Côte d’Ivoire-Immigration clandestine : après un échec Kanté Mouloukou Souleymane et Sangaré Brahima racontent leur calvaire
Entretien avec Kanté Mouloukou Souleymane (à gauche) et Sangaré Brahima (à droite)
Quitter la Côte d’Ivoire et réaliser leur rêve en Europe. Kanté Mouloukou Souleymane et Sangaré Brahima, deux jeunes ivoiriens domiciliés à Daloa, centre-ouest de la Côte d’Ivoire, âgés d’environ 20 ans décident, de se rendre en Italie clandestinement, sans succès. Dans cet entretien, ils soutiennent ne plus « recommencer » et invitent le gouvernement à leur réinsertion.
Kanté Mouloukou Souleymane : “ Moi, j’ai eu la vie sauve en m’accrochant au zodiac.”
Quel est ton niveau scolaire et que faisais-tu comme métier avant de te décider ?
Je jouais au football à l’As Benkadi, le club de mon quartier à Daloa. J’ai arrêté les études en classe de seconde.
Comment as-tu mûri l’idée de sortir de Daloa pour te lancer dans l’aventure européenne ?
Je supportais difficilement la situation de pauvreté de ma famille. Il me fallait sortir pour “aller me chercher” (ndlr : un mieux-être) en Europe.
Combien d’enfants compte ta famille ?
Je suis issu d’une famille de 9 enfants. Malheureusement, il y a un qui est décédé.
Quel est le métier qu’exerce votre père ?
Mon père était chauffeur, mais à ce jour, vu son âge, il n’exerce plus ce métier.
Et votre mère ?
Ma mère est commerçante et parvient à subvenir à nos besoins.
Quel est le pays que vous avez choisi ?
J’avais choisi de m’établir en Italie.
Comment avez-vous mobilisé les moyens nécessaires pour l’aventure italienne ?
J’ai subtilisé d’abord 500 000 FCFA à ma mère, mais arrivé en Libye, je n’avais plus d’argent, c’est elle qui m’a soutenu. Ma première tentative de traversée s’est soldée par un échec. J’ai encore eu recours à ma mère qui m’a répondu favorablement en m’envoyant encore de l’argent.
Combien étiez-vous dans l’embarcation ?
Pour la première fois, nous étions 126 personnes dans une embarcation de fortune, lorsque nous avons été interceptés et conduits en prison à Tripoli en Libye. Nous étions environ 1000 prisonniers dans un entrepôt qui, en réalité, ne pouvait contenir que 500 personnes.
Comment étiez-vous nourris ?
Nous n’avions droit qu’à un seul pain pour repas de la journée. Notre seule occasion de sortie, c’est lorsque nos geôliers nous permettaient d’aller chercher ce pain. En dehors de cela, nous étions enfermés dans cette prison où nous faisions tous nos besoins. J’ai dû appeler ma mère pour payer ma libération. J’ai alors regagné le foyer qui est un endroit géré par les passeurs.
De quelle nationalité sont ces passeurs ?
Ils sont de diverses nationalités. Il y a des Sénégalais, des Gambiens, des Maliens et des Ivoiriens. Mon passeur était de nationalité ivoirienne.
Étiez-vous dans la même cellule que les femmes et les enfants ?
Les femmes avaient leur cellule et les hommes avaient la leur.
Combien de temps as-tu passé dans cette prison ?
La première fois, j’y ai passé deux semaines, courant mars 2016. J’ai dû payer, pour ma libération 250 000 FCFA que ma mère m’avait fait parvenir. Et je suis retourné au foyer. Après cette mésaventure, j’ai encore sollicité l’aide de ma mère et je me suis engagé encore. J’ai repris ce même parcours quatre fois de suite sans succès. Et chaque fois, il fallait débourser 250.000 FCFA.
Combien avez-vous payé pour avoir accès au bateau pour la première fois ?
Moi, j’ai payé 800.000 FCFA. Il y en a à qui les passeurs demandent de payer plus, 900.000 FCFA, voire 1 million FCFA pour traverser la Méditerranée. Au débarquement, il faut encore payer.
