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(Tunisie Saut à la perche)Dorra Mahfoudhi, étudiante en médecine : « Voilà comment je suis arrivée à l’athlétisme »

La Tunisienne Dorra Mahfoudhi est championne d’Afrique du saut à la perche. En attendant le retour des compétitions d’athlétisme, cette étudiante en médecine a consacré une partie de son temps libre à la lutte contre le Covid-19 dans son pays, ces dernières semaines. Rencontre.
Dorra Mahfoudhi n’oubliera jamais cette nuit de printemps 2020 durant laquelle elle a aidé à donner la vie. Cette athlète, reine de la perche en Afrique, travaille alors pour le Samu de Tunis, en pleine crise du Covid-19. Ce matin-là, une femme ne peut se rendre à l’hôpital pour accoucher, à cause du couvre-feu décrété dans le pays. « On a reçu l’appel à 4h. Cette dame était déjà en travail », raconte la Tunisienne, qui se rend alors sur place avec un médecin assistant urgentiste. « On a contribué à l’accouchement à domicile, avec toute la famille autour. Et tout s’est très bien passé ! C’était un événement très heureux, s’émerveille-t-elle. Ça changeait des arrêts cardiaques, des accidents graves, du coronavirus. »

En première ligne

Ces derniers mois, quasiment toutes les grandes compétitions d’athlétisme ont été annulées ou reportées à cause de la pandémie, dont des Championnats d’Afrique 2020 durant lesquels Dorra Mahfoudhi devait défendre son titre. Cette dernière s’est en outre retrouvée confinée en Tunisie, elle qui devait retourner en France pour préparer la suite de la saison. « Comme j’étais bloquée à ne rien faire, et que je voyais mes amis et collègues travailler en pleine crise, je voulais aider. Je savais que je serais plus utile dans des hôpitaux, raconte la jeune femme de 26 ans. Il y a eu un appel de la part de notre ministère de la Santé, un appel à ceux qui avaient fini leur deuxième cycle d’études de médecine, comme moi. On les a invités à rejoindre “l’armée des blouses blanches”. J’étais très contente d’avoir cette opportunité. »
Dorra Mahfoudhi se retrouve alors en première ligne, avec le Samu. « On effectue des prélèvements pour les cas suspects, détaille-t-elle. On transporte les patients positifs d’un établissement à un autre, s’ils ont besoin d’aller en réanimation ou d’aller dans un hôpital. Les appels ont explosé. Ce sont des milliers par jour qu’on reçoit. »
La perchiste assure pourtant ne pas avoir trop cogité avant de faire le grand saut. « Au tout début, c’est vrai que ça m’a un peu stressée, concède-t-elle. Je me suis posée la question de savoir si j’étais vraiment prête. Mais comme je ne vis pas avec mes parents, actuellement, je n’ai pas eu peur de les contaminer. Et puis, je savais qu’il y avait les moyens de protection nécessaires. Au Samu, il y a déjà eu des contaminés. Donc, on sait que le risque est là, même si on se protège. Mais, après quelques jours et après réflexion, on arrive vraiment à oublier ces risques. »
Une deuxième vocation

Malgré cette expérience très enrichissante, Dorra Mahfoudhi ne compte pas se recentrer sur ses études de médecine, mises un peu entre parenthèses ces deniers mois. « Ce que je fais maintenant avec le Samu, ça me permet d’aider et d’apprendre en vue de ma carrière de médecin, lance-t-elle. Mais ça m’aide aussi à m’occuper parce que je suis bloquée en Tunisie. »
Pour cette fille de pédiatre, l’athlétisme est une deuxième vocation, même si celle-ci est venue bien plus tard. Dorra Mahfoudhi a en effet intégré l’équipe de son prestigieux lycée, en partie pour tuer l’ennui. Et c’est lors d’un championnat scolaire qu’un entraîneur l’a remarquée. « Je ne faisais que du saut en longueur et du sprint. Mais il a vu ma façon de courir avec la pointe des pieds et les jambes tendues. Il a tout de suite su que j’avais fait de la gymnastique par le passé. Il m’a immédiatement proposée de faire partie d’un club de saut à la perche, se souvient-elle. Au début, j’ai refusé. J’étais encore jeune et j’habitais dans un pensionnat. Je ne me déplaçais jamais toute seule dans la capitale. Je n’avais jamais pris le métro. En plus, les études dans mon lycée étaient vraiment très dures. Mais le coach a vraiment insisté. Et je l’en remercierai toujours ! »
La passion pour la perche, elle, est arrivée dans la foulée. « Au bout de deux mois, j’avais déjà gagné les Championnats de Tunisie, narre l’intéressée. L’année d’après, j’ai pu me qualifier pour les Jeux olympiques de la Jeunesse de 2010 à Singapour. C’est à partir de ce moment-là que je suis vraiment tombée amoureuse du saut à la perche et de l’athlétisme en général. Parce que j’ai vu ce que c’était à l’échelle internationale. »

Des obstacles

La suite ? Une douzaine de médailles internationales dont trois en or, et une progression constante, avec deux moments forts : son sacre continental en 2018 à Asaba et son bond victorieux à 4 mètres 31 lors des Jeux Africains de Rabat. Une performance qui la rapproche du record d’Afrique (4 mètres 42) détenu par la Sud-Africaine Elmarie Gerryts depuis 2000. « Le record d’Afrique n’est qu’une étape vers les Jeux de Tokyo », estime-t-elle toutefois.
Hélas pour la championne, la crise de la Covid-19 a ralenti ses projets. « C’est vrai que j’étais un peu déçue parce que j’avais bien entamé ma saison hivernale, soupire-t-elle. J’avais battu mon record en salle [4 mètres 10, le 22 février, ndlr] et j’avais d’énormes perspectives pour la suite de la saison. En plus, pour une fois, on avait tout programmé à l’avance, jusqu’à cet été et aux Championnats d’Afrique ».
Une frustration d’autant plus grande que Dorra Mahfoudhi comptait capitaliser sur les excellents résultats de 2018 à Asaba , elle qui vit et se prépare avec des ressources financières assez limitées. « C’est extrêmement dur d’être perchiste, lâche-t-elle. Pas seulement en Tunisie, mais partout en Afrique. Ce n’est pas une discipline qui attire beaucoup de public, d’athlètes. Ça coûte vraiment cher pour des pays qui n’ont pas forcément les moyens, en Afrique subsaharienne. Même en Afrique du Nord, on n’a pas toujours les moyens nécessaires. »

Mais une motivation intacte

D’autant que tout le monde n’a pas la chance d’avoir un sautoir dans son jardin, pour parfaire sa technique au quotidien, à l’image de la star de la discipline, le Français Renaud Lavillenie. « Dans ces cas-là, on se dit : “Mais pourquoi a-t-il un sautoir à la maison alors qu’il a trois sautoirs dans la salle où il s’entraîne ?”, rit la Tunisienne. Les meilleurs athlètes ont des sautoirs chez eux. Certains en ont fait installer à leur domicile, à cette occasion. Ils ont vraiment de la chance. »
Ces derniers mois, confinement ou pas, s’entraîner correctement a parfois été compliqué. Dorra Mahfoudhi a donc fait de son mieux pour garder la forme. Mais, malgré toutes ces difficultés, elle fixe toujours la barre aussi haut : « J’ai des objectifs que je veux atteindre en athlé, notamment battre le record d’Afrique et disputer des Championnats du monde ou des Jeux olympiques. C’est vrai que les conditions actuelles me ralentissent. Mais ça ne me poussera pas loin des terrains et de la piste. »

Source : RFI
Le titre est de la rédaction

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