-‘’ Il ne suffit pas de casser mais, de recaser les gens et de les dédommager’’
Abidjan, 10-02-2021 (crocinfos.net) 24 heures après la démolition de la villa du super ebony 2009 ainsi que celles de plusieurs autres habitants de la ‘’cité Akissi Delta’’, dans la commune de Port-Bouët, le journaliste ivoirien, Super Ebony 2009, Jean-Roche Kouamé, s’est confié à crocinfos.net. Bien que totalement abattu par ce “malheur’’ qui l’a frappé de plein fouet mardi 9 février 2021, il s’est prêter à nos questions dans le but de donner sa version des faits et apporter des éclairages sur cette affaire.
Jean-Roche Kouamé, pouvez-vous nous faire la genèse de l’affaire du déguerpissement de certains habitants de la cité Akissi Delta dans le cadre de la construction de l’autoroute de Grand-Bassam, dont vous en faites partie ?
C’est à l’édition 2009 de la nuit de la communication 2009, que le promoteur Yed Benson, directeur général de Proxim Finances, partenaire privilégié de l’Union national des journalistes de Côte d’Ivoire (Unjci) a décidé d’octroyer une villa au Super Ebony de l’année 2009. C’était la superbe villa de 5 pièces.
En août 2011, l’Unjci et son partenaire m’ont remis officiellement les clés sur le site, à la cité Akissi Delta. En 2015, je me suis rendu à la cité pour y faire des travaux et y habiter. Donc depuis 2015, j’habite la cité. On a essayé de mettre les commodités, parce qu’il n’y avait pas de courant et d’eau.
En association avec les autres résidents, nous avons contacté un opérateur économique qui a payé le transformateur sur lequel nous nous abonnons en payant 500 000 FCFA pour avoir le courant. On n’a pas l’eau de Sodeci, mais des puits avec des suppresseurs que nous-mêmes avons installés pour faire nos besoins.
‘’Ceux qui ont vendu le site au promoteur, c’est les familles Yace et Mensah qui étaient les propriétaires terriens. C’est avec ces familles que Yed a eu le terrain’’.
Pendant qu’on était sur la cité, c’est là que les travaux de l’autoroute ont commencé en 2012 (il ne se rappelle pas très bien de la date). Ceux qui ont vendu le site au promoteur, c’est les familles Yace et Mensah qui étaient les propriétaires terriens. C’est avec ces familles que Yed a eu le terrain. Donc, je suppose qu’il a fait presque toutes les démarches qu’il faut pour pouvoir monter son opération immobilière. C’est fort de cela que l’Unjci est entré en contact avec lui afin qu’il soit partenaire de l’édition 2009 des Ebony.
Quand l’autoroute a été réalisée, il est écrit dans les textes que les topographes et autres connaissent, que l’autoroute devait passer sur l’ancienne voie de Grand-Bassam et les techniciens ont estimé que compte tenu de l’érosion côtière, ce n’était pas prudent de construire l’autoroute là-bas, il fallait la déplacer. C’est ainsi que les techniciens ont fait un nouveau tracé, et c’est ce nouveau tracé qui passe à côté de la cité Akissi Delta.
Ils se sont arrangés pour ne pas que l’autoroute traverse la cité. Donc nous, on est à la lisière de l’autoroute. Les premières maisons, il y en a qui sont à 10 mètres de l’autoroute. Ça, ce n’est pas de notre fait. Nous pensons que si, pendant la construction de l’autoroute, ils ont estimé que les maisons étaient proches, c’est en ce moment-là qu’il fallait qu’ils nous disent : « On va vous dédommager mais, on sera obligé de raser vos maisons si on fait les démarches qu’il faut ». L’autoroute prend fin en 2014, et le président de la République prend un décret faisant état de ce que, de chaque côté de l’autoroute en construction, les maisons doivent être à plus de 100 mètres. Le malheur, c’est que nous avons été informés simplement que nous sommes sous l’emprise de l’autoroute.
Donc, vous n’avez jamais été sommés de quitter les lieux ?
En 2016, ils sont venus nous donner des sommations de mise en demeure. Ils ont pris le décret en 2014, et en 2016, ils ont donné les premières mises en demeure. Ils sont venus distribuer aux gens qui étaient plus proches de l’autoroute.