Vos embarcations n’ont-elles pas été confrontées à des infortunes pendant ces différentes étapes ?
Si, une fois notre embarcation était percée et a fini par couler. Plusieurs personnes sont mortes par noyade. Moi, j’ai eu la vie sauve en m’accrochant au zodiac, jusqu’à l’arrivée de la marine libyenne.
Est-il exact que vous subissiez des sévices de la part des marins ?
Oui, en effet, ils nous maltraitaient et nous faisaient subir des supplices inimaginables. Des marins libyens tiraient à bout portant sur tous ceux qui tentaient de s’évader. J’en ai vu périr plusieurs. J’ai été sauvé par Dieu. Parce qu’ils ont aussi tiré sur moi sans succès.
Pourquoi cette folle envie d’immigrer au péril de votre vie ?
La Libye n’était pas mon objectif. C’était juste un passage pour moi et je ne m’attendais pas à toutes ces mésaventures.
Aujourd’hui, avec du recul, es-tu prêt à t’engager dans les mêmes conditions ?
Non ! J’ai été fortement marqué par ce que j’ai vu sur le sol libyen pendant mes tentatives de regagner l’Europe par les côtes libyennes en traversant la Méditerranée.
Que faites-vous maintenant que vous êtes retournés dans votre pays ?
Rien pour le moment. Sauf que nous sommes devenus l’objet de raillerie de mauvais goût. Mon souhait le plus ardent est de trouver une petite activité pour sortir des griffes de l’oisiveté.
Sangaré Brahima : “ Il fallait recourir à mes parents à Daloa”
Quand avez-vous quitté la Côte d’Ivoire ?
J’ai quitté la Côte d’Ivoire le 27 mars 2016. J’étais élève, mais j’ai abrégé mon cursus scolaire en classe de seconde au collège moderne de Daloa.
Étiez-vous dans le même établissement ?
Non, lui, il fréquentait le lycée Fadiga. Seulement, nous sommes dans le même quartier. Son départ m’a beaucoup marqué, d’autant plus que nous étions toujours ensemble. Du coup, moi aussi, j’ai voulu renter l’aventure comme mon ami.
Qui est-ce qui a financé votre départ ?
J’ai pris 600.000 FCFA de ma mère et je me suis engagé.
À partir de quel moyen êtes-vous parti de Daloa ?
J’ai pris un car de la compagnie de transport Djiguiya pour le Mali. Là-bas, précisément à Bamako, j’ai emprunté un autre car pour Gao. À partir de cette ville, nous avons affronté le désert en Pick-up, pour certains, et en camion, pour d’autres. Pour ma part, c’est un gros camion qui m’a fait traverser le désert.
Combien étiez-vous dans ce gros camion ?
Nous étions au nombre de 66. Nous avions quitté Gao un mercredi soir, tandis qu’on nous prévenait de la présence de coupeurs de route le long de notre parcours. Le chauffeur nous a demandé de lui donner l’argent en notre possession ainsi que les téléphones portables. Le lendemain, lorsque nous repartions après quelques heures de pause, nous étions poursuivis par un Pick-up dont les occupants se sont mis à tirer sur notre camion, l’obligeant à s’immobiliser.
Descendus, nous avons été sommés par les agresseurs de débourser de l’argent contre notre vie sauve. Sous la pression des fouets, certains d’entre nous ont fini par craquer avouer qu’ils avaient mis leur argent à l’abri avec le conducteur du camion. Il n’en fallait pas plus pour que ces bandits s’en prennent violemment à lui. A peine sortis des griffes de cette bande qui nous a pratiquement dépouillés, nous tombons sur un autre groupe de coupeurs de route.
Nous avons été braqués quatre fois et chaque fois, nous étions bastonnés. Ils nous ont dépouillés même de notre réserve d’eau. Au bout de ce périple, nous avons atteint la ville de Kidal. Là-bas, la situation n’était pas aisée. Fort heureusement, nous avons été autorisés à poursuivre notre chemin jusqu’à la localité de Talantan, dernier village malien qui fait frontière avec l’Algérie. Là-bas, nous avons eu droit à un peu de nourriture chez Mohamed Talantan, le chef de la localité et nous avons été vendus à 50.000 FCFA chacun. Arrivés en Algérie, c’est au double de cette somme que nous avons été bradés.
