Abidjan, le 25-03-2021 (crocinfos.net) Faiblesse ou quasi-inexistence de la couverture des réseaux téléphoniques, utilisation des numéros des sociétés téléphoniques des pays limitrophes, présence constante de patrouilles militaires burkinabè dans des localités du nord-est de la Côte d’Ivoire, délimitation et démarcation des frontières non effectives : voici quelques manquements résultant du non-respect de certains accords et qui menacent sérieusement la sécurité transfrontalière.
Selon des sources sécuritaires, ce sont les zones frontalières du nord-est, Doropo et Téhini qui partagent 584 km de frontière et environ 34 359 habitants avec le Burkina Faso. Tout comme cette zone, les autres régions frontalières avec le Ghana, le Mali et la Guinée d’une longueur de 3624 km de frontière et peuplés d’environ 426 349 habitants, restent, selon ces mêmes sources, elles aussi sujettes à des menaces. Jointe par téléphone, l’armée préfère garder le silence et respecter son éthique de ‘’la muette’’. Cependant, le ministre ivoirien de l’Intérieur et de la Sécurité, Vagondo Diomandé, rappelle que, déjà le 18 septembre 1972, face à des incidents frontaliers avérés, le gouvernement ivoirien avait créé par décret la Commission nationale de réabornement.
La Côte d’Ivoire sous la menace terroriste de l’EIGS
La situation de la sécurité à nos frontières est inquiétante tant les failles dans le dispositif sont nombreuses et réelles. Le spectre de la menace terroriste de l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS) basé au Mali, au Niger et au Burkina, hante la paix et la quiétude des populations vivant aux frontières ivoiriennes depuis 2015, toujours selon ses mêmes sources.
En effet, « Depuis 2006, l’annexion de la Côte d’Ivoire par le Burkina a connu une progression significative au fil des années, révèle le secrétaire exécutif de la Cnfci, Konaté Diakalidia, ajoutant, par ailleurs qu’il est impératif d’agir pour trouver de façon durable et définitive des solutions. »
‘’Déjà le 18 septembre 1972, face à des incidents frontaliers avérés, le gouvernement ivoirien avait créé par décret la Commission nationale de réabornement’’
Les faits sont là, incontestables. Une prise de vue satellitaire de la frontière non officielle approximative (voir photo), indique des incidents le 19 septembre 2016, le 28 avril 2018, le 18 février 2018, août 2019 et le 15 février 2020. Ces faits qui sont loin d’être des cas isolés, achèvent de convaincre. Contrebande et surtout l’orpaillage illicite se sont installés et enracinés dans cette zone.
Sur cette carte où aucune région n’est identifiable, nos recherches révèlent qu’il s’agit de la zone frontalière du côté nord-est de la Côte d’Ivoire vers Doropo, Téhi et Bouna.
La menace terroriste visant les pays du Golfe de Guinée n’est plus confidentielle, au point que la France en est inquiète. Le directeur général de la sécurité extérieure (Dgse), Bernard Émié, révélait dans plusieurs médias, le lundi 1er février 2021, que les terroristes du groupe terrorisme Al-Qaïda veulent étendre leur influence hors du Sahel. « C’est là (lors d’une réunion dont il a montré les images) que les chefs d’Al-Qaïda au Sahel ont conçu leur projet d’expansion vers les pays du Golfe de Guinée… Ces pays sont désormais des cibles eux aussi et pour desserrer l’étau dans lequel ils sont pris et pour s’étendre vers le sud, les terroristes financent déjà des hommes qui se disséminent en Côte d’Ivoire ou au Bénin… Des combattants ont également été envoyés aux confins du Nigeria, du Niger et du Tchad », indiquait-il dans Jeune Afrique.
Autant affirmer qu’il y a un retour en force de la gestion du terrorisme après les attaques de Grand-Bassam le 13 mars 2019, qui ont fait dix-neuf morts et trente-trois blessés. On n’oublie pas non plus l’attaque qui a visé un poste mixte armée-gendarmerie et a coûté la vie à 12 militaires et un gendarme dans la nuit du 10 au 11 juin 2020, à Kafolo.
Le professeur Zina Ousmane, enseignant en sciences politiques de l’Université Alassane Ouattara (UAO) de Bouaké, aborde le sujet avec beaucoup de diplomatie. Il estime qu’ « Il y a différentes symboliques derrière les frontières à préserver. Il faut considérer les frontières comme le début de l’État et non comme la fin de L’État.»
Il y a 49 ans, selon le ministre ivoirien de l’Intérieur et de la Sécurité, Vagondo Diomandé, des efforts avaient été entrepris afin de parachever l’immense travail technique, juridique et diplomatique réalisé dans le cadre de la matérialisation des frontières communes. Lors de l’installation officielle de la Commission mixte paritaire de matérialisation de la frontière Côte d’Ivoire-Burkina Faso, il révélait que le gouvernement ivoirien avait créé par décret la Commission nationale de réabornement dont la mission principale était de « proposer aux autorités compétentes et d’exécuter ensuite toutes mesures relatives à la démarcation et au réabornement des frontières entre la Côte d’Ivoire et les pays voisins ».
