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[Enquête Alerte santé] Nuages de ciment sur le CHU de Treichville et le Port autonome d’Abidjan !

À Treichville, près du boulevard de Marseille, des habitants sont inquiets de la présence accrue de poussière de clinker due à l'activité de cimenteries et d'un port minéralier. Ph. Archives.

-Le mutisme coupable des ministères de la Santé et de l’Environnement

Abidjan, le 30-3-2022 (crocinfos.net) Une catastrophe environnementale s’écrit sous nos yeux sur la quasi-totalité de l’espace sous l’emprise du Port autonome d’Abidjan (PAA) située à Treichville (Abidjan sud) où sont logés l’un des Centres hospitaliers universitaires (CHU) et le centre de santé de ce port. Incursion au cœur d’une mort lente de milliers de  personnes…

Le  Port  autonome d’Abidjan,  poumon  de  l’économie ivoirienne, continue d’être compétitif et d’affirmer son leadership sur la côte ouest africaine. Il a franchi pour la première fois, selon son directeur général, Hien Sié, la barre de 25 millions de tonnes de marchandises en 2019 avec 25.738.345 tonnes enregistrées, soit une hausse de 6,5 % comparées à 2018. Son trafic contribue à 90 % des recettes douanières du pays et à 60 % du revenu de l’État, 65 % des unités industrielles du pays exercent sur le port, représentant un effectif de 50 000 personnes sur le site.

Cependant, derrière toute cette performance, se cache une catastrophe environnementale qui nuit à la santé directe de plus de 50 000 personnes exerçant quotidiennement sur le site portuaire et celle de 102 580 vivant à Treichville, selon le recensement de 2014. Autant affirmer que plus de mille personnes sont concernées par cette catastrophe environnementale nuisible à la santé, à la vie.

Au cœur de ce scandale, les entreprises de cimenterie : Ciment Bélier, Ciment Cuirasse et Cim Ivoire ainsi que le terminal minéralier de Sea Invest sont pointés du doigt par les internautes, la presse nationale et internationale à cause l’épais nuage de ciment qui envahit l’espace sous l’emprise du Port autonome d’Abidjan (PAA) et du quartier environnant, Treichville. Mais, très vite, les internautes et les médias ont fait porter, pour la plupart, la casquette à Cim Ivoire de CIM Métal Group qui a débuté ses activités en 2018. La dernière des trois sociétés de cimenterie (Bélier en 1952, Cuirasse (SCA) en 1965), elle, a construit une unité de broyage de ciment dans le port d’Abidjan, pour une capacité de production de plus de 2,6 millions de tonnes par an. À l’époque, le nom du cabinet Environnement technologie Côte d’Ivoire (Envitech-CI) a même été cité, ce qui nous a donné un indice important.

Les pollueurs identifiés mais…

Approché, le cabinet Environnement technologie Côte d’Ivoire (Envitech-CI) du géologue ivoirien, Henri Tahi Bamba, qui a réalisé l’étude d’impact environnemental et social (EIS) avant l’installation de Cim Ivoire SA a indiqué que les résultats du rapport EIS relevaient la correction de l’état initial de la zone déjà saturée de poussière. Un rapport d’étude qui, selon lui, a été validé par la suite par un comité interministériel en présence des différents représentants des riverains et mis a fin au travail du cabinet, Envitech-CI. « Il y a un plan de gestion environnementale et sociale contenu dans l’étude d’impact, qui est contrôlé par deux structures étatiques : l’Agence nationale de l’environnement et le Centre ivoirien antipollution (Ciapol) »,a insisté Henri Tahi Bamba.

Le rapport de mesure des paramètres environnementaux

Rencontré, le directeur général du Centre ivoirien antipollution (Ciapol), Martin Dibi Niagne, a révélé que sa structure a identifié deux entreprises d’où proviennent les nuisances : Sea Investet la Société de ciments d’Abidjan (SCA). « Sea Invest parce qu’au niveau de leur terminal minéralier, lorsque les bateaux arrivent, chargé de clinker, il y a un déchargement qui est effectué et les éléments utilisés pour faire le déchargement ne sont pas adaptés. Quant à la société SCA, elle est indexée parce qu’elle n’est pas connectée à une tour et utilise les camions pour transporter la matière », révèle-t-il.

Soro Nagolo, directeur général de la Société des Ciments d’Abidjan (SCA) rejette du revers de la main toutes les accusations et affirme que des dispositions sécuritaires ont été prises pour lutter contre la pollution. « Dans sa politique de minimiser l’émanation de la poussière issue de son activité, la direction de la SCA a mis en place un dispositif intégré de lutte contre la poussière prenant en compte le bêchage de sa flotte de camions, l’abattage des poussières par brumisation, l’arrosage et balayage des voies et à l’usine sans oublier le renforcement des installations des filtres dans l’usine. En outre, elle entend renforcer sa capacité de gestion de l’environnement par l’installation de sa bande transporteuse des matières premières fin 2023.