Combien de temps avez-vous mis au cours du parcours ?
Nous avons mis une semaine. D’ordinaire, la traversée du désert dure deux jours au plus, de Gao jusqu’à la frontière algérienne. De là, nous avons adressé des messages aux parents qui nous ont envoyé de l’argent. Sur place, à court d’argent, j’ai exercé de petits métiers qui m’ont permis d’épargner la somme de 200.000 FCFA par lesquels je suis entré en Libye. Malheureusement, cette somme s’est avérée insuffisante.
Il fallait recourir à mes parents à Daloa, qui m’ont envoyé 200.000 FCFA. Emprisonné, je me suis ruiné en payant ma liberté. J’ai alors rencontré un jeune ivoirien du nom de Moussa qui m’a escroqué à hauteur de 300.000 FCFA pour ensuite m’abandonner dans les rues.
Comment avez-vous quitté la Libye ?
Arrêté dans le foyer où je m’étais retranché, j’ai encore été envoyé en prison jusqu’à ce que l’ambassadeur de Côte d’Ivoire vienne nous enregistrer et organiser notre retour au pays. Malheureusement, le retour n’est pas toujours facile. Je ne travaille pas. Mon souhait est de trouver rapidement un emploi. Qu’allons-nous devenir devant nos amis et nos familles après ces échecs ? Je conseille à tous les candidats à l’immigration de choisir la voie légale. J’avoue que la clandestinité n’est pas du jeu. Nous avons ruiné nos parents pour rien.
Entretien réalisé par Sériba Koné
kone.seriba67@gmail.com
Encadré
La route de l’eldorado, un cauchemar
Plutôt que d’aider leurs progénitures à créer des activités génératrices de revenus, des parents, des mères les encouragent leurs progénitures dans une aventure périlleuse avec des millions FCFA. Peut-on affirmer à la première lecture des deux entretiens que ces jeunes sont issus de familles pauvres ? La réalité est tout autre. Une fois dans le désert du Sahel, les clandestins deviennent les proies de chantage des bandes armées au péril de leur vie.
Les parents des otages sont obligés de débourser la somme que les bandits et les complices demandent pour les libérer. Sans moyen de communication, sans argent, sans nourriture, ils deviennent des esclaves, des êtres sans droit dans un no man’s land : le désert libyen et la Libye.
Les parents des candidats à l’immigration sont les premiers responsables, ce sont eux les instigateurs pour la plupart de ces aventures périlleuses. La mère de Sangaré Ibrahim par exemple, a dû débourser plus de deux millions FCFA pour son fils, pour le revoir en vie.
Chaque fois que son fils était incarcéré, il recouvrait la liberté grâce à son concours. Elle lui envoyait de l’argent pour sa sortie de prison à 250 000 FCFA. Cela signifie qu’elle transférait au moins 300 000 FCFA à son enfant.
Avec ces millions par les passeurs véreux et transporteurs malhonnêtes, complices des passeurs, ne peut-on pas créer des activités génératrices de revenus dans un pays en pleine comme la Côte d’Ivoire ?
L’eldorado se transforme là en enfer, et le clandestin devient une marchandise. Il est vendu et acheté pour des corvées. Les films attrayants des stars ou des riches de l’Europe se transforment en cauchemar. Difficile d’y croire, même en rêve, mais c’est l’amère réalité que révèle aujourd’hui l’immigration clandestine.
À la place des millions d’euros que les parents attendent pour bâtir des maisons à étages dans les quartiers chics d’Abidjan, de Daloa, de Korhogo, de Bouaké…ou rouler dans des véhicules de type 4X4 de luxe, ce sont des souvenirs douloureux que leur envoie le cimetière de la Méditerranée.
Ainsi va la vie de ceux pour qui, le premier nom de Dieu est désormais l’argent.
Sériba K.
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