Un demi-siècle après…
À la fin des années 1980, face à la récurrence de nouveaux incidents aux frontières ivoiro-voltaïques, la Commission nationale de réabornement avait recommandé à l’époque au gouvernement ivoirien, la tenue de la première rencontre sur la délimitation de la frontière ivoiro-voltaïque.
Ce n’est que treize ans plus tard que cette rencontre s’est tenue les 23 et 24 juin 1993 à Abidjan. Elle a été sanctionnée par la signature d’un accord-cadre entre le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire et le gouvernement du Burkina Faso, relatif à la matérialisation de la frontière entre les deux pays. Puis, il (accord) a été suivi de la signature d’un protocole d’accord instituant une Commission mixte paritaire de matérialisation de la frontière Côte d’Ivoire-Burkina Faso (Cmpm/CI-BF), lors de la conférence au sommet du Traité d’amitié et de coopération (TAC) tenue le 30 juillet 2014, à Ouagadougou
En procédant à l’installation officielle de la Commission mixte paritaire de matérialisation de la frontière Côte d’Ivoire-Burkina Faso, dans un contexte déjà marqué par la menace terroriste, le vendredi 19 février 2021, à Abidjan, le ministre ivoirien de l’Intérieur et de la Sécurité, Vagondo Diomandé, était dans le prolongement de ce processus. Aux vingt membres de la Cmpm/CI-BF à raison de dix membres par pays, il a tenu un langage de vérité : « Je voudrais profiter de l’occasion pour vous rappeler l’importance de la haute mission que nos deux pays vous confient dans un contexte sécuritaire préoccupant et aussi à un moment où les hautes autorités ivoiriennes et burkinabè déploient beaucoup d’efforts pour combattre tous les périls d’où qu’ils viennent, en vue d’assurer et de garantir la sécurité de leurs populations et leur donner ainsi une forte espérance pour l’avenir. »
‘’« Comme nous ne savons pas comment gérer les frontières, les terroristes, eux, savent comment les gérer en se faufilant entre elles. »’’
En effet, les missions majeures qui leur sont dévolues consistent à la délimitation et à la démarcation des frontières avec leurs voisins et à la mise en œuvre de la coopération transfrontalière dans divers domaines. Et aussi, en vue de prévenir les conflits entre les États et les populations vivant dans les zones frontalières et de faire des frontières, non pas des barrières, mais plutôt des passerelles pour une meilleure intégration sous régionale au bénéfice de nos populations.
Le ministre d’État burkinabé, ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, Clément Sawadogo Pengdwendé, représentant le Burkina-Faso à cette cérémonie, a rappelé la porosité entre les trois frontières (Burkina Faso-Niger-Côte d’Ivoire) et a renchéri en ces termes: « Comme nous ne savons pas comment gérer les frontières, les terroristes, eux, savent comment les gérer en se faufilant entre elles. »
D’autres accords que dénoncent l’AIGF et l’Unetel
L’Agence ivoirienne de gestion des fréquences radioélectriques (AIGF), dont l’objectif principal est la coordination des fréquences aux frontières et d’éviter les brouillages préjudiciables aux services de radiocommunication se heurte à la violation des accords de coordination des fréquences aux frontières.
Gabriel Koffi Yao, directeur de la planification du spectre et des affaires internationales à l’AIGF révèle les multiples violations des accords bilatéraux entre la Côte d’Ivoire et le Ghana : l’accords de Genève de 1984 (radiodiffusion sonore) et celui de l’accord de Genève de 2006 (radio numérique de terre), signé à d’Abidjan les 21 et 22 septembre 2015, la non application des résolutions de la 4e réunion de coordination et de partage des fréquences dans les zones frontalières et maritimes de certains pays de l’Afrique de l’Ouest, tenue à Bamako (Mali) du 3 au 6 avril 2018.
Conséquence : il y a la pénétration de signaux d’opérateurs téléphoniques de pays voisins, portée de 120 km à l’intérieur du territoire ivoirien pour certains et le roaming forcé dans certaines localités et zones.
À Tengréla, une ville dans le nord de la Côte d’Ivoire, le directeur de la planification évoque la présence d’‘’un bon niveau de signal d’opérateurs maliens.’’ Même constat à Odienné avec celle des signaux d’opérateurs guinéens à plus de 34 km, ainsi que ceux d’opérateurs maliens à plus de 80 km de la frontière et des interférences sur certains canaux de MOOV CI causés par un opérateur Guinéen.
‘’Cette partie de la Côte d’Ivoire semble avoir été oubliée par le pouvoir central’’
À Man, la distance de pénétration des signaux d’opérateurs guinéens et libériens est parfois supérieure à 50 km, selon lui.
