OBSERVATIONS FINALES ET RECOMMANDATIONS DU COMITÉ AFRICAIN D’EXPERTS SUR LES DROITS ET LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT (CAEDBE) SUR LE RAPPORT INITIAL DE LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE SUR LE STATUT DE MISE EN ŒUVRE DE LA CHARTE AFRICAINE SUR LES DROITS ET LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT
La République de Côte d’Ivoire, représentée par l’ex DPEM me Sandrine N’Doly Kraidy a présenté son rapport initial sur la mise en œuvre de la CADBE au cours de la 29èmesession ordinaire du CAEDBE (Mécanisme de surveillance) qui s’est tenue du 02 au 09 mai 2017 à Maseru (Lesotho). Cela a été possible grâce aux actions de plaidoyer menées par les organisations de la société civile avec le lead du Forum des ONG d’aide à l’enfance impliquant les organisations d’enfants (AEJT, Coalition et PECI), le RAMEDE-Côte d’Ivoire avec l’appui technique et financier de Save the Children. Pour ce faire un Groupe de Travail composé d’OSC, d’acteurs de Médias et d’Organisations d’enfants a été mis en place. Les rencontres du GTP avec la CNDHCI, le ministère de la Famille, le Médiateur de la République, interviews, article de presse et conférence de presse (Venue de l’UCOA) ont amené le gouvernement à soumettre son rapport initial. Une des conditions pour influencer le gouvernement à la soumission de son rapport initial était que la Société soumette et présente son rapport appelé complémentaire. Ce processus a été fait et a connu son épilogue à Banjul au cours de la 27ème session du CAEDBE.
Il faut dire que la Côte d’Ivoire a ratifié la CADBE en 2002 et déposé l’instrument de ratification en 2007. Conformément à l’article 43 de cette convention tout Etat partie l’ayant ratifié doit soumettre un rapport initial 2 ans après la ratification et un rapport périodique tous les 3 ans. Le rapport initial de la Côte d’Ivoire devrait être dû en 2009. Ce n’est qu’en décembre 2015 que cela a été fait.
Suite au rapport initial présenté par l’Etat et après analyse du rapport complémentaire de la société civile, le CAEDBE a présenté les progrès réalisés par la Côte d’Ivoire, ses domaines de préoccupations et a fait des recommandations au gouvernement ivoirien.
Au titre des progrès :
- la création de la CNDHCI
- la construction de plus d’écoles et d’établissements de soins de santé dans les différentes régions
- la gratuité de l’enseignement primaire et des services de soins de santé;
- la création des parlements pour enfants
- l’amendement de la loi sur la nationalité
- l’adoption d’une PNPE
Au titre des domaines de préoccupation et recommandations
Mesures générales de mise en œuvre
- Inexistence d’un code de l’enfant
- Accélérer le processus d’adoption du Code. Au cours de l’adoption dudit Code, le Comité recommande que le gouvernement harmonise les questions relatives aux droits de l’enfant conformément à ses obligations mondiales et régionales
- Encourage le gouvernement à allouer suffisamment de ressources financières et humaines pour la mise en œuvre intégrale de la PNPE.
- mettre en place un mécanisme adéquat de collecte de données ventilées afin de recueillir des informations susceptibles d’enrichir les politiques et les lois élaborées par le gouvernement
- le Comité recommande au gouvernement de développer un mécanisme de coordination entre ses acteurs des droits de l’enfant.
- le Comité demande au gouvernement de la Côte d’Ivoire de concevoir un système dans lequel l’allocation budgétaire est évaluée en fonction des différents facteurs qui reflètent les besoins des enfants, comme la croissance démographique des enfants et leurs besoins spéciaux
- Le Comité encourage également la diffusion de ces observations finales et recommandations, ainsi que le rapport de l’État partie parmi les nombreux acteurs.
Définition d’un enfant
Le Comité note qu’il n’existe pas de définition claire de l’enfant en vertu des lois de Côte d’Ivoire. À cet égard, le Comité recommande au gouvernement de la Côte d’Ivoire de définir un enfant comme étant une personne âgée de moins de 18 ans, tel que consacré dans la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.
