-« Guillaume Soro a un destin national»
-«Un livre sur l’affaire des caches d’armes serait d’un grand intérêt»
Journaliste professionnel, premier vice-président des journalistes de l’Organisation nationale des journalistes d’investigation de Côte d’Ivoire (ONJI-CI) et auteur de plusieurs essais politiques, Alexandre Lebel Ilboudo n’est plus à présenter en Côte d’Ivoire. À l’occasion de l’an 1 de la sortie de sa 5ème œuvre qui porte sur Guillaume Soro et qui coïncidait avec l’anniversaire de ce dernier, l’écrivain revient sur ce qui l’a motivé à écrire ce livre. Entretien.
Vous étiez du 21 au 28 avril dernier en Allemagne dans le cadre d’une formation sur l’Art du Reportage. On pourrait se demander qu’est-ce qu’un journaliste de votre trempe a à faire dans une telle formation ?
C’est une formation initiée par la Fondation Friedrich Naumann en collaboration avec l’Akadémie de Berlin. En Côte d’Ivoire nous étions 5 journalistes, quatre de la presse en ligne et un de la presse papier et 5 journalistes Sénégalais. J’ai eu l’honneur d’être coopté sur la base de mon CV pour participer à cette formation. J’étais personnellement curieux de confronter ma pratique du Reportage à celle des confrères allemands, surtout que le formateur Michael Obert est un grand Reporter de renom qui a remporté plusieurs prix. Vous savez que chez nous on a plus de formateurs théoriciens que pratiquants. Or moi j’aime la pratique. Et Berlin a été une occasion pour moi, particulièrement, d’apprendre à l’aune des productions d’un grand Reporter. Vous savez qu’au delà de l’universalité de la pratique journalistique, il y a une dimension essentielle : ce sont les astuces et les subtilités d’une bonne collecte d’informations. C’est pourquoi, j’ai la faiblesse de croire que le journalisme d’investigation est l’avenir de la presse.
C’est quoi un bon reportage, selon vous?
Pour moi, un bon reportage s’apprécie à trois niveaux : la portée du thème abordé, le contenu informatif, et la clarté de l’écriture. Quand un article renferme ces qualités, c’est un bon reportage.
Ça vous fait quoi, 8 ans après votre sacre du Prix CNN Multichoice en journalisme d’investigation, de savoir qu’aucun autre confrère ivoirien ne l’a plus remporté ?
Je fais aussi le constat comme vous qu’après mon sacre à la quinzième édition du Prix CNN en 2010 à Kampala, aucun journaliste ivoirien n’a plus remporté ce Prix. N’allez surtout pas penser que ce sont des productions de qualité qui manquent. Je pense que les journalistes s’intéressent beaucoup plus aux Prix locaux comme l’Ebony. J’en ai vu qui ont remporté plus d’une fois l’Ebony et qui continuent à postuler chaque année. C’est bien, mais il serait encore intéressant pour le prestige de penser à conquérir des Prix à l’international où le jury est composé de professionnels venant d’horizons divers.
Il y a un an, vous publiez un livre sur Guillaume Soro, intitulé «Ambition légitime». Dans ce livre, vous l’exhortiez à créer son parti. Défendez-vous toujours cette idée?
Effectivement le 08 mai 2017, jour anniversaire du président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro, j’ai publié mon cinquième essai politique dans lequel j’exposais des faits (pour rester coller à ma formation de journaliste) qui dénotaient une certaine malveillance du RDR vis-à-vis du personnage central de mon essai. Ce livre était avant tout l’expression de mon rejet de l’injustice. Je n’admets pas que ceux qui ont été victimes hier de ces pratiques, les reprennent à leur compte, surtout contre l’un des leurs. J’estime que la reconnaissance est une valeur cardinale que ceux qui en font fi finissent toujours par payer, d’une manière ou d’une autre. Dans ce livre, vous verrez que je n’ai pas fait que dénoncer à l’aune des faits l’acharnement dont était victime Guillaume Soro. J’ai émis des orientations et fait des suggestions. J’ai estimé que les relations entre celui que Ouattara appelle «jeune homme» et le RDR s’apparentaient beaucoup à celles du cavalier et du cheval. Une relation dans laquelle le second est condamné à servir le premier sans possibilité d’un retour de l’ascenseur. Cette caricature illustrait la situation qui prévalait bien au moment où j’écrivais ce livre. C’était un facteur contextuel incontestable. Seulement que les choses évoluant, surtout à un rythme effréné, Guillaume Soro a pu sans doute sonder toutes les possibilités qui s’offraient à lui et opérer le choix qui sied le mieux à ses convictions. Et ses convictions ici, me semble-t-il, c’est de demeurer loyal et fidèle au président Alassane Ouattara en dépit des ragots de palais et autres vilénies. Donc pour répondre à votre question, Guillaume Soro n’était en rien obligé d’aller dans le sens de ma proposition. Tout comme, et je tiens à le préciser, cet essai ne l’engage en rien. Ma satisfaction est d’avoir pu écrire et assumer pleinement dans un contexte aussi critique ce livre que j’exhorte surtout les lecteurs à lire.