Cependant il faut bien reconnaître que l’activité de cimenterie au port s’exerce dans un espace de surconcentration excessive qui inclut l’espace de déchargement des navires étroit, la voirie totalement dégradée, les lieux d’entreposage souvent distants de ce qui interdit toute prétention d’élimination des transports par camions», justifie-t-il.

Sea Invest, opérateur international de terminaux pour le vrac, note dans sa réponse à notre questionnaire l’importance de la problématique des émanations de poussière dans cette aire. « Plusieurs acteurs y opèrent et il est, nous en sommes convaincus, important que chacun s’assure, à son niveau, du respect des normes environnementales en vigueur sur son site avec les investissements dans des équipements à la hauteur du défi à relever », se défend la société. Selon elle, « d’autres critères entrent également en ligne de compte tel le taux de fines présentes dans le clinker déchargé, qui peut varier de manière significative selon les importations, et qui joue un rôle important dans la capacité de captation de la poussière ».

En réponse à notre courrier du 10 mai 2021, le directeur développement à Lafarge Holcim, producteur de Ciment Bélier créé en 1952, Paul Anet, a expliqué que son entreprise travaille à réduire de 40% ses émissions de CO2 par tonne de ciment. « C’est un objectif réalisable grâce à l’amélioration de nos procédés, à la substitution des énergies fossiles par des combustibles alternatifs », explique-t-il.

Quant à la société Cim Ivoire SA, elle a corrigé, selon elle, le mal existant par de gros investissements en construisant une tour au quai minéralier. « Nous fonctionnons en circuit fermé, pas d’émission de poussière et nous sommes à la pointe de la technologie sur le plan environnemental. Nous sommes dotés d’un broyeur d’une capacité de 360 tonnes/heure, soit le plus important de la sous-région », indique le directeur général Essam Daoud.

Le constat sur le site montre bien que la société est connectée à la tour au quai minéralier. « Notre autre particularité est que nous sommes les seuls, à ce jour, à être connecté directement au quai minéralier du port d’Abidjan par des convoyeurs qui permettent d’acheminer le clinker directement vers les silos de stockages. Cela garantit une qualité irréprochable de stockage de la matière première réduisant par la même occasion le flux de transport par camions et les émissions de poussières. »

L’Agence nationale de l’environnement (Ande) quant à elle, exige un plan de gestion environnementale ou un audit avec un arrêté (qui décrit les prescriptions des normes) que doit respecter l’opérateur.  « Dans les textes du Centre ivoirien antipollution (Ciapol), par exemple, un opérateur est visité deux fois dans l’année. Cependant, en cas d’urgence, une équipe est diligentée pour faire la visite des lieux », soutient un responsable de l’Ande.

En réponse à notre requête du 10 mai 2021 dont copie a été transmise à la Commission d’accès à l’information et aux documents publics (Caidp) le ministère de l’Environnement et du Développement durable indiquait dans son courrier du 15 juillet 2021, qu’il était dans l’attente du rapport d’inspection ‘’sur cette éventuelle pollution’’. « C’est l’analyse de ce rapport d’inspection qui, aux termes de l’article 20 du décret n°98-43 du 28 janvier 1998, relatif aux installations classées pour protection de l’environnement, permettra de donner une réponse appropriée à la demande de Monsieur Sériba Koné», répondait en substance le directeur de cabinet, Parfait Kouadio. De mai 2021 à ce jour, malgré nos relances, c’est le statu quo, mais la pollution environnementale de l’espace portuaire et ses environs demeurent une réalité.

Le rapport transmis par le PAA cloue le bec à tous

Dans nos démarches, le PAA nous a transmis via la Caidp, un rapport de 56 pages intitulé : ‘’Mesure des paramètres environnementaux et SST (Ndl : Santé sécurité au travail) de PAA’’ réalisé par le laboratoire Trissama conseils et stratégie Sarl sous la supervision de Yoronin Pierre.

Le rapport dont nous avons reçu copie explique que l’analyse de la qualité de l’air se fait à partir des particules les plus nuisibles pour la santé dont le diamètre n’excède pas 10 microns (s PM10). Ces particules peuvent se loger en profondeur dans les poumons. « L’exposition chronique aux particules est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires et respiratoires, et de cancer de poumon», révèle le rapport qui nous a été expliqué par Nahounou Daleba de l’ONG Jeunes volontaires pour l’environnement (JUE), responsable de la justice sociale et des programmes climatiques.