Le Comité, tout en comprenant que l’âge minimum du mariage soit fixé à 18 ans pour les filles et à 21 pour les garçons, est très préoccupé par le fait que les filles puissent se marier à l’âge de 16 ans avec le consentement des parents. Le Comité tient à souligner que la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant interdit tout mariage d’un enfant âgé de moins de 18 ans et ne prévoit aucune exception à ce propos. Par conséquent, le Comité recommande fortement à l’État partie d’examiner son âge minimum de mariage pour les filles et de le fixer à 18 ans sans aucune exception.
Principes généraux
Non-discrimination
Le Comité a observé dans le rapport de l’État partie que les enfants nés hors mariage ne peuvent être reconnus que par l’épouse légale et que les enfants nés d’une relation incestueuse ne sont reconnus que lorsque le mariage de leurs parents est autorisé. Le
Comité recommande à l’État partie d’amender la loi n° 64-377 du 07 octobre 1964 afin de supprimer les dispositions légales qui discriminent les enfants nés hors mariage et des relations incestueuses pour quelque raison que ce soit.
S’agissant des enfants handicapés, le Comité demande à l’État partie de prendre des mesures pour l’adoption rapide du décret d’application de la loi d’orientation N° 98-594 du 10 novembre 1998 afin d’assurer légalement l’égalité des chances et de traitement des enfants handicapés
Intérêt supérieur de l’enfant
Le Comité suggère que l’État partie fasse référence à l’Observation générale no 14 du Comité des droits de l’enfant de l’ONU afin que ses intérêts constituent une préoccupation primordiale
Droits et libertés civils
Nom, nationalité et enregistrement à la naissance
Bien que le Comité reconnaisse les efforts déployés par le gouvernement en vue d’assurer les droits de l’enfant à l’égard de la nationalité et de l’enregistrement des naissances, il note toutefois que l’État partie a le plus grand nombre d’apatrides sur le continent.
- Effectuer un examen approfondi de la loi sur la nationalité et de s’assurer que la loi contient des principes de sauvegarde visant à protéger les enfants nés sur son territoire qui, autrement, seraient apatrides
- Instaurer un système dans lequel les enfants apatrides déjà existants et les enfants susceptibles d’être apatrides sont identifiés et que la nationalité leur est accordée
- Renforcer le système d’enregistrement des naissances en rendant les bureaux d’enregistrement des naissances accessibles, en sensibilisant la communauté sur l’importance de l’enregistrement des naissances et en créant des services d’enregistrement des naissances dans les centres de soins de santé
- Renforcer les capacités des agents d’état civil et de leur fournir le matériel et l’équipement nécessaire (registres, moyens de déplacement etc.)
Protection contre les abus et la torture
Le Comité se félicite de la protection constitutionnelle des enfants contre la maltraitance ainsi que du Code pénal qui punit diverses formes d’abus et de torture. Le Comité loue également l’adoption de l’ordonnance n° 0075 de 2009 par le Ministère de l’Éducation interdisant le châtiment physique et humiliant des élèves. En dépit de tout cet arsenal, les rapports indiquent l’existence d’un taux élevé de châtiments corporels et de mauvais traitements psychologiques à la maison et dans les milieux scolaires. Il ressort que les abus
physiques et sexuels prévalent surtout dans la partie nord-ouest du pays. En outre, le Comité a été informé que le viol n’est pas considéré comme un crime distinct dans le Code pénal.
Le Comité recommande par conséquent au gouvernement de mener des campagnes de sensibilisation contre les sévices et la violence envers les enfants, notamment la violence sexuelle; de former ses forces de police, ses juges et procureurs sur la gestion des cas d’abus d’enfants; de sensibiliser la communauté sur l’importance du fait de signaler les cas d’abus au système juridique formel; de former les chefs traditionnels et religieux sur la gestion de cas et les renvois à la police; et d’apporter un soutien psychosocial aux victimes d’abus sexuels et d’abus de toutes sortes, de former les enseignants sur les conséquences de tels actes. Le Comité exhorte l’État partie à mettre en œuvre l’Arrêté qui interdit les châtiments corporels dans les écoles et interdit légalement les châtiments corporels à la maison
S’agissant des cas de viol, le Comité demande à l’État partie de définir clairement et de punir le viol dans le Code pénal, en vue d’accélérer les procédures judiciaires des cas de viol, et afin de réduire le coût des procédures judiciaires et la production de preuves en matière de viol et autres violences sexuelles.
