Abidjan, le 22-9-21 (crocinfos.net) Le massif forestier ivoirien qui, jadis, faisait la fierté de la Côte d’Ivoire, se transforme d’année en année en une végétation clairsemée, exposant ainsi le pays au danger du réchauffement climatique mondial.
Vu du ciel, le massif forestier ivoirien de 16 millions d’hectares des années 60 est aujourd’hui clairsemé. Au sol, l’empreinte de l’agriculture, surtout de la cacao-culture dans la déforestation, à ce jour, est de 62% avec 6 millions d’emplois directs. Quant à l’exploitation forestière, elle est autour de 18%. A ce triste décor, s’ajoute l’orpaillage illicite avec la complicité des villageois, élus et cadres, selon l’administration forestière ivoirienne. « Les réalités de la foresterie de 1960 ne sont pas les mêmes que celles d’aujourd’hui. L’État met tout en œuvre pour sauver notre forêt en adaptant notre code forestier à situation actuelle », explique Alain Bley Bitignon, responsable du service communication de la Société de développement des forêts (Sodefor).
Ces données qui donnent froid dans le dos
Les données disponibles de la FAO, du PNUD, du PNUE et du Programme ONU-REDD de 2017 réalisées dans le cadre du travail de recherche dénommée ‘’Données forestières de base pour la REDD+en Côte d’Ivoire, cartographie de la dynamique forestière de 1986 à 2015’’, indique le rapport des estimations du couvert forestier, tel que défini par le tableau ci-dessous.
De 7 850 864 hectares de forêts en 1986, le pays ne disposait que de 3 401 146 hectares de forêts en 2015, représentant une occupation spatiale de 10,56% du territoire.
(Voir lien : http://www.fao.org/3/i8047f/i8047f.pdf)
Exploitations illégales, corruption, clientélisme…
La société allemande de coopération internationale, jadis, partenaire de la Sodefor, souligne dans l’un de ses rapports que plusieurs autorisations d’exploitation douteuses ont été accordées à des personnes en 2008 et 2009. À cette période où la Côte d’Ivoire était divisée en deux à partir de Bouaké (centre), la gestion du patrimoine forestier des 234 forêts classées gérées par la Sodefor s’est faite, la plupart du temps, en dehors de tout contexte légal. Conséquence : la couverture forestière a fortement régressé de 1986 à 2015, passant de 7 850 864 hectares en 1986 à 5 094 452 hectares en 2000 et à 3 401 146 hectares en 2015.
Les taux annuels de ce crime contre la forêt sont, respectivement de 3,04 % pour la période 1986-2000, et de 2,66% sur la période 2000-2015. Ainsi, la perte du couvert forestier est-elle estimée à 2 756 412 hectares entre 1986 et 2000 et à 1 693 306 hectares entre 2000 et 2015, selon le rapport.
Manque de civisme
En 2018, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une nouvelle politique forestière d’un coût de 616 milliards FCFA sur une période de dix ans pour recouvrer au moins 20% du couvert forestier, selon le ministère des Eaux et Forêts.
Pour surveiller les 234 forêts classées, le gouvernement ivoirien a créé, en 2019, la brigade spéciale de surveillance et d’intervention (BSSI) du ministère des Eaux et Forêts. 650 stagiaires dont 79 filles ont fait leur sortie officielle le jeudi 6 août 2020, au siège de la Sodefor à Abidjan-Cocody, après quatre mois de formation commune de base et d’initiation aux techniques commandos jungle et nautique. Cette brigade est composée d’un commandement, deux compagnies d’intervention commando jungle, d’une compagnie de renseignement, d’une compagnie faune, d’une compagnie eau, d’une escouade lagunaire et d’une section musique. « Cette brigade est le fer de lance de la lutte contre toutes les formes de criminalité liée à la forêt, à la faune et aux ressources en eau », rassure le ministre des Eaux et Forêts, Alain-Richard Donwahi.
Cependant, la BSSI et les agents de la Sodefor sont confrontés à de réels problèmes de collaboration franche entre les populations agricoles. Ici, il y a un véritable manque de civisme citoyen que dénonce un expert en sciences et gestion de l’environnement, option forestière et développement communautaire. « La population est bien à l’aise pour informer la gendarmerie et la police sur un braquage, mais mal à l’aise pour informer les agents de la Sodefor sur les infiltrations dans les forêts qui sont un maillon essentiel de l’économie ivoirienne », s’indigne-t-il.
