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[Liberté de la presse] Ces crimes et agressions contre les journalistes restés impunis ces dix dernières années en Côte d’Ivoire #libertedelapresse

‘’La libération de la haine contre les journalistes est l’une des pires menaces pour les démocraties’’selon Reporters Sans Frontières

-Quatre confrères tués et un disparu

-Un seul cas jugé

-La palme d’or des plaintes  en attente au confrère de L’Éléphant déchaîné

Depuis des décennies, les journalistes ivoiriens sont l’objet de bastonnades, de tortures, de menaces de tout genre dans l’exercice de leur métier en Côte d’Ivoire par des corps habillés qui ne sont jamais sanctionnés. Un tableau peu reluisant qui fait perdre un point au pays au classement mondial de Reporters Sans Frontières (RSF), édition 2018.

L’agression de la photographe-reporter du quotidien Le Nouveau Réveil,  Mme Olga Ottro par des agents de la police nationale de Côte d’Ivoire dans l’enceinte du Palais de justice d’Abidjan-Plateau le 29 janvier 2018  est un fait parmi tant d’autres que vivent les journalistes ivoiriens et correspondants étrangers.

Le patron de L’Éléphant déchaîné, Antoine Assalé Tiemoko est le journaliste qui a le plus porté plainte, vainement. Ph.Dr

Le lundi 29 janvier 2018, alors que Mme Olga Ottro était en reportage au Palais de justice d’Abidjan-Plateau, dans le cadre d’un incident survenu deux jours plus tôt entre un agent de police et un député, elle a été ‘’sauvagement agressée’’ par plusieurs agents de la police nationale dont un, particulièrement zélé lui a ‘’asséné une gifle’’ avant de la rouer de coups et de la jeter brutalement dans le violon du Tribunal. « Les policiers l’ont délibérément agressée alors qu’elle avait décliné son identité de reporter-photographe à l’aide de sa carte d’identité professionnelle de la communication», témoigne le secrétaire général du Syndicat national des professionnels  de la presse de Côte d’Ivoire (Synappci), Guillaume Gbato.

Trois mois plus tard, au cours d’une marche de l’opposition, le 22 mars 2018 Landry Beugré, journaliste au quotidien ‘’L’Intelligent d’Abidjan’’ est arrêté par des policiers quand, non loin de là, le journaliste et blogueur, Coulibaly Daouda est violenté par une horde de policiers clairement identifiés (voir vidéo) comme étant des éléments du Groupement mobile d’intervention (GMI), une unité de la police nationale ivoirienne.

Pis, le journaliste se verra refuser d’enregistrer sa plainte par le capitaine Achi Paul du commissariat du 12eme arrondissement des Deux-Plateaux où il s’est rendu : «Je ne prendrai pas votre plainte. Si vous êtes trop fâché, allez porter plainte chez le procureur de la République». Tel est le propos tenu par l’officier de police selon la victime. C’est finalement devant le procureur de la République, Adou Richard, qu’il portera plainte le vendredi 23 mars 2018.

Le correspondant de RFI en Côte d’Ivoire, Frédéric Garat, soutient avoir été empêché de faire son travail lors de la manifestation de l’opposition de ce jour-là. «Nous avons été confrontés aux problèmes de la liberté d’informer parce que les policiers et les gendarmes qui étaient sur place avaient reçu des instructions bien claires d’empêcher la manifestation», a-t-il affirmé lors d’un débat au lycée français Blaise Pascal d’Abidjan.

Pour le secrétaire général du Synappci ‘’la montée de la violence des forces de l’ordre envers les journalistes et autres professionnels des médias dans l’exercice de leur métier est désormais monnaie courante’’.

Des crimes et autres agressions commis contre les journalistes. Malgré la résolution 68/163qui proclame le 2 Novembre ‘’Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes’’ adoptée en décembre 2013, lors de sa 68e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, l’écho n’est pas favorable en Côte d’Ivoire.

En 2002, Gonzreu Kloueu de Nouattouo, correspondant de l’AIP à Toulépleu, a été assassiné par les rebelles du Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (Mpigo) dans la région de Zouan-Hounien.

Le 21 octobre 2003, Jean Hélène, le correspondant de RFI, est abattu à Abidjan par le sergent Théodore Séry Dago, non loin de la « Sûreté », la direction de la police nationale. La justice militaire dont dépend le sergent de police l’a condamné le 22 janvier 2004 à dix-sept ans de prison.

La carte du classement mondial de la liberté de la presse 2018 selon les couleurs

Un an après, le 16 avril 2004, le journaliste franco-canadien, correspondant de La lettre du Continent, Guy-André Kieffer, est porté disparu. En novembre de la même année, le correspondant du journal, le Courrier à Duékoué, Antoine Massé, est assassiné par les forces françaises qui descendaient sur Abidjan à la suite des émeutes qui ont suivi la destruction de la flotte de l’armée de l’air ivoirienne par les mêmes forces françaises.