Le comité recommande également à l’état partie de prendre des mesures contre le harcèlement et tout abus sexuel dans les établissements scolaires et d’engager des poursuites fermes contre les enseignants auteurs de ces faits, car cette situation encourage la déperdition scolaire et les grossesses précoces
Environnement familial et soins alternatifs
Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier ses efforts afin d’empêcher la séparation des enfants de leurs parents en identifiant les causes et en apportant le soutien nécessaire à la famille. À cet égard, le gouvernement devrait mettre en place un mécanisme afin de s’assurer que la pension alimentaire est versée à temps au tuteur et qu’il existe un recours juridique accessible pour assurer le paiement. Le Comité recommande également à l’État partie de mettre en place d’urgence des structures législatives et administratives sur les mécanismes de soins alternatifs pour les enfants privés de leur milieu familial. Le Comité encourage le gouvernement à établir des normes pour les centres privés qui fournissent des soins institutionnels aux enfants orphelins et séparés. Le Comité recommande vivement à l’État partie de s’efforcer également d’abolir l’institutionnalisation des enfants en vue d’assurer leur épanouissement dans un environnement familial. Pendant que les enfants sont placés en institution, le gouvernement doit s’assurer que ces institutions offrent des conditions de vie appropriées où les enfants sont bien pris en charge. En développant des mécanismes de protection alternative, le Comité recommande àl’État partie d’intégrer des systèmes de suivi dans lesquels l’État partie s’assure que les enfants placés dans de tels mécanismes reçoivent les soins appropriés dont ils ont besoin.
Santé de base et bien-être
Le Comité reconnaît les efforts déployés par le gouvernement pour offrir des services de santé gratuits aux enfants et aux mères ainsi que pour la mise en œuvre de la couverture intégrée des soins pour les enfants. Cependant, les rapports indiquent que la couverture de soins est disponible dans seulement 20 districts sur 83. Le Comité recommande que la couverture de soins soit assurée dans tous les districts. Le Comité encourage en outre l’État partie à s’assurer que les services de santé possèdent les équipements et les installations nécessaires et sont accessibles dans toutes les régions et dans tous les districts. À cet égard, il est important que le gouvernement alloue un budget adéquat au secteur de la santé. Le Comité demande à l’État partie de se conformer à l’obligation qui lui incombe en vertu de la Déclaration d’Abuja, d’augmenter son budget de santé à 15% de son budget total et de prendre les mesures de la mise en œuvre effective de la CARMMA (Campagne de la Réduction de la Mortalité Maternelle) de l’UA à laquelle la Côte d’Ivoire est partie, en particulier dans les zones reculées. Le Comité recommande également que l’État partie forme des agents de santé à tous les niveaux afin de s’assurer qu’ils sont proportionnels aux besoins des enfants.
Activités éducatives, de loisirs et culturelles
Le Comité se félicite que l’État partie offre une éducation gratuite et obligatoire pour tous les enfants de moins de 16 ans. Il est également à noter que le gouvernement entreprend une sensibilisation à l’éducation des filles pour changer les perceptions de la société. Toutefois, des préoccupations demeurent sur les abandons scolaires, le faible taux d’inscription à l’enseignement secondaire, la mauvaise qualité de l’éducation, l’inaccessibilité des écoles et l’insuffisance des enseignants. Il ressort que le manque de qualité de l’éducation est néfaste et décourage les parents à envoyer leurs enfants à l’école et entraîne également des taux élevés d’abandon scolaire en raison de la difficulté de passer à des niveaux plus élevées. Le Comité note également avec inquiétude que les rapports indiquent un taux de scolarisation très faible à la maternelle (4,4%). Aussi le Comité recommande-t-il à l’État partie de:
- identifier les causes des abandons scolaires et de l’absence aux cours et de prendre des mesures visant à trouver des solutions aux causes identifiées. Le Comité suggère que l’État partie mette en œuvre des programmes d’alimentation scolaire et s’assure que l’éducation est pratiquement gratuite en supprimant les coûts directs et indirects.
