[Côte d’Ivoire] Abidjan,capitale du rire: dans l’univers de la bande à Mamane #comedie
-Digbeu Cravate : « Arrêtez d’imiter les Africains. Ils sont là devant vous ! »
–Gohou Michel, de la timidité à la grandeur
-Omar De Funzu ou l’orfèvre de l’imitation
Longtemps considéré comme une simple distraction ou encore, une activité de seconde zone, l’humour à la sauce africaine est en passe de devenir une véritable industrie. Humoriste à l’échelle internationale, le nigérien Mamane dans son désir ardent de briser les barrières culturelles ou nationales a mis sur pied la maison de production Gondwana city Production à Abidjan pour travailler avec d’autres humoristes africains du Togo, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire, Niger…Toute chose qui lui permet d’une part d’initier plusieurs festivals dont “Abidjan, la capitale du rire” et d’autre part d’aller à la conquête du public européen. Qui sont donc ces humoristiques africains à la base de cette révolution ?
Il n’y a jamais eu de véritable plateau d’humoristes africains en France. Cela a été possible grâce à son implantation depuis cinq ans en Côte d’Ivoire avec ce que certains ont qualifié de “la Mecque des humoristes”. En effet, après le succès de son premier film “Bienvenue au Gondwana”, Mamane décide d’aller à la conquête de l’occident. « C’est non pas l’Union africaine mais l’union des humoristes africains », ironise-t-il.D’ailleurs, celui qui apparaît aujourd’hui comme le père de l’humour africain révèle: « ça fait partie d’un cheminement que j’avais depuis longtemps. J’ai toujours voulu casser les barrières culturelles ou nationales. J’ai monté ma boîte de production Gondwana city Production à Abidjan pour travailler avec d’autres humoristes africains du Togo, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire, Niger… »
Comment « Abidjan, capitale du rire » a booste l’humour africain
Le festival « Abidjan, capitale du rire » et le programme “le Parlement du rire”diffusé sur Canal+ Afrique ont permis à Mamane de tisser des liens avec la plupart des humoristes africains francophones. La mise en place de ce « plateau-test » en France a été un travail au long cours d’un point de vue logistique et économique : « Faire venir cinq humoristes d’Afrique, c’est un coût financier assez lourd(…) Il faut payer des billets d’avion, des chambres d’hôtel, la nourriture, les cachets. Il a fallu s’organiser et attendre d’être prêt pour le faire. Western Union nous sponsorise. », confie l’humoriste nigerien au journal Le Point . En plus de western union, le sponsor, Mamane s’est associé à Dark smile, la boîte de production de son collègue humoriste Jérémy Ferrari : « Une amitié est née entre nous. Je l’ai invité au Parlement du rire et Abidjan capitale du rire. On a monté ce plateau ensemble et ce n’est qu’un début ! » rassure t -il.
Digbeu Cravate : « Arrêtez d’imiter les Africains. Ils sont là devant vous ! »
« Quand je faisais du one-man-show en France, j’étais toujours désolé de voir des humoristes français, nés en France, d’origine africaine, monter sur scène, parler d’une Afrique qu’ils ne connaissent pas en prenant des accents soi-disant africains. Alors que ça n’existe pas. Il y a des accents du Cameroun, de Côte d’Ivoire… Il n’y a pas d’accent ivoirien, mais bété, baoulé, sénoufo… Il n’y a pas d’accent camerounais, mais bamiléké, ewondo… Comme en France où il y a les accents basque, corse, provençal… On parle souvent de l’Afrique comme d’un pays alors qu’il y en a 54 ! Plus on est précis et plus on constate une multiplicité de langages. Avec ce spectacle, je veux montrer l’humour d’une Afrique diverse et authentique. », soutient Mamane qui pense d’ailleurs que c’est une gageüre que de sortir des clichés mis en avant dans des sketches comme le très stigmatisant « L’Africain » de Michel Leeb, qui sont parfois relayés par les Africains ou afrodescendants eux-mêmes. Cet avis est partagé par l’une des figures de proue de l’humour en Côte d’Ivoire, Digbeu cravate.Véritable star en Afrique de l’Ouest à l’instar de son aîné Gohou Michel, l’humoriste ivoirien Digbeu Cravate a fait le même constat de décalage entre l’humour en Afrique et la perception du continent en France : « Les Français ne connaissent pas l’humour que l’on pratique. Généralement, ce sont des jeunes Africains qui ont grandi en France qui essaient de parler comme des Africains. Chez nous, contrairement en France, ce type de sketches ne marche pas du tout. On est devenus très révoltés par ça ! Les originaux sont là. Pas besoin de photocopies ! », martèle t-il aux journalistes du journal Le Point.
