Abidjan, le 30 juin 2023 (crocinfos.net) L’affaire découle des irrégularités apparues dans le paiement de 63 entreprises ayant exécuté des travaux dans le cadre du projet urgent dénommé « Désenclavement des villages du District d’Abidjan et des communes de Yopougon-Cocody-Koumassi-Abobo » dans 110 localités.
Réunies au sein du collectif des 63 entreprises d’électrification du district d’Abidjan (CSEDAA), les sociétés exécutantes sont bien décidées à entrer dans leur dû. D’où la vive polémique qui défraie la chronique sur fond de lourds soupçons sur la gestion des fonds et les arrangements entre les parties concernées.
Selon les allégations des responsables du CSEDAA, le détournement de fonds s’élèverait à plus de 9 milliards FCFA. Des conférences de presse et des sit-in ont été organisés à Abidjan pour interpeller les autorités ivoiriennes sur cette affaire dans laquelle le district autonome d’Abidjan (maître d’ouvrage) et le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD, maître d’œuvre) se retrouvent ainsi au centre.
Soupçon légitime
Avant le début des travaux en 2015 pour certaines entreprises, les années suivantes jusqu’en 2021 pour d’autres, un devis quantitatif estimatif (DQE) d’une valeur de 9 566 723 665 FCFA a été signé entre le district autonome d’Abidjan et le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) bien connu des 63 entreprises regroupées au sein du CSEDAA. Ce document détaille le prix des matériaux, les estimations et le montant total des travaux à effectuer (voir fac-similé).
Cependant, le collectif des entreprises chargées de l’électrification du district d’Abidjan déplore les manquements constatés dans les paiements, qui ne respectent pas les accords conclus entre le District autonome et le BNETD. La problématique réside dans le fait que, malgré la fourniture d’un procès-verbal de réception ainsi que la transmission d’un document d’attachement acté, signé et validé par le BNETD et le district autonome d’Abidjan, les entreprises concernées ont soumis leurs factures normalisées au sein du district, sans toutefois recevoir le paiement correspondant, qui se fait toujours attendre.
En réponse, dans une note de clarification, relayée par le quotidien, Le Matin n°1096 du 31-03-2023, repris par certains sites d’informations, Nicolas Baba Coulibaly, le directeur de l’information, de la communication et des TIC du district autonome d’Abidjan, insiste sur le fait qu’aucun document régulier, tel qu’un bon de commande, un marché ou une attestation de service exécuté, n’a été fourni par les entreprises
Lire note de clarification👉: Note-de-clarification-du-district-autonome-d.docx
Cependant, lors de nos investigations, nous avons trouvé une correspondance datée du 16 octobre 2015 adressée au directeur de Ivoire Service Électricité et Froid (ISEF) concernant la “commande pour les travaux d’électrification HTA-BTA et EP à Bessikoi phase 2 (face à l’hôpital général d’Angré)”, dont le montant était évalué à 134 821 755 FCFA TTC. Elle a été signée par Lorng Sess Mathieu, sous-directeur des routes et voiries au district autonome d’Abidjan, par ailleurs, coordonnateur des travaux d’électrification de PFO CI (maître d’ouvrage délégué, nommé comme client sur les fiches) pour le compte du district autonome d’Abidjan.
Lire le courrier d’octobre 2015👉: Le courrier d’ctobre 2015
Pour la manifestation de la vérité, dans un autre courrier du 1er décembre 2015, Lorng Sess Mathieu a autorisé de façon “irrévocable” la société PFO CI à effectuer tous les paiements en faveur de la société ISEF sur son compte bancaire ouvert dans les livres de la Banque NSIA CI.
Par ailleurs, le 30 décembre 2022, dans la salle Delafosse du district, en présence de MM. Séka Lazard, directeur de cabinet, Yobou Jules, directeur des infrastructures routières, le premier vice-gouverneur, Yéo Klotiolo déclarait devant les représentants des 63 entreprises que le décaissement d’un acompte de 500 millions FCFA pour les fêtes de fin d’année avait été effectué. Ce, dans une affaire où, pourtant, le directeur de la communication déclare qu’″aucun document régulier“, tel qu’un bon de commande, un marché ou une attestation de service fait, n’a été fourni par les entreprises’’. Sur quelle base transparente, des entreprises pointées du doigt, comme n’ayant aucun document régulier, par le directeur de l’information, de la communication et des TIC, ont perçu 500 millions FCFA ?
