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Note technique pour une révolution agricole et alimentaire en Afrique

Le PDG de la société Many, Tiahmo Rauf (à gauche) et le directeur général de la société Many, Dr Amadou Moustapha Bèye (à droite), croient à l'autosuffisance en riz en Côte d'Ivoire

Note technique pour une Révolution agricole et alimentaire en Afrique

Conférence AMCHAM (Chambre de commerce américaine), Abidjan, 28 juillet 2021

Amadou M. Bèye Directeur général de la société MANY SA, Ancien Représentant régional d’AfricaRice – AOC

Tiahmo Rauf, Président du Conseil d’administration de la société MANY SA

Courriel : abeye@manyafrica.com; Blog : www.amadoubeye.org

Introduction

L’Afrique compte, de nos jours, 1,2 milliard de personnes. Cette population sera de 2,1 milliards, en 2050, avec 50% de jeunes de moins de 15 ans (AFD, 2014). Or, l’Afrique est toujours très dépendante des importations de produits alimentaires qui s’élevaient, en 2019, à environ 48,7 milliards de dollars. Selon la BAD, cette facture devrait atteindre les 110 milliards de dollars, d’ici 2025. Pour le riz, les achats de l’Afrique subsaharienne sur le marché international sont prévus pour atteindre 17,8 millions de tonnes, en 2021 ; ce qui représente 37 % des importations mondiales (OSIRIZ, 2021). Cette situation constitue une évolution dangereuse, dans la mesure où elle affaiblit les économies africaines, en décimant leur agriculture et en exportant des devises et des emplois du continent (BAD, 2017). Aussi, est-il important que des solutions appropriées et durables soient proposées aux États. Celles-ci passent, assurément, par la reconnaissance du rôle tant stratégique qu’économique de l’agriculture familiale et la nécessité de sa recapitalisation par les États et le secteur privé.

Bref aperçu sur les origines des riz cultivés :

Les riz cultivés appartiennent à deux espèces :

Caractéristiques du riz

Le riz est un produit alimentaire de base essentiel pour les populations d’Afrique, plus particulièrement celles de l’Afrique de l’Ouest. Dans cette région, sa consommation par tête d’habitant a connu une forte progression, ces trente dernières années, variant entre 80 et 100 kg/hbt/an en Côte d’Ivoire et au Sénégal et, entre 32 et 35 kg/hbt/an, au Nigéria et au Ghana.

Le riz est un aliment hautement énergétique. Il est riche en glucides qui constituent la première source d’énergie de l’organisme humain. C’est d’ailleurs pourquoi, le riz africain était apporté en Amérique par les esclavagistes, à la fin des années 1600, pour nourrir les esclaves malades et les nouveaux arrivants (Debien, 1974), afin de fortifier leurs organismes et mieux les préparer à divers travaux forcés.

Forte pénétration du riz asiatique

La forte pénétration des céréales importées s’est accélérée, à la suite des sècheresses de 1968, 1973, 1974, 1984 et 1985 qui ont nécessité le recours massif à des importations commerciales et à l’aide alimentaire extérieure. Elle a été suivie de la libéralisation de l’agriculture des pays avec la disparition des sociétés nationales et établissements publics de développement rural et l’intégration des marchés internationaux qui sont venues achever un système agricole domestique déjà moribond. C’était la période des programmes d’ajustements structurels avec le slogan «moins d’État, mieux d’État » et la réduction concomitante du rôle des secteurs public et parapublic dans la sphère économique. Les pays dépensent en moyenne 5 – 6 % de leur PIB (Produit intérieur brut) pour importer des denrées alimentaires, avec des pics de 22 – 24 % du PIB en Sierra Leone et de 11% en Somalie. Quant à la Côte d’Ivoire et le Sénégal, ils dépensent environ 250 milliards FCFA par an (M. Mboungou, 2011; R. Blein et BG, 2014)).