Comme nous, on se sentait concerné, parce que nos maisons étaient dans le rayon des 100 mètres exigé, nous sommes allés à la direction du domaine en vue de rencontrer les responsables.
‘’Nous ne sommes pas des clandestins ou encore des illégaux. C’est grâce à une opération immobilière que nous sommes là, et je pense que le promoteur a respecté tout ce qu’il faut. S’il y a une erreur quelque part, ce n’est pas de notre faute. C’est au niveau de l’administration’’.
Après leur avoir expliqué nos positions, ils nous ont dit de quitter les lieux. « Mais, on quitte comment et à quelle condition ? »
On ne peut pas venir nous dire de quitter nos maisons simplement comme cela, puisque nous ne sommes pas arrivés là par hasard. Nous ne sommes pas des clandestins ou encore des illégaux. C’est grâce à une opération immobilière que nous sommes là, et je pense que le promoteur a respecté tout ce qu’il faut. S’il y a une erreur quelque part, ce n’est pas de notre faute. C’est au niveau de l’administration.
Donc, on a fait ces démarches et le déguerpissement n’a pas eu lieu. Pour nous, on pensait qu’on était au bout de notre peine. Plus tard, la deuxième mise en demeure est arrivée pour dire la même chose, on a fait les mêmes démarches et on a vu que l’affaire devenait très sérieuse. Il fallait s’attacher les services d’un avocat. On s’est constitué un petit groupe, un noyau, avec tous ceux qui sont sous l’emprise des 100 mètres.Vraiment, il fallait qu’on s’entende, qu’on se donne la main pour prendre un avocat qui va défendre le dossier, parce que c’est souvent des dossiers techniques que nous on ne maitrise pas. Nous avons choisi Me Kouablé qui est aujourd’hui notre avocat.
‘’Quand la dernière note est arrivée, ce n’était plus une mise en demeure. C’était plutôt une convocation qui a été suivie de plusieurs communiqués radio et télé, pour nous informer que l’emprise des 100 mètres doit être libérée car, le gouvernement doit commencer le déguerpissement’’
Depuis qu’elle a le dossier en main, nous, on s’était dit qu’on était tranquille. Quand la dernière note est arrivée, ce n’était plus une mise en demeure. C’était plutôt une convocation qui a été suivie de plusieurs communiqués radio et télé, pour nous informer que l’emprise des 100 mètres doit être libérée car, le gouvernement doit commencer le déguerpissement.
On a porté le message à l’avocate qui est entrée en contact avec la direction du domaine publique. Ils étaient en contact lorsque le mardi 9 février, c’est-à-dire hier, on a vu arriver les machines et la police.
S’ils voulaient faire quelque chose dans l’urgence, au moins l’avocat devait être informée afin de nous dire, nous ses clients, que « j’ai tout fait, mais ils vont venir casser vos maisons, donc commencer à ranger vos effets ». On allait avoir au moins le temps de prendre le nécessaire et puis libérer les lieux. Même si on ne sait pas où partir, mais au moins on va sauver nos affaires personnelles. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. La journée, lorsque je suis allé au bureau, c’est de là-bas qu’on m’appelle pour me dire qu’il y a les forces de l’ordre et les machines qui sont entrés de casser la cité.
J’arrive effectivement, je tombe sur l’opération. Voilà comment les choses sont allées très rapidement et aujourd’hui, on est à la rue.
Où as-tu passé la nuit avec la famille suite à la démolition ?
Après la démolition, dans l’urgence, on a pu mettre les effets personnels chez les voisins, ceux qui n’ont pas eu leurs maisons cassées. Dans la soirée, je suis allé prendre trois chambres d’hôtel à Port-Bouët pour que les enfants puissent au moins trouver le sommeil.
Quel est votre dernier recours puisque désormais, vous êtes constitués en une organisation ?
Notre dernier recours, parce qu’apparemment le ministre dit que c’est un décret qui doit forcément s’appliquer. Bon, si le décret doit forcément s’appliquer, nous, on ne s’oppose pas à l’application du décret. Mais, eux qui connaissent les textes, le gouvernement doit aussi comprendre qu’on ne déguerpit pas les gens comme ça. Les mêmes textes disent que pour déguerpir quelqu’un, il faut lui trouver un site de recasement et puis dédommager la personne. Il n’a jamais été question des deux points là : « Un site de recasement et de dédommagement ».