Lire le courrier de décembre 2015👉: Le courrier de decembre 2015
En revanche, les entreprises ont reconnu que ce n’était qu’à la mi-janvier 2023 qu’elles ont reçu les chèques de Pierre Fakhoury Operator (PFO) Africa ou Côte d’Ivoire, agissant en tant que client titulaire enregistré pour le compte du district autonome d’Abidjan afin de payer les entreprises.
Comme si les affirmations gratuites de Nicolas Baba ne suffisaient pas, il évoque, selon lui, des irrégularités multiples constatées par le BNETD, notamment l’inclusion de frais exorbitants dans les factures des entreprises, des coûts de câbles et poteaux électriques, ainsi que des prix unitaires pratiqués largement supérieurs aux normes.
Pour preuve, il estime que la société “Lavinon et Compagnie SARL”, appartenant au porte-parole du collectif des entreprises, réclame 74 117 268 FCFA alors que l’expertise du BNETD révèle des travaux réalisés à seulement 18,66 % du montant réclamé sans présenter d’irrégularité.
Voilà qui met en lumière la gestion opaque des 9 629 695 456 FCFA “pour des travaux prétendument effectués”.
Les preuves des dysfonctionnements
En effet, à la suite de l’une des trois différentes enquêtes menées par le BNETD (rapport tenu confidentiel) sur les chantiers des différents travaux exécutés par les entreprises, déjà approuvés par cette institution, en présence des entreprises bénéficiaires et des chefs de villages, le BNETD indique que le total des travaux réalisés s’élève à 4 353 846 450 FCFA. Sur cette somme, le district autonome d’Abidjan estime qu’il a payé 692 millions FCFA aux entreprises. Il soutient alors ne pas devoir la somme de 9 629 695 456 FCFA, mais consent à procéder au paiement des sommes restantes, soit 3 661 846 450 FCFA, selon ‘’un calendrier déjà établi’’. Mais ce planning de paiement qui n’a jamais été mis à la disposition des entreprises, avec des détails précis et clairs, continue à soulever la colère du CSEDAA à travers la multiplication des sit-in.
Cependant, les révélations continuent à mettre en lumière des dysfonctionnements majeurs dans la gestion du projet urgent de désenclavement des villages du district d’Abidjan.
De fait, notre enquête révèle que le BNETD a produit trois différents rapports (entre septembre et novembre 2022, entre le 30 décembre 2022 et février 2023). Le deuxième rapport en date du 30 décembre 2022 situait le taux d’exécution global des marchés à 64,05%, correspondant à 6 090 726 125 FCFA sur le montant initial du DQE (9 629 695 456 FCFA).
Les allégations de corruption, de détournement de fonds et de manipulation des montants soulèvent de sérieuses questions sur l’intégrité des responsables du district d’Abidjan et sur leur volonté de respecter les engagements pris vis-à-vis des entreprises participantes.
Montants fluctuants
Notre enquête démontre cela dans plusieurs cas. Pour l’entreprise CARLIRANE, qui a travaillé à Abiate 2, le montant initial en FCFA/TTC, selon son DQE s’élève à 196 035 569 FCFA au compte du district autonome d’Abidjan.
Par ailleurs, le BNETD mentionne un taux d’exécution des travaux de 97 % tandis que le montant réalisé en FCFA/TTC, selon le rapport de vérification-récapitulatif financier des travaux d’électricité effectués par cette institution dans le district autonome d’Abidjan entre 2017 et 2021, d’après le bordereau des prix unitaires (BPU) de l’entreprise, s’élève à 97 876 082 FCFA.
L’entreprise CEDOP, qui a travaillé à SEBIA YAO pour un contrat de 100 004 704 FCFA avec un taux d’exécution des travaux de 100 %, se retrouve sur la liste des paiements à zéro FCFA dans les mêmes conditions.
Sur cette longue liste non exhaustive, GOUGOLE GROUP a conclu un contrat de 188 152 413 FCFA avec un taux d’exécution de 100 % dans la localité de THOMASSET, mais selon le même rapport, il doit percevoir 128 363 898 FCFA (Plusieurs fac-similés).
D’autres entreprises ont eu un DQE TTC approuvé par le BNETD, dont IVOIRE ELECTRO INC, pour les travaux d’extension de réseau électrique BTA/EP (Anyama Yapokoi Extension 2), à hauteur de 44 207 665 FCFA au 12/08 /2021. Cependant, le même rapport du BNETD révèle que le DQE harmonisé s’élève à 48 010 785 FCFA TTC.