…qui confirme la catastrophe environnementale dans les zones de cimenterie et au centre médicale d’analyse du PAA

Quant aux matières particulaires d’un diamètre aérodynamique inférieur à 2,5 micromètres, appelés PM 2.5, elles représentent la masse volumique de particules en suspension dans l’air qui pénètrent dans les voies respiratoires dont on estime qu’elles contribuent aux effets sanitaires observés dans les environnements urbains et professionnels. « Les PM 2.5 comprennent des polluants comme le sulfate, les nitrates et le carbone noir, qui pénètrent profondément dans les poumons et dans les systèmes cardiovasculaires, ce qui représente un risque grave pour la santé humaine», indique le rapport.

Au total, 144 mesures ont été effectuées dans 72 zones concernant les particules dans la poussière dans l’air. Pour les mesures des PM 2.5, le rapport relève que, les 72 zones ayant fait l’objet de mesure, 32 sont non conformes, soit 44% ; 56% d’entre elles sont conformes soit 56%.

Le rapport est sans équivoque, tant il révèle la réelle catastrophe environnementale même si les différentes cimenteries et le quai minéralier montrent pattes blanches.

Par exemple, du clinker au quai 14 Sea Invest, en Zones des ciments entrée PC3 face Cim Ivoire, face à Lafarge, entrée Usine SCA en passant par  la salle de prélèvement du centre médical d’analyse, le couloir du centre médical, toutes ces zones sont ‘’non conformes’’ aux types de particulesPM10et PM 2.5, selon les valeurs de mesures µg/m3 en rapport avec l’arrêté N°01164 du 04/11/2008 et le décret N°2017-125 du 22/02/2017.

En dehors des espaces ouverts dont les résultats dépendent de la condition environnementale de la localisation de l’entreprise, il faut organiser un entretien général du système de climatisation suivi d’un nettoyage total, et aussi refaire les mesures des zones incriminées après la mise en œuvre des actions, conseille comme actions immédiates, Yoronin Pierre.

Depuis plus d’une décennie, la pollution atmosphérique de la zone portuaire et ses environs est décriée, mais aucune solution pour pallier cet état de fait. La délocalisation de ces entreprises pollueuses s’impose pour la santé d’une population de Treichville évaluée à environ 102 580 habitants, selon le recensement de 2014, et des 50 000 personnes qui travaillent au quotidien sur le site du Port autonome d’Abidjan.

Sériba Koné

kone.seriba67@gmail.com

Encadré 1

Le mutisme accusateur et pourtant…

Dans un courrier du 7 mai 2021 au ministère de la Santé et la saisine du 9 juin 2021 au président de la Caidp, la rédaction souhaitait avoir les statistiques liées aux maladies causées par la pollution atmosphérique dans le district d’Abidjan et les rangs qu’occupent la Cité du Port et la commune de Treichville. Y avait-il des solutions prévues ? On demandait ces documents, loin d’être confidentiels pour mieux crédibiliser nos écrits, mais les portes nous sont restées fermées. Même nos démarches personnelles auprès de certaines sources n’ont pas abouti. Pourtant, le point focal de la Caidp auprès du ministère de la Santé a toujours été réactif. Pourquoi alors ce mutisme sur une mort lente programmée d’une zone à forte densité de travailleurs et de populations qui, pour la majorité, subissent les effets collatéraux de cette pollution ? Nos colonnes restent ouvertes pour actualiser les données.

Au ministère de l’Environnement et du Développement durable, le courrier a été déchargé le 10 mai 2021 et la saisine le 9 juin, mais plus de dix mois après, le ministère ne nous a pas encore transmis le rapport d’inspection qui, aux termes de l’article 20 du décret n°98-43 du 28 janvier 1998, relatif aux installations classées pour protection de l’environnement, permettra de donner une réponse appropriée à notre requête. Simple refus de donner le document communicable ? En tout état de cause, la page est vite tournée sur notre requête pour la 15e Conférence des parties de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et la sécheresse (Cop 15) prévue du 9 au 20 mai 2022 à Abidjan.

Sériba.K.

Encadré 2

Le rapport oui, mais …

C’est sans difficulté que la direction générale du Port autonome d’Abidjan nous a transmis ce rapport édifiant. Seulement, pour le rendre plus compréhensible, le laboratoire Trissama conseils et stratégie Sarl supervisé par Yoronin Pierre nous a indiqué qu’il était lié par un contrat de confidentialité avec le PAA. Conséquence, il a décliné toutes nos sollicitations pour élucider les zones scientifiques du rapport.

Pour rendre explicites ces données scientifiques complexes, nous avons approché le géologue Nahounou Daleba de l’ONG, Jeunes volontaires pour l’environnement (JUE), responsable de la justice sociale et des programmes climatiques. C’est l’une des difficultés majeures à laquelle nous avons été confrontés, lors de notre enquête dans le cadre de l’accès à l’information d’intérêt public.

S.Koné

NB : Cette enquête a été réalisée grâce au soutien financier de la Fondation des Médias pour l’Afrique (MFWA) basée au Ghana.

 

 

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