Au regard de ces contraintes déstructurantes, un travail de fond mérite d’être mené en appui au secteur agricole, pour garantir la souveraineté alimentaire tant souhaitée. Il importe, à ce propos, de faire une relecture froid, lucide et raisonnée de l’agriculture des pays africains, afin d’apporter des changements radicaux et durables. Cela ne sera pas facile à faire, quand on sait que tout  changement devra intégrer l’histoire des peuples et leurs traditions ainsi que leurs connaissances endogènes. Les modèles de développement anciennement utilisés serviront, certes, de référence mais ne seront pas suffisants à eux seuls pour assurer une augmentation durable de la production et une accumulation significative de richesses et d’emplois. Ils ont permis, d’une part, d’initier la « Révolution verte » en Amérique Latine et en Europe durant les années 1940 et 1960 et, d’autre part, de régler le problème de la faim dans les pays asiatiques à partir des années 1965. Ils sont cependant vus, de nos jours, comme des solutions technologiques insuffisantes car ayant laissé en rade des millions d’agriculteurs appauvris par la baisse des prix agricoles réels ou souffrant de dégâts collatéraux comme les pollutions générées par l’utilisation tous azimuts des pesticides et la baisse du niveau des nappes phréatiques, la salinisation des terres d’irrigation et la déforestation. Incontestablement, l’Afrique devra faire sa Révolution agricole et alimentaire mais celle-ci sera différente de la « Révolution verte » sur bien des points car devant apporter des réponses appropriées à de multiples contraintes d’ordre technique, biologique, chimique, économique, environnemental, culturel et sociologique. Par ailleurs, elle devra tenir compte de certaines particularités de son environnement structurel, notamment : (i) la prédominance de l’agriculture pluviale et de l’exploitation familiale ; (ii) la diversité des systèmes de production ; (iii) la fragilité des environnements politiques, législatifs et réglementaires (périodes électorales à hauts risques, problèmes fonciers, problèmes de bonne gouvernance notamment, une absence d’indépendance de la magistrature et de l’administration) et (iv) la faible professionnalisation des acteurs de la filière (faible structuration de la filière, prolifération de groupements informels, etc).

Par rapport à ces nombreuses contraintes, la société MANY SA propose la recapitalisation de l’agriculture familiale, son industrialisation et son arrimage au marché pour changer complètement le développement économique et social des pays africains. La recapitalisation consiste à mettre l’agriculteur dans une position de gestionnaire d’entreprise en lui donnant les possibilités d’accéder à des crédits d’intrants (semences, engrais, pesticides) et d’équipements mais aussi, en lui permettant de disposer des fonds nécessaires pour faire face à certaines dépenses récurrentes de main d’œuvre et de services. Le rôle du secteur privé sera ici, déterminant, grâce à un partenariat public privé efficace.

Révolution agricole et alimentaire en Afrique

La Révolution agricole  a apporté, à l’échelle mondiale, un changement majeur dans les techniques de préparation, de conservation et de distribution des aliments. En particulier, elle a favorisé la standardisation des produits et des goûts avec l’uniformisation des recettes alimentaires dans une optique de baisse des coûts de production. En Afrique, elle a eu pour conséquence, une perte graduelle de notre savoir-faire culinaire, constituant ainsi un nouvel enjeu de sécurité alimentaire. Subséquemment, nous cuisinons moins et mangeons plus d’aliments précuits généralement riches en calories, en gras, en sel et en sucre (snacks, hot dogs, pizzas, kebabs, kibbes, sushi, etc) provoquant des risques d’impacts négatifs sur la santé des populations, sources de maladies chroniques telles que l’obésité, le surpoids, l’hypertension artérielle, les AVC (Accidents vasculaires cérébraux). Ces aliments sont d’autant plus sollicités que les consommateurs sont stressés. En pareil cas, les aliments gras et sucrés tendent à être réconfortants car favorisant la production d’endorphines ou hormones du bien-être.

Il est utile de rappeler que l’aliment est le résultat d’un processus historique où les peuples adoptent les recettes, les meilleures, qui sont disponibles dans leur environnement immédiat pour leur bien-être social et leur santé. Traditionnellement, l’alimentation de l’Africain est très diversifiée mais, de nos jours, cette culture tend à disparaître.

Recommandations aux États Africains. Cas de la Côte d’Ivoire

Le Rêve est encore permis (Bèye, 2020). Mais, pour cela, il faudra  mettre les moyens structurants, à tous les niveaux, notamment, en matière de bonne gouvernance, de réformes foncières, de financement, de recherche-développement, d’éducation et, pour ne pas répéter les erreurs de la « Révolution verte », de préservation de la biodiversité et des écosystèmes.

La Côte d’Ivoire peut parvenir à l’autosuffisance en riz en 5 ans (Tableaux 1 et 2). A  cet effet, L’État devra, nécessairement, assurer un accompagnement régulier et systémique de l’agriculture familiale pour sa recapitalisation et la création d’un environnement favorable au développement de l’industrie et des services afin d’aboutir à une génération massive de valeur ajoutée et de revenus, et d’emplois, notamment les emplois verts. A ce propos, il est recommandé ce qui suit :

Village semencier de Dabakala – Point de départ de la Révolution agricole et alimentaire en Côte d’Ivoire