De l’influence d’une variété de discours et de l’universalité de l’humour
Gohou , Digbeu Cravate, Omar De Funzu, le caméléon de l’imitation des accents d’Afrique, ou Charlotte Ntamack et ses chroniques sur les relations amoureuses, une variété du rire en Afrique francophone est offerte : « On dit ce qu’on pense de la France, de la communauté internationale, des politiques d’immigration des pays occidentaux (…) Ce sont des Africains qui montent sur scène et l’ouvrent grand et fort ! », confie Mamane qui se prononce sur le caractère universel de l’humour.
“Selon les pays, les codes culturels, les références, les tabous, les sujets de plaisanterie ne sont pas forcément les mêmes”, reconnaît Mamane qui pensent d’ailleurs que ces subtilités ne sont pas un problème : « Rien que le fait d’avoir la curiosité d’aller voir un artiste sur scène, c’est de l’enseignement. Tous ces humoristes ont des langages, des origines, des univers différents. On entre dans l’univers de chacun. Pas besoin de bien connaître l’Afrique pour tout comprendre. », renchérit-il, avant d’ajouter “la vocation de sans visa est de chercher ce qui nous rapproche . Il y a dans tous nos sketches cette thématique des frontières artificielles tracées en Afrique, mais aussi entre l’Afrique et le reste du monde, du phénomène des migrants et des visas. Qu’on soit en Afrique ou en Europe on est tous des êtres humains. Dans mes 20 minutes de sketch, je parle beaucoup du tracé des frontières issu de la conférence de Berlin. Gohou fait une demande de visa. Digbeu Cravate parle des femmes. Charlotte Ntamack a un côté féministe mais vu d’Afrique… Et il y a d’autres humoristes qui attendent… »
Gohou Michel, de la timidité à la grandeur
L’aîné et l’une des stars du plateau est incontestablement Michel Gohou présent sur les planches depuis 1985 : « De 1985 jusqu’à aujourd’hui, pour ceux qui ont une calculette, quand vous comptez ça fait beaucoup d’années quand même ! » s’amuse cet autodidacte, toujours surpris que l’on s’intéresse à son parcours, mais qui n’a pas la langue dans sa poche. « J’ai fait tous les genres de théâtre et travaillé avec différents maîtres. Aujourd’hui, ça reste difficile de vivre du théâtre en Afrique. Voilà pourquoi il faut porter d’autres vestes comme l’humour. », confie l’acteur de “Ma famille”.La troupe des Guignols d’Abidjan qui l’a révélé au grand public en 1993 est l’une des premières à avoir tourné en Europe : « En 1998, on a joué en France, bien avant qu’il n’y ait cette prolifération d’humoristes. Ça nous a donné une certaine notoriété. Après il y a eu Ma famille, le Gohou Show, Super Gohou, Télé Gag… », reconnaît Michel Gohou qui ne passe plus inaperçu
Originaire de Gagnoa au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, Michel Gohou ne semblait pourtant pas promis à une telle popularité : « J’étais très timide à l’école. Je n’osais pas m’approcher des autres. À cause de ma morphologie, je me disais que j’avais été puni par la nature. Un jour, quelqu’un m’a conseillé d’essayer le théâtre pour combattre cette timidité. Je me suis rendu compte que ce qu’on appelle infirmité pouvait être transformé en une qualité. Chacun de nous a une malformation. Certains l’ont dans leur tête, d’autres dans leur corps. Certaines malformations sont visibles et d’autres ne se voient pas à l’œil nu. La mienne est visible, mais en prenant ça à bras-le-corps j’ai avancé ! » Outre sa capacité à se moquer de lui-même, c’est son sens aigu de l’observation qui rend Michel Gohou si drôle et attachant : « Je suis un enfant des masses pauvres, du village. À tout âge j’ai appris en observant. Chaque jour, il y avait un fait nouveau dans la cour commune où je vivais à Abobo avec des personnes de nationalités différentes. On ne peut pas vivre là et ne pas être inspiré. », dit-il au confrère susmentionné. D’ailleurs, pour l’humoriste, le rire a permis aux Ivoiriens d’oublier un tant soit peu, la parenthèse malheureuse de la crise poste électorale en Côte d’Ivoire. La capacité de « blaguer » en Côte d’Ivoire est telle que les séquelles de la guerre civile de 2010-2011 paraissent loin, du moins dans les attitudes des gens. Pour Gohou en effet , les Ivoiriens ont « accepté depuis très longtemps de rire de tout, du malheur, de tous les déboires qui peuvent survenir. On rit des difficultés, des déluges, de tout ce que Dieu peut créer autour de nous. C’est la meilleure façon de vivre au lieu de se morfondre. Avant même que la guerre n’éclate, on riait déjà de tout. Le rire a permis de supporter un peu mieux cette situation de crise. Au moment où le pays était divisé en deux avec l’armée régulière à Abidjan et les rebelles dans le Nord, il n’y avait que les humoristes et les artistes zouglou qui arrivaient à rassembler un peu les deux côtés. Cela rebouchait un peu les fissures. Chaque jour, il y a des palabres. On se casse la gueule. Le lendemain, on prend ça avec humour et ça passe ! » En 2010-2011, Gohou a tourné en Europe avec la troupe 100 faces comedy incluant Michel Bohiri, Digbeu Cravate, Nastou et Oupoh. C’est sur le plateau de l’émission +d’Afrique à Paris qu’une complicité indéfectible avec Mamane s’est nouée. La suite est connue.
