L’idée d’une société civilisée est une société où le pouvoir est transféré volontairement parce que la loi existe. Toutefois, en Afrique, nous ne sommes pas conscients du simple mais très important fait qu’à moins que nous ayons un processus qui rend la succession facile et que les opposants peuvent sourire, à moins que nous parvenions à ce point, nous avons un long chemin à parcourir. La politique n’est pas la guerre, scandait le célèbre écrivain Chinua Achebe lors d’une de ses dernières visites dans son Nigeria natal et quelques temps avant son décès le 21 mars 2013 à Boston.
Malheureusement, la politique est une guerre pour quelques africains. La politique dans la plupart des régions de l’Afrique est liée à l’accès à l’usage gratuit des ressources du pays. La perte du pouvoir politique signifie donc le retour à une vie de pénurie ou la perte du statut économique nouvellement acquis ou confortablement enraciné. Compte tenu des conditions socio-économiques, la majorité des Africains se retrouvent dans « une guerre » pour accéder au pouvoir politique et l’on ne peut pas écarter l’accès aux meilleures perspectives économiques de cette compétition. La détérioration des conditions économiques en Afrique est donc étroitement liée aux crises politiques que le continent continue de subir surtout que, pour la plupart du temps, la survie des citoyens dépend du niveau de leur rapprochement du pouvoir politique.
La lutte pour le pouvoir politique devient donc une question de vie et de mort. Et cette situation est savamment entretenue par les partis politiques actuels, aux gestions numéraires, filiales et sépulcrales, qui ne répondent plus aux attentes d’une majorité d’africains. Car, à trop protéger les ambitions personnelles de leurs leaders et animateurs principaux, ils en oublient l’intérêt général et ne sont plus représentatifs.
Ensemble, nous pourrons dire alors non à leurs candidats socialement trop clivants, sculptés dans nos passés douloureux et haineux, baignant dans les présents des peurs et des déceptions et donner à nos classes politiques africaines la chance d’évoluer, de se réorganiser, en nous suscitant des femmes et des hommes d’Etat investis et visionnaires lors des prochains rendez-vous électoraux. L’objectif n’est pas forcement de gouverner, mais d’enrichir l’offre politique pour plus de démocratie. Arrêtons de voter par défaut !
Ce sont les événements qui placent des pierres numéraires sur la route de la vie: une vie très occupée passe très rapidement et laisse de longs souvenirs; une vie uniforme et monotone s’écoule lentement et s’efface avec rapidité (Chênedollé, Journal, 1818, p.91).
Est politique toute parole qui nous engage à faire quelque chose de ce monde, et quelque chose de nouveau. Bien sûr, comme le souligne Hannah Arendt, la politique est toujours promesse de justice, et même d’égalité sociale. Mais précisément, cette promesse n’est rien, si elle n’engage pas à agir et à susciter de nouvelles expériences. Car la liberté politique, selon Hannah Arendt, n’est pas la liberté de choisir entre les termes d’une alternative donnée, mais la liberté de faire advenir quelque chose de nouveau en ce monde. Elle est pouvoir de commencer, le « droit de commencer quelque chose de nouveau », qui revient en partage à chaque génération. Est donc véritablement politique la parole qui inspire confiance, nous fait faire quelque chose ; et qui suscite l’inventivité, nous fait faire quelque chose d’inédit.
“La liberté politique, selon Hannah Arendt, n’est pas la liberté de choisir entre les termes d’une alternative donnée, mais la liberté de faire advenir quelque chose de nouveau en ce monde. Elle est pouvoir de commencer, le « droit de commencer quelque chose de nouveau », qui revient en partage à chaque génération.”
On comprend mieux, dès lors, pourquoi Arendt célèbre l’ « enthousiasme », dont Kant avait déjà fait l’affect révolutionnaire par excellence : c’est qu’en lui se conjoignent confiance et création, promesse et inventivité. Et c’est bien d’abord d’enthousiasme, de parole politique enthousiaste, susceptible de créer de l’enthousiasme (une foi dans ce monde, aurait dit Gilles Deleuze) dont, sans doute, nous manquons cruellement aujourd’hui en Afrique.
Docteur Pascal ROY
Juriste, Philosophe et Diplômé de Sciences politiques
Enseignant-Chercheur des Universités
Chercheur-Associé à l’Institut Catholique de Paris
Membre-Associé à la Société Française de Philosophie
Ecrivain et Chroniqueur
www.docteurpascalroy.com