-Les députés veulent éviter le cas de ‘’flagrant délit’’
Les années passent, mais se ressemblent dans le couple Yah Touré. En 2009, c’est le véhicule de son actuelle épouse, qui de source policière, aurait traîné sur une distance d’environ 500 mètres, un policier en poste au feu de l’Agence ivoirienne de presse (AIP) au Plateau avant d’obtempérer. Grâce à l’intervention de l’une des épouses du chef de l’État d’alors, l’affaire va mourir dans l’œuf. Motus bouche cousue.
Neuf ans plus tard, c’est l’époux, Yah Touré, député de la circonscription de Duékoué sous-préfecture, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire qui remet le couvert le vendredi 26 janvier 2018, aux environs de 19h30min. L’élu du peuple aurait eu une altercation avec un agent de police, commis à la régulation de la circulation au carrefour d’Attoban.
Pour la suite, le dimanche 28 janvier 2018, Yah Touré recevra à son domicile, la visite d’un capitaine de police porteur d’une convocation de la Préfecture de police pour lui.
Auditionné à la Préfecture de Police, il y est retenu jusqu’au petit matin du lundi 29 janvier et conduit au parquet. Il sera maintenu au violon avant d’être reçu par le Procureur de la République qui lui a signifié qu’il serait mis sous mandat de dépôt puis déféré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca).
Là encore, le député doit son salut au bureau de l’Assemblée nationale qui note que ‘’le comportement de l’agent de police porte atteinte à l’honneur et à la considération du Député et donc de l’Institution et du peuple qu’il représente, la préfecture de police a abusivement retenu le député sans lui notifier de garde-à-vue toute la nuit du dimanche 28 janvier 2018, et sans tenir compte de sa qualité de député’’.
Dans cette affaire, la journaliste-photographe professionnelle du quotidien ‘’Le Nouveau Réveil’’, Monique Ottro Olga, sera arrêtée dans l’enceinte du Palais du Tribunal du Plateau et gardée-à-vue au violon du Parquet de 15 heures à 19 heures. Son matériel de travail confisqué pendant 4 heures avant d’être libérée. Le motif, elle ne le saura pas. L’on retiendra, comme si c’était une vulgaire affaire ‘’qu’elle se trouvait au mauvais moment, au mauvais endroit.’’
Ici, c’est l’image de la femme dans l’exercice de son métier qui est écornée. La policière intimidée puis humiliée en plein service. La journaliste-photographe, gradée-à-vue comme un vulgaire bandit, un malfrat dans l’enceinte du temple de Thémis. Les autorités policières seraient-elles au-dessus de loi ? Où ont-elles choisi de semer le désordre en lieu et place du maintien de l’ordre ? La journaliste-photographe n’avait que son appareil, une tablette et quelques papiers pour prendre des notes. Est-ce un arsenal de bandits pour lequel on doit garder-à-vue une journaliste pendant 4 heures dans un violon?
On veut éviter le flagrant délit. Dire que la violation des lois qui régissent nos différentes corporations, est le quotidien de l’Ivoirien n’est qu’une vérité de Lapalisse. Malheureusement, ces lois finissent-elles par rattraper les auteurs, mais restent pour la plupart impunies.
En 2018, fort de son manteau de député, Yah Touré s’en prend à un policier, commis à la régulation de la circulation. On brandit alors les lois qui, sur le terrain sont violées et ouvrent la porte à l’impunité. Sous le coup, sûrement de l’émotion ‘’la police a abusivement retenu le député sans lui notifier de garde-à-vue toute la nuit du dimanche 28 janvier 2018, et sans tenir compte de sa qualité de député’’.
En effet, la résolution N° 006 a du 1er juin 2006 portant modification du règlement de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire en son chapitre X : Discipline et Immunités, en point B, d’abord en son Article 44, stipule que ‘’ Aucun Député ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.’’
En revanche, à l’Article 45, il est mentionné que le député peut être arrêté : ‘’Aucun Député ne peut, pendant la durée des sessions être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale, sauf le cas de flagrant délit.’’
La poursuite du député a été ‘’suspendue’’ parce que ‘’La détention ou la poursuite d’un Député est suspendue si l’Assemblée Nationale le requiert.’’
Cependant, l’enquête suit son cours pour prouver le ‘’le cas de flagrant délit’’. Le procureur de la République, Richard Adou a donc dit le droit en ce qui le concerne. Les députés ont joué leur partition dans cette affaire, mais l’histoire nous prend à témoin et démontre que l’ex-chef d’État, Laurent Gbagbo, alors député de Ouaragahio (Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire), avait été arrêté le 18 février 1992, pour ‘’cas de flagrant délit’’ et conduit à la Maison d’arrêt et de Correction d’Abidjan (Maca). L’histoire se répète, mais dans un autre contexte.
Plusieurs acteurs sont attendus pour témoigner. Les vendeurs ambulants, les vendeuses au bord de la voie, des badauds et même l’une des caméras vidéos qui inondent le quartier huppé de Cocody, pour couper court.
Dans la journée de samedi 27 janvier 2018, le député de Duekoue sous-préfecture, par ailleurs vice-président de l’Assemblée nationale, Oula Privât est accusé d’avoir été tabassé par la foule après avoir giflé une femme policier lors d’un contrôle de routine. Le Groupe parlementaire ‘’Nouvelle Vision’’ auquel il appartient a démenti l’information et exigé ‘’qu’une enquête soit ouverte sur la question pour démasquer les responsables de telles âneries et que la loi leur soit appliquée dans toute sa rigueur.’’
Comme plusieurs autres enquêtes qui rentrent dans le domaine public, les journalistes auront du mal à avoir accès à cette information d’intérêt public. Malgré la bonne volonté des autorités administratives indépendantes de la Commission d’accès à l’Information d’Intérêt public et aux Documents Publics (Caidp), il est difficile pour les journalistes d’accéder à ces informations qui pourraient situer les responsabilités.
Autant affirmer que, tout comme le peuple, les autorités policières, élus et les autorités administratives bafouent les lois, même les plus petites et importantes prêtant ainsi le flanc à l’impunité. Quand il s’agit d’en brandir une ou deux qui pourraient les sortir du pétrin, ils ne se font pas prier. Pourquoi refusons-nous d’appliquer les lois que nous nous sommes données sans aucune contrainte à travers les élus du peuple que sont les députés?
Ces élus et autorités qui jouissent d’une immunité doivent servir d’exemple par leurs actes et comportements au quotidien. Ils sont les éclaireurs de toute une Nation, ils doivent faire preuve d’humilité et du respect de l’institution qu’ils incarnent.
Comme le chante le musicien congolais : ‘’L’argent appelle l’argent’’. Mais ‘’Le malheur appelle le malheur et l’impunité appelle l’impunité’’.
Le Montagnard