D’aucuns disent qu’un bon journaliste doit être neutre. Vous avez fait fi de cette règle en tant que grand Reporter?
C’est une grave erreur de croire qu’un journaliste ne devrait pas avoir de parti pris. Le fait de dénoncer est en soi déjà un parti pris. En dehors de l’équilibre de l’information qui est une règle sacro-sainte du journalisme, je ne vois pas comment un journaliste peut jouer son rôle de contre-pouvoir en étant neutre. Comment il peut exercer un regard critique sur le pouvoir politique ou judiciaire en étant neutre. C’est comme si vous me demandiez si un journaliste a le droit de militer dans un parti politique. Je vous répondrai par l’affirmative. C’est pourquoi, vous en voyez beaucoup dans les journaux inféodés aux partis politiques. Mais ils sont tenus de respecter les règles du métier. C’est pourquoi il existe une Autorité Nationale de la Presse (ANP) ex-Conseil National de la Presse pour réguler le secteur.
Vous êtes donc un pro-Soro?
Mes convictions lui sont acquises. Je suis admiratif de son jeûne âge, de son courage, de son intelligence et de son parcours. Il est indéniable, qu’on l’aime ou pas, qu’il a un destin national. Il plaira certainement à Dieu, l’Incréé Créateur, de décider du moment et des circonstances pour l’accomplissement de cet ‘’oracle’’.
Malgré son passé de rebelle?
On ne saurait parler de la rébellion ivoirienne en faisant fi du contexte qui a prévalu à son avènement. Ça n’aurait pas été Guillaume Soro que quelqu’un d’autre l’aurait fait dans la quête d’une plus grande justice sociale en Côte d’Ivoire. Les rebellions ne naissent pas par hasard, elles sont toujours la conséquence d’un déni de droit ou d’un déficit de justice sociale. J’ai souvenance des frustrations, brimades, exactions, vexations et autres avanies dont ont été l’objet de nombreux ressortissants du Nord dans les années qui ont suivi la disparition du président Houphouët. En ce temps-là, il ne faisait pas bon porter un nom à consonne nordique. Qui ne se souvient des rafles opérées par des forces de l’ordre particulièrement tatillonnes et ‘’sectaires’’ qui semblaient s’être passé le mot pour humilier les Touré, Coulibaly, Camara, Ouattara, Cissé, Dramane, et j’en passe. La rébellion dont il faudra un jour écrire l’histoire, sans a priori et sans passion, procède donc de la longue maturation du sentiment d’injustice subi jadis par toutes ces personnes, innocentes victimes collatérales de la’’ guerre des héritiers’’ qui opposait alors les présidents Bédié et Ouattara pour la succession du Vieux. Je ne suis pas de ceux qui ne voient que la conséquence et refusent de voir la cause. A ce propos, il ne me déplait pas de rappeler la belle citation du célèbre avocat français Jacques Vergès surnommé ‘’l’avocat du diable’’, qui, parlant de la guerre d’Algérie et de ses excès, disait et je cite : « Les poseurs de bombes sont des poseurs de questions ». Je n’en dirai pas plus sur ce délicat sujet.
Nous avons appris que vous sortez prochainement un livre-enquête sur l’affaire des caches d’armes en Côte d’Ivoire?
Je crois que pour la bonne information du public et de l’opinion, l’enquête judiciaire qui semble sélective ne saurait fournir une totale compréhension des faits. Ce pourrait donc être un livre de grand intérêt pour le public qui ne demande qu’à savoir. Loin des ‘’manigances’’ et des ‘’chausse-trappes’’ auxquelles donne lieu ce genre d’affaires.
Réalisée par Le Montagnard