En revanche, la société générale d’électricité (SGDE) ayant travaillé à AMANIKRO a cosigné un montant initial de 69 466 298 FCFA avec le BNETD comme étant le Bon pour exécution le 10-9-2021 où il est mentionné à la conclusion : Le devis quantitatif estimatif est validé et approuvé″ (sans réserve) ″ par Léon Ekissi Biity, chef de projet au BNETD. Mais, le DQE harmonisé, ses travaux sont plafonnés à 91 250 591 FCFA (Voir fac-similé).
La variation des montants initiaux, selon le rapport de vérification-récapitulatif financier des travaux par le BNETD sans la nécessité des signatures des trois parties concernées, laisse des zones d’ombre inquiétantes.
‘’Le District n’a pas fait de détournement’’
Dans nos correspondances déchargées, le 12 avril 2023, par les services du district autonome d’Abidjan et du BNETD, nous avons formulé une demande d’informations concernant des documents probants corroborant les déclarations du directeur de la communication, en conformité aux dispositions de la loi n°2013-867 du 23 décembre 2013 relative à l’information d’intérêt public.
Nicolas Baba Coulibaly nous a contacté par téléphone le lundi 26 juin 2023, en soirée, en réponse à notre annonce sur les réseaux sociaux. Il a réitéré que le processus de régularisation des entreprises, ‘’extrêmement complexe’’, était en cours avec un calendrier de paiement établi.
Toutefois, il est demeuré intransigeant quant au montant à verser aux entreprises tel qu’indiqué dans sa note de clarification : « Contrairement aux demandes de ces entreprises, le district autonome d’Abidjan ne doit pas la somme de 9 629 695 456 francs. Néanmoins, il accepte de procéder au paiement des montants restants s’élevant à 3 661 846 450 FCFA, conformément à un calendrier déjà convenu lors de la réunion du 7 septembre 2022. »
Selon lui, après les enquêtes sur le terrain en présence des entreprises elles-mêmes et des chefs de villages, ainsi que la consolidation des évaluations effectuées par le BNETD, le montant total à verser pour les travaux réalisés s’élève à 4 353 846 450 FCFA. Et que la somme de 692 millions de FCFA a déjà été décaissée sur ce montant. « Le District n’a rien détourné. Nous n’avons jamais dit que le District n’allait pas payer, mais sommes dans l’attente du dernier rapport du BNETD », a indiqué M. Baba Coulibaly
Cependant, jusqu’à ce que nous mettions cette enquête sous presse, quelques mois plus tard, le BNETD garde toujours le silence, malgré notre saisine auprès de la Commission d’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics (CAIDP).
Cette enquête achève de renforcer l’opacité qui règne dans la gestion des affaires publiques de l’État ivoirien par le biais de certains organismes publics, censés être des exemples. Elle soulève également des doutes quant à leur volonté de coopérer et de satisfaire des préoccupations légitimes.
SERIBA KONE
ENCADRE
Question de transparence
Avant le début des travaux, toutes les entreprises engagées ont reçu le bon pour exécution où il est mentionné à la conclusion : Le devis quantitatif estimatif (DQE) est validé et approuvé ‘’ (sans réserve)’’. À la fin, un procès-verbal de réception ainsi qu’un document d’attachement ont été transférés, signés et validés par le BNETD et le district autonome d’Abidjan. Ensuite, des factures normalisées ont été établies et déposées au sein du district. Dans un souci de transparence, sur quelle base le district autonome d’Abidjan et le BNETD ont-ils accepté de signer un devis quantitatif estimatif (DQE) avec une soixantaine d’entreprises suspectées de faux après plus de 64% d’exécution des travaux ? Quand sera-t-il possible d’obtenir le devis quantitatif estimatif (DQE) définitif tel que souhaité par le BNETD et le District autonome d’Abidjan, afin de soulager les responsables d’entreprises, dont la majorité sont de jeunes Ivoiriens, qui ont besoin de ces fonds pour faire prospérer leurs activités ? Il est indéniable que l’heure n’est pas encore venue pour eux, malgré l’année proclamée en Côte d’Ivoire comme l’année de la jeunesse.
SERIBA K.
ANNONCE
👉🏿Pourquoi est-ce le nom de l’entreprise PFO CI ou PFO AFRICA, maître d’ouvrage délégué, nommé comme client, qui apparaît sur les factures de paiements des entreprises ?
👉🏿Le district autonome d’Abidjan et le BNETD sont-ils dans la légalité selon les lois qui encadrent la passation des marchés en Côte d’Ivoire ?
👉🏿La vérité sur ces interrogations à lire dans la 2e partie et la fin de l’enquête…