Sept ans plus tard, pendant la guerre qu’a connue la Côte d’Ivoire, le journaliste Sylvain Gagnétaud, rédacteur en chef de Radio Yopougon, est assassiné pendant ‘’la prise de Yopougon’’ par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) en avril 2011.

Quand rien n’arrête la violence contre les journalistes. À cette liste macabre s’ajoute, en décembre 2013, l’assassinat du rédacteur en chef du Magazine Tomorrow, Désiré Oué, alors qu’il rentrait à son domicile, à Abidjan-Angré.

Comme si les agressions contre les journalistes étaient des indicateurs pour être bon policier ou bon militaire, en 2015, l’ex-présentateur télé à la RTI, Hermann Aboa, le journaliste-reporter du quotidien Le Temps, Bamba Mafoumgbé, le reporter du quotidien Le Nouveau Courrier, Emmanuel Akani et une assistante de l’Agence Panapress ont été violentés par des forces de l’ordre.

Deux ans plus tard, César Djedjemel, journaliste au site imatin.net, est battu ‘’sauvagement’’, le 7 octobre 2017, par des hommes en tenue militaire commis à la sécurisation du déguerpissement des environs de l’abattoir de Port-Bouet.

‘’ Pour la publication d’une fausse information relative à un accord de paiement de primes trouvé entre le gouvernement et les mutins des forces spéciales d’Adiaké’’, six journalistes Coulibaly Vamara, directeur de publication du quotidien L’Inter, Hamadou Ziao, rédacteur en chef du même journal, Jean Bédel Gnago, correspondant du journal Soir Info, Bamba Franck Mamadou, directeur de publication du quotidien Notre voie, Gbané Yacouba, directeur de la publication du quotidien Le Temps et Ferdinand Bailly, journaliste de ce organe, ont été incarcérés, le 12 février 2017, à la gendarmerie du camp d’Agban.

Les populations et des mains obscures s’invitent à la violence contre les journalistes. Les journalistes, Chris Paterne Assémian, correspondant de Sikka TV en Côte d’Ivoire et Diomandé Karamoko, journaliste à l’hebdomadaire Allo Police, ont été agressés par les populations respectivement, le 17 février 2018 à Bloléquin et le 26 février 2018 à Williamsville, dans l’exercice de leur métier.

Les journalistes de l’Éléphant déchaîné, qui utilisent la satire pour dénoncer l’injustice, la corruption, les malversations et autres maux, reçoivent souvent ‘’des menaces de mort et des messages d’intimidation.’’ (Côte d’Ivoire – Qui menace de tuer le journaliste Assalé Tiémoko de “l’Éléphant déchaîné” ? du mercredi 10 avril 2013. source : www.connectionivoirienne.net). À ce jour, le premier patron de cet organe, Antoine Assalé Tiemoko, est le journaliste qui a le plus porté de plaintes, vainement. Autant affirmer que, celui dont l’organe de presse porte à la lumière du jour des secrets que certains patrons de presse préfèrent garder ensevelis dans les tiroirs, remporte la palme d’or des plaintes. « Au total, plus de six plaintes ont été portées pour les menaces et tentatives d’atteinte à l’intégrité physique. Mais aucune n’a, à ce jour, abouti », regrette-il.

La position ambiguë du gouvernement. À la 19e édition de la Nuit de la Communication, le 29 décembre 2017, à Sofitel Hôtel Ivoire, le ministre ivoirien de la Communication, de l’Économie numérique et de la Poste, Bruno Nabagné Koné, par ailleurs porte-parole du gouvernement, a au nom du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly (parrain) donné la position du gouvernement ivoirien. « La Côte d’Ivoire a besoin de journalistes, certes indépendants, mais en même temps professionnels et responsables, qui exercent leur métier en tout temps et en tout lieu, avec l’éthique et la déontologie requises», a indiqué le représentant du Premier ministre, avant d’inviter les journalistes à s’inscrire dans une démarche de recherche de la qualité et de la rigueur pour l’atteinte des objectifs que la Côte d’Ivoire s’est fixés, à savoir l’émergence à l’horizon 2020. « Je vous invite à prendre votre place et à agir efficacement et avec responsabilité dans le train de l’émergence de notre pays.»

Au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité et au ministère de la Défense, les premiers responsables préfèrent garder la langue de bois et agir après les forfaits. Ce mutisme des responsables des corps habillés amène le président de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (Unjci), Traoré Moussa, à prendre ses responsabilités. «À chacune des arrestations des confrères, je prends mon téléphone pour appeler les responsables des ministères concernés afin que les journalistes regagnent leur famille et reprennent leur travail.»