Digbeu cravate, l’étoile montante…
Digbeu Cravate, de son vrai nom Michel Bla, cadet et inséparable acolyte de Gohou, a débuté sa carrière en 1992 : “Digbeu“, c’est le surnom donné à un groupe ethnique ivoirien les Bété reconnus comme des palabreux, c’est-à-dire le fait d’aimer chercher les histoires (lui-même est de l’ethnie yacouba de l’ouest de la Côte d’Ivoire, NDLR). Cette personne n’a pas froid aux yeux et touche du doigt ce qui ne va pas dans la société. Il n’a pas peur de critiquer le pouvoir, le comportement des gens… “Dans mes spectacles, je parle des hôpitaux dans lesquels il n’y a pas de médicaments, du manque de routes. », precise t-il. De fait, les chroniques de Digbeu cravate sont des radioscopies du quotidien : « Je suis un gars de la masse populaire, donc je vois ce qui ne va pas et ce qu’il faudrait pour améliorer les conditions de vie des gens. Comment peut-on imaginer qu’en 2017 en Côte d’Ivoire des populations n’ont même pas accès à l’eau potable ? Mon rôle est de parler de ce qui ne va pas. Les politiciens disent : Pourquoi ne pas parler de ce qui va ? Je réponds que non, je ne suis pas là pour ça ! », martèle le professeur de football.
Omar De Funzu ou l’orfèvre de l’imitation
Particulièrement doué sur la forme, Omar De Funzu a commencé à faire du théâtre au Gabon en 1994. Quatre ans plus tard, il se spécialise dans le stand-up. En 2012, sa rencontre avec Mamane à Saint-Louis-du-Sénégal lui permet d’intégrer le Parlement du rire : « J’ai fait un spectacle sur l’immigration, les difficultés rencontrées par les Africains pour obtenir un visa et s’intégrer, avec des imitations qui permettent d’individualiser les personnages. Le Gabon reçoit pratiquement toutes les communautés africaines, les Sénégalais, Camerounais, Nigérians… J’ai grandi et vécu avec eux. À force de les observer, de les écouter, j’ai appris à parler comme eux. Je raconte à mes frères en Europe les histoires du pays. On est au courant de leurs difficultés ici. On voit comment ça se passe pour les Africains ici. Ça me permet d’avoir de la matière. »
Le succès de ce premier essai, permet aujourd’hui à Mamane de voire grand pour la suite : « C’est un plateau appelé à être constitué d’une douzaine d’humoristes qui alterneront. Par exemple, Le Magnific de Côte d’Ivoire, Moussa Petit Sergent du Burkina Faso, Edoudoua non glacé et Kalkaissa “Petit gougou” du Cameroun, Roch Bodo, la troupe Toumao de RDC, Fortuné Bateza de la République du Congo… », assure, le père du Gondwana. Qui caresse déjà le secret espoir d’aller à la conquête de salle de renommée mondiale, telle l’Olympia.
« Le projet, c’est de prendre une grande salle comme l’Olympia et de faire un spectacle qui tournerait en province, dans les grandes villes comme Lille, Lyon, Toulouse, Bordeaux et dans des pays comme la Belgique, le Luxembourg, mais aussi le Canada et les États-Unis à New York, Washington, où nous avons des demandes. C’est un spectacle qui doit tourner dans le monde entier… sans visa ! », dixit Mamane
EKB
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