Danger en pleine forêt
Face au dérèglement de l’écosystème tropical, cette brigade a détruit plusieurs campements dans des forêts classées, mais certains planteurs dont les cultures n’ont pas été détruites continuent à récolter leur cacao parce que, soutiennent-ils, ils n’ont pas le choix, encore moins de solutions. « Nos campements ont été incendiés, mais rien n’a été trouvé pour nous pour faire de nouvelles activités », se lamente notre interlocuteur sous le sceau de l’anonymat.
Par ailleurs, la violence extrême s’invite dans la lutte contre la déforestation. Des agents de la Sodefor violentés à l’arme blanche par des paysans, des équipages de la brigade qui essuient des tirs, les intimidations des cadres, élus et villageois. Les témoignages ne manquent pas, les faits sont vivants. Les agents au développement de la sauvegarde de la forêt ivoirienne sont pris dans un engrenage de violences. Les mauvaises habitudes ont donc la peau dure. « En 2012, Nos agents ont été agressés à Niegré 2012 et 2021, à Boundiali en 2019 et Bossematié en août 2021. À cela, il faut ajouter les tirs que nos patrouilles essuient dans ces forêts », regrette Alain Bley.
Des solutions, mais…
La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao avec environ 2 millions de tonnes par an, ne baisse pas les bras face au danger du réchauffement climatique.
Elle assume son mal par la multiplication des initiatives à travers le pays. REED+, qui contribue aux efforts mondiaux de réduction des gaz à effet de serre à travers la réduction des émissions liées au déboisement et à la dégradation des forêts tout en promouvant un développement économique et social, sensibilise avec la Sodefor au reboisement autour de la culture de cacao. C’est-à-dire l’agro foresterie qui consiste à allier forêt, culture vivrière et cacao.
Pour exemple, le REED+ paye une prime par kilo de cacao produit en agro foresterie pour encourager les producteurs. « C’est vraiment une réussite parce que, à travers la valeur ajoutée qu’on donne au prix du kilogramme de cacao biologique, c’est vraiment incitant », se réjouit le conseiller technique REED+, Paris Toman.
Cette lutte est renforcée par les différentes opérations de plantings d’arbres nationales, lancées par le ministre des Eaux et Forêts Alain-Richard Donwahi : ‘’1 jour 1 million d’arbres’’ en 2019, puis ‘’1 jour 5 millions d’arbres’’ en 2020, et ‘’1 jour 50 millions d’arbres’’ en 2021.
Toutes ces actions sont menées pour faire face à l’impérieuse nécessité d’atteindre 20% de couverture forestière nationale d’ici à 2030. « Nous vendons, en graines simplement, plus de 5 tonnes et, en matière de production de plans, nous avons une capacité de mobilisation de 20 millions de plans par an. Mais comme les plans se conditionnent à la demande, la Sodefor fait plus de 10 hectares de reboisement par an », rassure Alain Bley Bitignon.
Avant la fin du mois d’octobre où le point de la situation sera rendu public, le ministre des Eaux et Forêts ne cesse de sensibiliser, dans ces discours, tous les citoyens nationaux et non nationaux. « Cette année, nous comptons, non seulement sur votre mobilisation, mais également sur la contribution financière de tous pour la restauration de notre couvert forestier », déclare-t-il.
La Côte d’Ivoire a l’expertise et la technicité, elle peut dépasser et faire même plus que l’objectif 20% d’ici 2030, mais elle manque d’appui financier. « Refaire le couvert forestier coûte très cher, il nous faut l’appui des bailleurs de fonds », plaide la Sodefor.
Sériba Koné
[Encadré] Doter la Côte d’Ivoire de moyens financiers
Le danger au plan mondial auquel aucun continent, encore moins un pays, n’est épargné, est le réchauffement climatique. Les effets dévastateurs de ses actes déjà ont commencé par des inondations, le changement de climat faisant mentir les météorologues sur certaines données.
Dans une zone forestière comme la Côte d’Ivoire, le meilleur moyen de mitigation ou d’atténuation des effets du réchauffement climatique, c’est la reforestation. Et le gouvernement ivoirien s’y active selon les moyens du bord. Grâce au Conseil national de sécurité, de 2013 à ce jour, la forêt classée de Niégré a une croissance de 14% de couverture forestière, selon la Sodefor.
Le pays est l’un des plus bardés en plans avec un centre traitement et de conservation de semence forestière basé à Adzopé, dans l’est de la Côte d’Ivoire. Avec environ 220 mille hectares de reboisement dont 60 mille de reboisement agro-forestier, il faut des moyens financiers conséquents.
Sériba K.
Bon à savoir
Ce travail a été réalisé grâce à l’assistance technique de l’Association des journalistes d’Afrique de l’Ouest (AJAO) dont l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI) est membre et de la Plateforme des droits et de la gouvernance des ressources naturelles de l’Union du fleuve Mano (Plateforme CSO de l’UFM).