‘’Les mêmes textes disent que pour déguerpir quelqu’un, il faut lui trouver un site de recasement et puis dédommager la personne. Il n’a jamais été question des deux points là’’.
On n’a jamais abordé ça. Depuis 2014 que cette affaire a commencé, tout ce que nous avons entendu, c’est :« libérer l’emprise des 100 mètres ».
Donc, ce qui veut dire qu’il y a une affaire judiciaire en cours ?
On va demander à l’avocat ce qu’elle compte faire. Mais, en attendant, dans l’urgence là, nous on fait quoi ? On est dehors. Quand on parle, on nous dit pourquoi on parle ? On dit que moi, par exemple, je suis allé m’exprimer sur les antennes pour dire que ma maison est la maison la plus démolie de la cité. Tout cela parce que je suis allé parler sur les réseaux sociaux. C’est normal, je suis journaliste, c’est mon droit. Vous venez détruire ma maison, je ne dois pas parler ? Maintenant, ceux qui ont détruit, sont partis, chacun est allé dormir dans sa maison. Nous, on est dehors.
J’interpelle le Premier ministre pour qu’il fasse quelque chose en urgence parce que pour l’instant, je dois aller à Bonoua pour mettre mes bagages en lieu sûr. Mais, tout ça va durer combien de temps ? On va profiter des congés de février pour mettre également les enfants à l’abri de tout ça.
Je crois que la manière dont ils ont procédé n’était pas la solution ! Moi dans mon cas, je ne me suis pas levé pour venir payer un terrain quelque part et puis bon, je suis frappé par la mesure. C’est l’Union nationale de journalistes de Côte d’Ivoire, en partenariat avec un opérateur économique, qui m’a dit qu’il allait me donner une villa à travers mon prix de Super Ebony 2009, ce qui a été fait. J’ai fait d’importants travaux dans la villa pour y habiter. On ne se lève pas un matin comme ça pour dire que :« ceux-là, il y a longtemps, on leur dit de partir ». Surtout pour les gens qui ne connaissent pas le dossier. De partir où et comment ? Vraiment que nos autorités comprennent qu’il ne suffit pas de casser mais, de recaser les gens et de les dédommager !
Entretien réalisé par téléphone par Sériba Koné, décrypté par Médard Kouassi
Encadré : Les trois étapes de la gestion foncière
Selon un juridique expert proche du ministère de la Construction, la Côte d’Ivoire a connu trois étapes en gestion foncière : De 1972 à 1987, de 1987 à l’annexe fiscale de loi des finances de 2002, et la réforme de 2013 à nos jours, qui a mis sur pied un document unique : l’Arrêté de concession définitive (ACD).
Ainsi, de 1972 à 1987, la Société d’équipement des terrains urbains (Setu) en tant que structure d’État constituait des réserves foncières au nom et pour le compte de l’État (parcelles morcelée, lotissement administratif qui n’a pas besoin d’arrêté d’approbation de plan de lotissement, parce que c’est un lotissement administratif, qui est fait par l’État). « À l’époque pour avoir une lettre d’attribution, le demandeur saisissait le ministère de la Construction qui répondait en lui demandant de payer le prix du terrain dans les caisses de l’ex-Setu. C’est quand la personne prouve le paiement, à travers une attestation de paiement ou une valable quittance que la Setu lui permet d’engager ses procédures », indique notre interlocuteur.
De 1987 à l’annexe fiscale de loi des finances de 2002, l’État avait institutionnalisé à travers le décret de liquidation de l’ex-Setu, l’acte administratif valant Arrêté de concession provisoire (ACP) avec la naissance de l’ex-DVI (Direction des ventes immobilières). « L’État ne faisait plus des lettres d’attribution sur les terrains, mais des actes administratifs de vente, signés par trois entités : l’acquéreur du terrain, le directeur général de la Direction des ventes immobilières et le ministre de la Construction. Cela avait valeur de l’ACP avec lequel le demandeur pouvait obtenir le certificat de propriété et autres », précise notre source.
De la réforme de 2013 à nos jours, l’État a créé un guichet: l’ACD, qui définit la qualité de propriétaire foncier. Malheureusement, le Super Ebony 2009, Jean Roche Kouamé et les autres sont victimes de l’origine douteuses des documents administratifs liés à ce site.
Sériba Koné