- prendre des mesures visant à accroître les taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire, en particulier pour les filles
- construire plus d’écoles afin de les mettre à la disposition de tous les enfants, en particulier dans les zones rurales;
- élever la qualité de l’enseignement en renforçant les capacités des enseignants, en fournissant le matériel éducatif et en s’assurant que l’éducation améliore le développement mental des enfants et les aide à être habiles;
Mesures spéciales de protection
Enfants réfugiés et déplacés
Le Comité observe que l’État partie a créé des écoles anglophones pour les réfugiés et a également pris des mesures d’intégration des enfants libériens au système éducatif. Il est également à noter que l’État partie a pris la décision d’enregistrer les enfants réfugiés qui n’ont pas été déclarés à la naissance. La mise en place d’un comité qui travaille sur les enfants réfugiés qui courent un risque plusélevé que les mineurs non accompagnés est également louable. Tout en notant avec satisfaction les efforts et les mesures positives prises par le gouvernement afin de protéger les droits des enfants réfugiés, le Comité souhaite recommander à l’État partie de bien enregistrer les enfants placés dans des camps de réfugiés et de s’assurer qu’ils reçoivent des documents d’enregistrement. En outre, le Comité encourage l’État partie à intégrer les enfants réfugiés dans les établissements réguliers d’enseignement et de soins de santé. Le Comité souhaiterait également encourager le gouvernement à contrôler les conditions de vie des enfants dans les camps de réfugiés et à inclure les enfants réfugiés dans leurs plans de services de base tels que les vaccinations, l’hygiène, les infrastructures, etc. En outre, le Comité encourage l’État partie à trouver des solutions durables en faveur des enfants réfugiés.
Les enfants en conflit avec la loi
Le Comité approuve la mesure selon laquelle l’État partie s’engage à améliorer la situation des enfants en conflit avec la loi, notamment à travers la création du Centre d’observation des mineurs et des hommes d’Abidjan et de la Sous-direction des affaires civiles au ministère de la justice, destinés à fournir gratuitement une assistance juridique. Tout en les appréciant, le Comité s’inquiète des questions relatives à l’âge minimum de la responsabilité pénale fixé à 10 ans, des conditions de détention des mineurs délinquants, et de l’absence d’une réglementation légale formelle des enfants en conflit avec la loi
Par conséquent, le Comité recommande à l’État partie de fixer l’âge minimum de la responsabilité pénale à 12 ans conformément à la norme internationale. L’État partie est encouragé à accélérer le processus de réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale et à s’assurer de l’incorporation des règles relatives à la justice pour mineurs. Le Comité recommande que des centres d’observation des mineurs soient créés dans toutes les régions de la Côte d’Ivoire afin de s’assurer que les enfants ne sont pas détenus avec les adultes dans toutes les régions. En outre, il est important que le gouvernement prenne des mesures visant à prévenir la délinquance juvénile, le détournement d’enfants du système de justice ordinaire et l’application de mesures de restauration alternatives par opposition à la détention. Par ailleurs, le Comité suggère que les juges, la police, le personnel de la sous-direction des affaires civiles ainsi que des centres d’observation des mineurs soient bien formés sur les droits de l’enfant pour leur rencontre effective avec les enfants
Le mariage des enfants
Comme indiqué ci-dessus, la recommandation forte du Comité est que l’État partie s’efforce d’interdire le mariage des enfants de moins de 18 ans sans aucune exception même avec le consentement des parents. Outre les mesures législatives, le Comité recommande également à l’État partie de prendre des mesures de poursuite des auteurs de mariage des
enfants, et de facilitation du soutien aux enfants qui échappent au mariage des enfants. L’État partie devrait également mener des campagnes de sensibilisation approfondie auprès des familles, des communautés, de la police, des responsables en charge de l’application de la loi ainsi que des chefs religieux et traditionnels, notamment dans les régions nord et nord-ouest du pays où le mariage des enfants est répandu.
Le Comité exhorte le gouvernement de la Côte d’Ivoire à lancer la Campagne de l’UA visant à mettre fin au mariage des enfants afin de renforcer son engagement à mettre un terme au mariage des enfants dans le pays.
Conclusion
Le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant reconnaît les efforts du gouvernement de la Côte d’Ivoire dans la promotion et le respect des droits des enfants et souhaite que les présentes recommandations soient mises en œuvre. Le Comité souhaite indiquer qu’il entreprendra une mission de suivi visant à vérifier la mise en œuvre de ces recommandations dans un proche avenir. Le Comité voudrait également inviter l’État partie à présenter son rapport périodique combiné d’ici à 2020 et à y inclure des informations sur la mise en œuvre des présentes observations finales. Le Comité africain d’experts sur les droits et le bienêtre de l’enfant saisit cette occasion pour renouveler au gouvernement de la République de Côte d’Ivoire l’assurance de sa très haute considération.