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Quand des juges ignorent la définition du prisonnier de guerre (Une contribution de Grah Ange Olivier)

Jamais l’Institution judiciaire ne s’est mise de façon aussi ouverte et surtout outrancière au service du politique, au point d’en être ridicule. La procédure contre M. Blé Goudé est, à l’instar de celle relative à M. Mangoua, la énième bouffonnerie judiciaire, l’expression n’est pas assez forte, que les magistrats-politiciens tapis au sein de l’appareil judiciaire, nous servent au mépris de la loi et de l’opinion publique.

Mise à part la violation du principe “non bis in idem” qui prescrit l’interdiction de juger une personne deux fois pour les mêmes faits, celle évidente du droit à un procès équitable particulièrement les règles relatives aux droits de la défense, l’absence de l’accusé n’étant pas volontaire mais du au fait de l’État qui l’a livré dans le cadre de la coopération judiciaire à une juridiction internationale, dont les décisions justifient son absence à l’audience de la Chambre d’Instruction où il était convoqué ce jour, les deux infractions pour lesquelles il est poursuivi sont des plus surprenantes et des plus risibles.

Les accusateurs font là la preuve d’une inculture juridique qui frise la faute professionnelle de la part de magistrats de carrière. En effet, M. Blé est accusé de s’être rendu coupable de “crimes contre des prisonniers de guerre” et de ” crimes contre des populations civiles”. Pour comprendre le ridicule de cette procédure, il faut savoir que la crise post-électorale dans le cadre de laquelle ces infractions auraient été commises est un conflit armé interne, c’est-à-dire non-international (CANI en abrégé) et non un conflit armé internationale (CAI) qui oppose deux États. En droit international humanitaire, Il n’y a pas de prisonnier de guerre dans un CANI, cette notion ne s’appliquant qu’aux soldats d’une puissance étrangère qui ont été faits prisonniers pendant les combats. Il n’y a de guerre qu’entre deux Etats. A part leur article 3 commun, les quatre Conventions de Genève de 1949 ne s’appliquent qu’à ce type de conflit.

En ce qui concerne l’infraction de “crime contre la population civile“, si M. Blé est poursuivi sur la base de l’article 139-2°) du code pénal, la même observation que celle relative au prisonnier de guerre est valable, c’est-à-dire que cette infraction n’est susceptible d’être poursuivie que dans le cadre d’une guerre compris dans le sens du droit international humanitaire comme un conflit armé entre deux puissances étrangères. Si l’infraction est poursuivie suivant les dispositions de l’article 139-4°), en tant que civil n’occupant aucune fonction officielle dans l’appareil d’État, il faut établir la responsabilité de l’accusé dans la chaîne de commandement des forces armées nationales. C’est cette question et les faits qui y sont rattachés qui ont été déférés devant la CPI, qui a rejeté l’existence d’un plan commun en acquittant M. Blé Goudé, affirmant ainsi qu’il n’assumait aucune responsabilité de cette nature. Il s’en suit que le poursuivre pour “crimes contre les populations civiles” revient à le juger deux fois pour les mêmes faits.

Il résulte de tout ce qui précède que la procédure poursuivie devant la Chambre d’Instruction parce que les infractions qu’elle vise ne peuvent être commises, pour certaines, que dans le cadre d’un conflit armé international et, pour la dernière, a déjà fait l’objet d’une décision d’acquittement ayant l’autorité de la chose, n’a aucun sens.

Ce qui est le plus grave, c’est le degré d’inculture juridique qu’elle révèle. Que le procureur de la République et le juge instructeur ignorent la définition, pourtant, basique du prisonnier de guerre, la summadivisio en matière de conflit armé entre CAI et CANI, est plus qu’inquiétant pour l’état de notre Justice. Elle ne peut que susciter des interrogations et même des doutes sur la qualité des décisions rendues dans les procédures précédentes.

C’est là l’occasion de dénoncer l’atmosphère qui a présidé à la conduite des procédures relatives à la crise post-électorale, plus guidées par le souci de mettre hors d’état de nuire des adversaires politiques, que la recherche de la vérité, c’est-à-dire celle d’établir la réalité des infractions poursuivies et la responsabilité pénale des mis en cause. Elle a également favorisé le gel et la gestion dans des conditions totalement illégales et mafieuses de leurs avoirs et autres biens. Nous pesons nos mots qui ne font réitérer des faits que nous avions déjà dénoncés dans les interviews qui nous valent aujourd’hui d’être en exil après deux tentatives d’assassinat. Il suit de là que le choix des magistrats en charge de ces procédures n’était presque jamais opérés sur la base d’un profil incluant des connaissances certaines sur ces matières nouvelles pour nos tribunaux que sont le droit international humanitaire et le droit pénal international, mais sur d’autres critères dont la soumission à la volonté du politique n’était pas la moindre. L’éjection de la première vague de juges d’instruction de ce processus au profit d’autres plus conciliants en est la preuve. L’absence de formation initiale n’a point été palliée par des sessions de formation continue puisque que le souci n’était pas de rendre une bonne justice mais de servir des desseins politiques.

Nous ne pouvons terminer sans interpeller la Magistrature sur l’image détestable que les juges aux ordres donnent de notre Justice dont la descente en enfer paraît inexorable. Le plus triste n’est sans doute pas le sentiment de révolte qui habite les populations à l’égard de l’Institution judiciaire, mais le mépris manifesté par ceux qui en usent contre leurs adversaires qui, constamment dans leurs propos jettent l’opprobre sur les magistrats comme pour leur dire que seule la personne qui a elle-même une haute idée de ce qu’elle est, mérite le respect. Notre silence devant le comportement déshonorant de certains de nos pairs nous rend complices de leurs errements. Il est temps de réagir car, comme le dit notre hymne national, le pays nous appelle.

 

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