L’Olped prend ses responsabilités devant l’histoire. Face aux crimes et agressions sur les journalistes, qui restent impunis, le président du comité de direction de  l’Observatoire de la Liberté de la Presse, l’Éthique et la Déontologie (Olped), Zio Moussa et ses membres ont décidé de passer à une autre phase. Ils sont en train de constituer une plainte contre deux auteurs (X et les forces de l’ordre). « Nous avons averti notre conseil juridique qui est en train d’examiner la faisabilité, juridiquement parlant et par rapport au statut de l’Olped », révèle le président du comité de direction.

Cette plainte n’est qu’un point d’un package de quatre activités du ‘’gendarme des journalistes’’ (Olped), dénommé : « Pour la sûreté et la sécurité des journalistes. » En effet, outre la plainte, M.Zio prévoit une conférence de presse, une audience avec les différents ministres en charge des corps habillés et la signature du protocole d’une plateforme de collaboration entre les journalistes et les forces de l’ordre.

Par ailleurs, Zio Moussa s’inquiète de l’image de son pays qui perd une place au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières  pour l’édition 2018. « Pour nous, ce n’est pas bien pour l’image de la Côte d’Ivoire, il faut regarder tous les pays africains qui devancent notre pays. On peut être d’accord ou non des évaluations de RSF, mais toujours est-il que c’est une mesure de la liberté de la presse à travers le monde (…) », explique-t-il.

Et de poursuivre : « Ce n’est jamais bon que notre pays soit classé de cette manière (…), mais il faut situer la Côte d’Ivoire dans la globalité, dans le monde et ensuite en Afrique. En Afrique, il y a des pays qui nous devancent, la Côte d’Ivoire est un pays moteur de l’économie en Afrique de l’Ouest, voire en Afrique.»

Il conclut, en rappelant aux journalistes et professionnels des médias, la nécessité de rester professionnels dans la recherche, la collecte et le traitement de l’information. « Il ne faut pas toujours condamner l’autorité publique, il faut interroger aussi les rapports journalistes-forces de l’ordre », conseille-t-il.

La répartition des pays en fonction de leur situation dans le classement

Le regard de RSF. Le constat fait par le secrétaire général de Reporters Sans Frontières, Christophe Deloire sur la Côte d’Ivoire relativement au au classement mondial édition 2018, témoigne de l’accroissement des sentiments peu catholiques à l’encontre des journalistes.

« En décembre 2017, l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire a adopté une nouvelle loi sur la presse qui précise qu’aucun motif n’est recevable pour la détention de journalistes. Un progrès qui doit mettre fin à la détention provisoire de journalistes, pratique régulière dans le pays malgré la dépénalisation des délits de presse depuis 2004. »

Toujours, selon, explique RSF, en 2017, huit journalistes en ont été victimes. « D’autres dispositions de la nouvelle loi sont plus liberticides comme le délit d’offense au chef de l’État ou la possibilité de poursuivre des journalistes pour diffamation pour des faits, même vérifiés, s’ils remontent à plus de 10 ans. La libéralisation promise du secteur de l’audiovisuel se fait toujours attendre

Conséquence: le pays perd une place au classement RSF et se classe entre ‘’situation plutôt bonne (jaune)’’ et ‘’ situation difficile (rouge)’’ (Voir la répartition des pays en fonction de leur situation dans le classement). De la 81eme place en 2017, la Côte d’Ivoire dégringole et occupe désormais la 82eme place en 2018, à quelques mois de 2020, année de l’émergence.

Le secrétaire général de RSF l’explique et précise: « La libération de la haine contre les journalistes est l’une des pires menaces pour les démocraties. Les dirigeants politiques qui alimentent la détestation du journalisme portent une lourde responsabilité car remettre en cause la vision d’un débat public fondé sur la libre recherche des faits favorise l’avènement d’une société de propagande. Contester aujourd’hui la légitimité du journalisme, c’est jouer avec un feu politique extrêmement dangereux.»

Le sombre tableau des crimes et agressions sur les journalistes ces dix dernières années en Côte d’Ivoire fouette l’orgueil de l’une des organisations professionnelles des médias, l’Olped. En plus des déclarations de condamnation des mauvais actes de certains corps habillés, le gendarme des journalistes, qui jouit de crédibilité et de sagesse, va monter au créneau. L’Olped a décidé d’accompagner le gouvernement afin que la presse ivoirienne soit à bord du train de l’émergence 2020. Il va prendre ‘’sa matraque’’ pour frapper aux portes des autorités et ‘’ son sifflet’’ afin que les déclarations des journalistes débouchent les oreilles les plus sales.

Sériba Koné

kone.seriba67@gmail.com

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