Ils sont 1000, 10.000 ou plus. Ce sont les derniers réfugiés ivoiriens en terre ghanéenne. Certains se sont intégrés et gagnent leur vie. D’autres ont du mal à joindre les deux bouts. Tous vivent le même syndrome : l’espoir d’un retour en Côte d’Ivoire, qui est réel, et le risque palpable aussi de tout abandonner. Plus qu’un dilemme, un drame cornélien. Reportage…
Sous un soleil accablant, le président des agents immobiliers francophones du Ghana, Didier Ossin Yapo, par ailleurs, membre de la coalition des patriotes en exil au Ghana, résidant à Accra, accepte de nous recevoir le samedi 19 octobre 2019 dans un restaurant à Lapaz, l’un des quartiers les plus grouillants et animés de la ville.
Le lieu n’est pas choisi par hasard. Et pour cause. Une réfugiée ivoirienne qui se fait appeler Tabita, cuisine de bons mets ivoiriens. Du foutou de banane accompagné de la sauce graine avec du poisson ou de la viande de bœuf, du riz, du placali (pâte à base d’amidon de manioc) ou encore de l’attiéké (couscous à base de manioc) avec du poisson frit constituent le principal menu.
C’est dans cet endroit, au détour d’une ruelle, caché derrière un petit bazar que les clients se bousculent chaque jour. À la question de savoir ce qu’elle gagne, elle vous répond simplement qu’elle ‘’gagne sa vie’’ avec un sourire en coin.
Notre guide, Didier Ossin Yapo, tout comme la restauratrice font partie derniers réfugiés ivoiriens en terre ghanéenne. M. Yapo gère son site internet gahanacontact.com à travers lequel il s’offre plusieurs contacts d’affaires (immobilier, inscription dans les écoles ghanéennes, et beaucoup d’autres services).
Celui qui montait ses propres affaires au moment où il s’exilait au Ghana en 2011, refait une nouvelle vie. M. Yapo craint d’autres troubles en 2020 et manque de confiance, mais nourrit l’envie d’un retour au pays. « Je suis prêt à rentrer pour apporter ma modeste contribution à la réconciliation nationale de mon pays. Je ne peux pas demeurer un éternel réfugié, mais il me faut des garanties. »
Hors d’Accra, dans le camp d’Egyekrom (du nom du village situé à environ 2 km). Après la ville de Takoradi, nous sommes à Ayensudu sur la voie de Cape Coast (Accra). Ici, seules trois tentes qui résistent aux intempéries montrent que c’est un camp de réfugiés. Grâce au soutien du HCR, les habitations de fortune font place désormais à des maisons construites en terre cuite et en ciment.
Les camions-citernes qui ravitaillaient les réfugiés en eau sont un vieux souvenir. Des pompes ont été installées et les maisons sont alimentées en eau courante par bloc. Les plus ‘’fortunés’’ s’abonnent à l’électricité avec the Electricity Company of Ghana (ECG) devenu the Power Distribution Services (PDS) (l’équivalent en Côte d’Ivoire, de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE).
Ces nouvelles dispositions humanitaires qui donnent un sens à la vie des réfugiés cachent mal la misère et les dures réalités quotidiennes de la majorité des pensionnaires du camp.
Oulaï Jean, originaire de Toulepleu (dans l’ouest de la Côte d’Ivoire), et son épouse ne sont pas au bout de leurs peines depuis leur arrivée au Ghana en mars 2011. D’Abidjan au camp d’Egyekrom en juillet 2011, en passant par le camp de Transit d’Elubo (Ghana), ils ont vu des vertes et des pas mûres.
Pour mieux s’intégrer et prendre en charge sa famille, M. Oulaï a appris, comme métier, la maçonnerie. Désormais, son quotidien rime avec les contrats sur les chantiers de construction immobilière, appelé en jargon ivoirien ‘’manawa’’. « Le matin, on sort pour aller à la recherche de chantiers. Certains vont jusqu’à Accra. D’autres parcourent les grandes villes du pays comme Kumassi, Cape-Coast et Takoradi à la recherche du boulot », raconte-t-il.
À quelques pas de là, son épouse s’active à la vente d’attiéké et de vivriers qu’ils cultivent dans les parages du camp. Ils nourrissent le désir de retourner au pays, mais une fois, à Toulepleu, ils doivent reprendre leur vie à zéro parce qu’ils ont ‘’tout perdu’’.
Diomandé Gouessé, plus connu sous l’appellation de pasteur Gammi n’a pas ‘’vraiment chômé’’ depuis qu’il est sorti le 3 mai 2011, par la route, de Yopougon (commune où il vivait à Abidjan) avant d’entrer au Ghana le 9 mai, soit 6 jours plus tard. « Lorsque je suis arrivé au Ghana, j’ai refusé d’habiter un camp de réfugiés parce qu’au départ, l’environnement n’était pas sécurisant », se souvient-il. En tant que réfugié urbain, il s’est rapproché du camp d’Egyiekrom pour exercer son ministère : celui de prendre soin des orphelins et veuves en faisant souventes fois, des dons de kits alimentaires. « Au Ghana, j’ai continué mes études en théologie. J’ai terminé ma maîtrise et je me suis engagé dans la communication pour terminer un bachelor. Je me suis perfectionné aussi en webmastering », renchérit Diomandé Gouessé.
Au plan gouvernemental, les institutions en charge de la question du rapatriement volontaire des réfugiés mènent des actions dont les statistiques sont prometteuses. On s’aperçoit qu’il y a eu des convois organisés par Saara-Unhcr du 21 octobre 2011 au 22 décembre 2017.
Le site du saara indique que les personnes concernées avaient un âge compris entre 0 et 60 ans, voire plus. Il y a eu 21 233 refugiés volontaires à travers le monde qui sont rentrés au pays sur un total général de 67 746.
Au Ghana, par exemple, le camp de transit d’Elubo a été détruit. Il ne reste que trois camps de réfugiés ivoiriens: le camp d’Ampain, celui de Fatenta et Egyiekrom. Les pics de rapatriement sont de 19.472 en 2013 et 19.150 en 2016. On dénombre successivement 1009 rapatriés volontaires en 2011, 7.834 en 2012. 12.181 en 2014, 1226 en 2015, 8276 en 2017, 2786 en 2018 et 1524 en 2019.
L’espoir de revenir en Côte d’Ivoire et le désir de s’établir au Ghana, qui est un dilemme pour certains réfugiés, sont-ils un choix facile pour d’autres?
Sériba Koné envoyé spécial au Ghana