À Korhogo, les services de l’AIGF détectent des signaux d’un opérateur malien et ceux d’un opérateur burkinabé en périphérie de la ville. Tout comme à Bondoukou, il y a la présence des signaux de deux opérateurs ghanéens avec ‘’un bon niveau de signal’’. Tout comme à Abengourou, précisément à Niablé où la zone est couverte par des signaux de trois opérateurs ghanéens.
L’organisation patronale du secteur des télécommunications, à travers l’Union nationale des entreprises de télécommunications (Unetel) éprouve, elle aussi, des difficultés liées à l’utilisation des fréquences à nos frontières. Au niveau national et international, Mme Gertrude Koné D. Kouassi dénonce la persistance des brouillages au sein des bandes de fréquences convenues. Elle révèle le même constat au niveau supra, des associations de régulateurs dont la mission est de coordonner la politique commune de brouillages dans de nouvelles bandes du secteur des télécommunications dans la sous-région.
Mme Gertrude Koné D. Kouassi indique que les instances internationales de régulation sont, elles aussi, confrontées à la non application des recommandations de la réunion de coordination de Bamako d’avril 2018, notamment en matière de respect des puissances des signaux.
Cette partie de la Côte d’Ivoire semble avoir été oubliée par le pouvoir central. Pourtant, c’est le non-respect des accords et le manque d’harmonisation du cadre légal et réglementaire, qui pose problème et augmente le risque d’insécurité à nos différentes frontalières.
La Commission mixte paritaire de matérialisation de la frontière Côte d’Ivoire-Burkina Faso qui a vu le jour, peut-elle seule être le bouclier contre la menace terroriste? Les deux pays restent suspendus aux résolutions des travaux et à leur mise en œuvre sur le terrain. Gageons que ces initiatives et ses efforts portent des fruits et servent d’exemples aux autres pays frontaliers dans la lutte commune contre cette gangrène que constitue le terrorisme.
Sériba Koné
ENCADRÉ 1
Ça passe ou ça casse
Ils sont dix membres de la Commission mixte paritaire représentant la Côte d’Ivoire et le même nombre du côté du Burkina-Faso, soit intellectuels, des experts, à mettre en œuvre la délimitation et la démarcation de la frontière ivoiro-burkinabé.
Ces vingt personnalités entrent dans l’histoire de la normalisation de la gestion de la frontière des deux pays, longtemps marqués par des conflits et, aujourd’hui par la menace terroriste venant du nord sahélien.
En attendant la solution des accords de brouillage des réseaux, la paix, la cohabitation harmonieuse et le développement dans la sérénité passent par la qualité du travail que les vingt membres rendront et sa mise en pratique sur le terrain.
S.Koné
Membres de la Commission mixte paritaire de la Côte d’Ivoire
1- Diakalidia Konaté, secrétaire exécutif de la Commission nationale des frontières
2-Nurudine Oyewolé, coordonnateur technique chargé des affaires juridiques, du contentieux et de la coopération transfrontalière
3-Mahan Paul, ambassadeur, directeur Afrique au ministère des affaires étrangères
4-Koffi Kongoué Joachim, conseiller technique au ministère de la Justice et des Droits de l’Homme
5-Koffi Kodia Raoul, sous-directeur de la promotion des partenariats au ministère de l’Économie et des Finances
6-Doumbia Mori, directeur des archives nationales
7-Balé Fernand, directeur du centre d’informations géographique et du numérique
8-Professeur Nassa Dabié Désiré Axel, de l’institut de géographie tropical
9-Docteur Gonnin Gilbert, professeur de l’Institut d’Histoire, d’Art, d’Archéologie Africaine
10-colonel Tanny Hugues, directeur du développement et de la coopération internationale au ministère de la Défense
Membres de la Commission mixte paritaire du Burkina Faso
1-Président Zagré Léontine SP-CNF/MATD
2-Ouédraogo Alassane W SP-CNF/MATD
3-Nagabila Halidou IGB
4-Ouédraogo Abdoul Moumouni IGB
5-Kamboule K. Jean Bertin Archives Nationales
6-Kaboré Alimata dite Nadège MINEFID
7-Ouedraogo Elisé ministère de la Justice
8-Hien Pierre Claver MESRSI
9-Zoungrana Eric MAECIABE
10-lieutenant-colonel Coulibaly Tamou MDNAC
ENCADRÉ 2
Superficies et populations des frontières non matérialisées
La frontière Côte d’Ivoire-Ghana est la plus peuplée avec 149 431 habitants suivie de Côte d’Ivoire-Mali 91 515 habitants, de la Côte d’Ivoire-Libéria 88 992 habitants, de la façade maritime 40 526 km, de la Côte d’Ivoire-Burkina Faso 34 359 et de la Côte d’Ivoire-Guinée 21 526 km.
Quant aux distances des frontières entre la Côte d’Ivoire et ses voisins, le Liberia vient en tête avec 715 km, suivi du Ghana avec 668 km, de la Guinée avec 610 km, du Burkina Faso avec 584 km, du Mali 532 km et de la façade maritime avec 515 km. La distance moyenne entre les villages et campements est de moins de 8 km, selon les statistiques de la Cnfci.
Sériba K.