-Evoluons !
Abidjan, le 8-6-2022 (crocinfos.net) Connaissez-vous la rue Van Vollenhoven au Plateau, quartier de l’administration et des affaires d’Abidjan en Côte d’Ivoire ? Je parie que très peu d’Ivoiriens le savent. C’est la rue qui conduit tout droit au bureau du Premier ministre de la Côte d’Ivoire. Et celui qui a donné son nom à cette rue est un ancien gouverneur de la colonie de Côte d’Ivoire. Au Plateau, les rues les plus importantes portent les noms des anciens gouverneurs français de notre pays. Apparemment nous avons passé la gomme sur la partie de notre mémoire qui concerne les crimes des « travaux forcés », abolis seulement en 1946 par Houphouët-Boigny et dont certains de nos parents, encore vivants, ont été les témoins et victimes. Et si nous évoluions nous –mêmes dans notre vision de notre histoire ?
‘’Au temps colonial, on nous avait imposé un système éducatif directement calqué sur celui de la France. Cette éducation avait pour but de faire de nous de bons sujets de la France, de bons auxiliaires de l’administration française en place, et certainement pas de faire de nous des êtres indépendants à même de développer leur pays’’.
Il y a un peu plus de vingt ans, quelqu’un a eu l’idée de baptiser les nouvelles rues d’Abidjan qui n’avaient pas de nom, situation qui rendait l’orientation très difficile dans la mégalopole que notre capitale économique était en train de devenir. On a donné des numéros aux rues en nous expliquant que des noms de personnalités ou d’évènements marquants de notre histoire leur seraient attribués plus tard, et puis le coup d’État est intervenu. Et les choses en sont restées là depuis 1999. Dites à quelqu’un que vous habitez aux Deux-Plateaux, à la rue D67. Ce sera très clair pour lui. C’est tout, ou bien la suite arrivera un jour ? On va nous dire que depuis là on n’a pas encore trouvé les noms des personnes ou des évènements à honorer ? Eh, nous aussi ! Et si nous cherchions à évoluer sur ce chapitre maintenant ?
‘’Quels sont les signes de la parfaite réussite sociale sous nos tropiques ? Vivre comme un Européen. Manger ce que l’Européen mange, adorer ce qu’il adore, regarder les informations, y compris celles de son propre pays, sur un bouquet de télévision européen, boire des grands vins européens….’’
Au temps colonial, on nous avait imposé un système éducatif directement calqué sur celui de la France. Cette éducation avait pour but de faire de nous de bons sujets de la France, de bons auxiliaires de l’administration française en place, et certainement pas de faire de nous des êtres indépendants à même de développer leur pays. Depuis tout ce temps, notre système éducatif a très peu évolué. Notons que le système éducatif contribue à structurer la façon de réfléchir de l’individu. Faut-il s’étonner que nous n’arrivions pas à conceptualiser notre développement et que nous en soyons encore là où nous sommes ? Consciemment ou non, nous travaillons tous les jours à enrichir l’ancien colonisateur sans penser à notre propre développement. Parce que nous avons été formatés ainsi. Quels sont les signes de la parfaite réussite sociale sous nos tropiques ? Vivre comme un Européen. Manger ce que l’Européen mange, adorer ce qu’il adore, regarder les informations, y compris celles de son propre pays, sur un bouquet de télévision européen, boire des grands vins européens, posséder des voitures européennes de luxe, supporter une équipe de football européenne, avoir une ou des résidences en Europe, passer ses vacances eu Europe, placer l’essentiel de sa fortune dans des banques européennes, etc. Et nous nous étonnons que nos pays n’évoluent pas pendant que le niveau de vie ne cesse de croître en Europe ? Et si là, aussi nous cherchions à évoluer ?
En ces mêmes temps coloniaux, l’on nous avait imposé des cultures destinées à la satisfaction des besoins des colonisateurs. Au détriment de ce qui pouvait servir à nous nourrir. Aujourd’hui, nous découvrons avec étonnement que nos terres, pourtant si riches, n’arrivent pas à nous faire manger à notre faim, et nous sommes contraints d’aller supplier la Russie qui est en guerre avec l’Ukraine de laisser ce dernier pays nous donner de quoi ne pas mourir de famine.
En des temps immémoriaux, nous avions découvert que la machette et la daba suffisaient à cultiver nos champs. Et depuis lors, ces deux objets sont restés nos seuls outils de travail, alors que sur les autres continents, ce sont des machines qui travaillent dans les champs. Chers frères et sœurs Africains, il est temps pour nous d’évoluer.
‘’N’oublions pas que les « Indiens » d’Amérique et les « Aborigènes » d’Australie ont été systématiquement massacrés et leurs terres arrachées à leurs survivants’’.
En 1962 un agronome français du nom de René Dumont publia un livre intitulé « l’Afrique noire est mal partie ». Il prit une bonne volée de bois verts de la part d’une partie de l’intelligentsia et de la classe politique africaines qui ne furent pas loin de penser à du racisme. Dans son livre, Dumont condamnait la corruption qui dans maints États avait déjà pointé le bout du nez, nos administrations pléthoriques, notre agriculture inadaptée à nos besoins, « sous-productive, réalisée par des hommes sous-alimentés sur des terres non fertilisées ». Il proposait un plan qui comporterait « l’engagement total d’un gouvernement et d’un peuple, fait de choix conscients, d’actions exécutables et de sacrifices délibérés », que nous importions des bus plutôt que des Mercedes, des engrais et des semences plutôt que de l’alcool, etc. Non, de telles propositions ne pouvaient pas nous agréer du tout. Surtout la partie qui parle de sacrifice. Nous les avons rejetées en bloc et nous voici aujourd’hui réduits à mendier notre nourriture auprès de pays en guerre. Bientôt nous irons aussi mendier de l’eau à boire, puisque nous sommes en train de tuer tous nos cours d’eau avec l’orpaillage, ainsi que toutes nos forêts qui nous apportent la pluie, avec le déboisement.
Pour le moment le reste du monde nous flatte et nous traite comme de grands enfants dont il faut s’occuper, parce qu’il a besoin de nos bras pour lui fournir les matières premières dont il a besoin, de nos jambes pour jouer son football et courir sur ses pistes d’athlétisme, de quelques-uns de nos cerveaux pour compléter les siens chez lui et gérer ses intérêts chez nous. Mais si nous ne cherchons pas à nous assumer, il arrivera le jour où il nous dira que nous encombrons inutilement la terre. N’oublions pas que les « Indiens » d’Amérique et les « Aborigènes » d’Australie ont été systématiquement massacrés et leurs terres arrachées à leurs survivants. Continuons de dormir et de croire que les autres viendront développer notre continent à notre place. Abidjan ici ? Dormez seulement !
Venance Konan