En 2021, les riziculteurs de Dabakala ont bénéficié, à travers la société MANY SA, d’appuis de l’État de Côte d’Ivoire et de deux programmes d’urgence en réponse au COVID-19 (CORIS / GIZ / AfricaRice et FIDA / PADFA / PUR_2020). Les résultats mentionnés ci-dessous, après 4 mois d’activités, sont relativement excellents et encourageants, dans une optique de passage à l’échelle:

Pour atteindre ces résultats, un montant de 500 000 Fcfa/ha a été alloué à chacun des 174 agriculteurs travaillant sur le périmètre irrigué de Dabakala de 114 hectares. Il s’agit, en l’occurrence, d’un héritage de feu le Président Félix Houphouët Boigny, construit en 1970, pour faire de la Côte d’Ivoire un pays autosuffisant en riz, en 1974 :

Contrairement à une idée préconçue, l’agriculture n’est pas une affaire de pauvres. Elle nécessite des moyens financiers importants pour être rentable. Dans le cas de Dabakala, il a fallu injecter quelque 500 000 Fcfa /ha pour permettre à chaque producteur d’obtenir des rendements en semences de plus de 5 T/ha. Pour la société MANY SA, ces résultats sont une bonne contribution au développement du secteur primaire et, subséquemment, des secteurs secondaire et tertiaire.

Au-delà des bénéfices financiers qu’ils ont générés, un minimum de 1 500 000 Fcfa /ha après seulement 4 mois de culture, les deux programmes d’urgence, ont favorisé le raffermissement des liens au sein des familles. En effet, les récoltes ont été des moments d’entente cordiale où époux, épouses et enfants viennent superviser les derniers travaux agricoles et veiller à ce qu’aucun grain ne soit perdu.

Conclusion

La réussite d’une Révolution agricole nécessitera, bien évidemment, de mobiliser des ressources financières importantes et sur une longue période. À cet effet, il convient de souligner que, tout comme dans les Révolutions agricoles d’Europe, d’Asie et d’Amérique, l’accompagnement des pouvoirs publics sera déterminant pour assurer l’accès aux crédits et aux équipements, la protection des marchés, la garantie des prix de vente ainsi que la formation des jeunes et l’actualisation de leurs connaissances pratiques. Dans ces révolutions, les États étaient présents à toutes les étapes de la chaîne de valeur, de la production, à la transformation et à la commercialisation. D’ailleurs, dans bien des cas, ils étaient les principaux clients pour assurer un débouché direct et régulier aux produits agricoles.

Pour l’Afrique subsaharienne, un Programme d’États calqué sur le Plan Marshall pour 5 ans sera nécessaire avec un accent particulier sur la recapitalisation de la petite exploitation familiale, le renforcement des capacités du secteur privé, la promotion des micro, petites et moyennes entreprises (MPME), l’assurance agricole, la protection sociale, l’implication et le renforcement des capacités des collectivités locales, l’établissement de la contractualisation et de la traçabilité pour une mise en marché adéquate des produits agricoles. En somme, il s’agit de peser sur les paradigmes dominants et aller vers un paradigme nouveau : Produire local, Consommer local et Exporter.

L’évolution, cette année, de la production rizicole en Côte d’Ivoire montre qu’une Révolution agricole et alimentaire est en marche à Dabakala au profit des agriculteurs, de leurs familles et de leurs communautés, ainsi que des femmes et jeunes des localités environnantes. Dabakala est, par cette voie, entrain d’inscrire son nom en lettres d’or dans l’histoire du développement de la riziculture en Côte d’Ivoire, en général, et du secteur semencier national, en particulier.

Ouvrages récemment publiés

Bèye, A. M., 2020. Pour une révolution agricole et alimentaire en Afrique- Rêver est encore permis. ISBN: 978-2-343-18604-7. 243 pp. Editions Harmattan Côte d’Ivoire. Collection – Agriculture familiale et Développement durable.

Bèye, A. M. et A., Diallo, 2019. Certification sociale : un pas de plus vers la modernisation de l’agriculture familiale ?  Editions Harmattan Côte d’Ivoire. ISBN : 978-2-343-16146-4. 200 pp. Collection AfBioSac – Agriculture familiale et Développement durable.

Bèye A. M. et Sika G., 2016. Sélection des plantes et technologie semencière. ISBN: 978-2-343-07584-6. 2ème édition. Editions Harmattan Côte d’Ivoire. 377 pp. Collection AfBioSac – Agriculture familiale et Développement durable.

Ouvrages sélectionnés en relecture

  1. i) Santé par la nutrition et l’activité physique
  2. ii) Manuel d’exploitation d’une mini-rizerie

iii) Manuel de formation sur les normes et les techniques de production de semences de riz.

Quelques récentes publications de la presse écrite

Quelques liens des sites internet

Média audiovisuel

Les 20 Heures de la RTI 1

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