé (Bromakotè et Adjamé-village), seront prises en compte.
Ce sont 14 472 personnes qui seraient concernées par cette indemnisation dont le montant global est estimé à 30 milliards de FCFA.
Le 30 juillet 2018, le Premier ministre a procédé au lancement des travaux du quatrième pont qui s’étend sur une longueur totale de 7,2 Km, consiste à construire une voie express reliant la commune de Yopougon (Ouest) à celle d’Adjamé (nord) et du Plateau en passant par celle d’Attécoubé avec un pont sur la baie du Banco d’une longueur de 1,4 Km.
Les travaux qui devraient se dérouleront sur 30 mois, ont été ramenés à 26 mois et devrait s’achever fin août 2020.
Nous y reviendrons…
Sériba Koné