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[Gyrophares à Abidjan] Un privilège détourné qui encombre les routes (Par Vincent Toh Bi Irié)

Il y a un abus des gyrophares à Abidjan. A titre d'illustration.

-Ça fait désordre

Abidjan, Côte d’Ivoire, le 22 août 2024 (crocinfos.net)—Avez-vous constaté comme moi qu’il y a trop de cortèges officiels et de voitures avec gyrophares à Abidjan et dans le pays? On a l’impression que le nombre de personnalités légalement bénéficiaires de ces privilèges a été multiplié par mille.

Les règles du Protocole d’État n’ont pas beaucoup changé. Mais les bénéficiaires de certains privilèges ont considérablement augmenté.

En plus des Présidents d’Institutions et des Ministres, il se trouve aujourd’hui que des Sénateurs, des Députés, des Présidents de Conseils Régionaux, des Conseillers Économiques et Sociaux, des Maires et même des hauts fonctionnaires et simples Chefs de Services s’arrogent le droit de disposer de gyrophares à des endroits de leurs véhicules pour pouvoir vite passer dans les embouteillages d’Abidjan. Même les gbakas d’Abidjan, l’ayant compris, ont acquis des gyrophares. Le temps que vous dégagiez la route pour laisser passer le véhicule derrière vous qui se signale avec nervosité dans vos rétroviseurs avec gyrophares, pensant que c’est un cortège officiel, une ambulance ou un véhicule du GSPM, c’est un gbaka éclairé qui fonce droit avec des passagers et vous prend la priorité .

J’ai même vu dans un quartier supposé huppé d’Abidjan des jeunes d’une importante communauté non nationale s’amuser à faire des cortèges avec sirènes et gyrophares la nuit juste pour s’amuser.

Si vous ne respectez pas les règles de votre pays, ceux qui vivent chez vous ne respecteront pas les règles de votre pays. Et ils finiront par ne pas vous respecter vous-mêmes.

Je n’ai jamais vu autant de véhicules avec gyrophares et de cortèges officiels qu’en Côte d’Ivoire.

‘’Si vous ne respectez pas les règles de votre pays, ceux qui vivent chez vous ne respecteront pas les règles de votre pays.’’

Ce n’est pas aux officiels ou aux autorités de pousser sur le bas-côté de la route les masses laborieuses, grâce à leurs gyrophares et leurs sirènes, afin d’arriver les premiers au travail, à l’Eglise, à la Mosquée, à la plage, au restaurant, à la maison. Il faut simplement améliorer les conditions de fluidité routière pour tout le monde.

À l’époque d’Houphouët-Boigny, il n’y avait que lui et quelques rares Présidents d’Institutions qui avaient droit aux cortèges officiels, aux gyrophares et aux sirènes. Même les Préfets et Sous-Préfets, qui, selon les règles classiques du Protocole d’État, sont les seuls à pouvoir circuler avec le drapeau de la République et des cortèges officiels ne le font pas. Mais les autorités dont ils assurent souvent la hiérarchie se donnent accès à des préséances protocolaires.

Ça fait désordre dans la République.

Sur l’autoroute, sur les routes nationales, ce sont de hauts fonctionnaires et même des gens du privé qui mettent leurs gyrophares pour arriver dans leurs villages avant tout le monde et auréolés de gloire.

Quand j’étais à des fonctions antérieures, un Monsieur qui s’est certainement trompé d’interlocuteur, est venu me demander, pour des raisons de sécurité personnelle à lui, que je lui fasse octroyer deux gardes de corps et un cortège. Moi-même à qui tu fais cette requête, et qui dans le cadre de ses responsabilités officielles, prends des décisions impopulaires et deviens par conséquent une cible potentielle de groupes sociaux mécontents, je n’ai ni cortège ni 2 gardes de corps. Et c’est toi, grand inconnu dans la République, qui veux avoir les mêmes privilèges que le sommet de l’État.

Si vous n’empêchez pas les citoyens de bénéficier de privilèges auxquels ils n’ont pas droit, vous consolidez leurs privilèges illégaux et illégitimes, qui deviennent des droits acquis au bout de quelque temps. Quand vous voudrez, demain, leur appliquer un fonctionnement normal, ils trouveront que vous leur enlevez des privilèges naturels auxquels ils ont toujours eu droit.

Pareillement, si vous laissez des populations s’installer impunément dans les bas-fonds, dans des talwegs, dans des zones non constructibles ou sur des terrains stratégiques réservés de l’État, vous aurez des problèmes pour les en déguerpir demain, car après 5 ou 10 ans, ils seront convaincus que ces occupations et terrains illégaux sont une propriété familiale à transmettre de génération en génération. Quand vous chercherez à les déguerpir, il se posera de grands problèmes sociaux et …politiques.

Il est évidemment plus facile de dépenser quelques millions de francs pour empêcher l’occupation par des populations de domaines publics ou interdits que de payer des dizaines de milliards de francs pour indemniser des personnes brutalement dépossédées de terrains auxquels ils n’avaient d’ailleurs pas droit.

‘’(…)Si vous laissez des populations s’installer impunément dans les bas-fonds, dans des talwegs, dans des zones non constructibles ou sur des terrains stratégiques réservés de l’État, vous aurez des problèmes pour les en déguerpir demain (…)’’

Il en est de même de certains privilèges de la République que s’arrogent des personnes qui n’y ont pas droit.

Si j’écris cette chronique, qui est loin d’être anecdotique, c’est pour attirer l’attention sur le fait que si notre vie politique est si difficile et compliquée en Côte d’Ivoire, si nos élections sont si chaotiques et calamiteuses, ce n’est pas toujours parce qu’il y a des Malinkés, des Bétés et des Baoulés, le Sud, le Centre, l’Ouest et le Nord. C’est aussi à cause du besoin d’accès aux privilèges et opportunités que confère une positon politique.

Les pulsions, ambitions et désirs personnels font alors passer leurs élans personnels sous l’habillage de problèmes ethniques et régionaux dont s’empare le toujours naïf petit peuple pour un combat par procuration au bénéfice d’assoiffés de privilèges.

Vincent Toh Bi Irié

NB : Le titre est de la rédaction et le sous-titre de l’auteur

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