[Côte d’Ivoire Leçons des élections couplées du 13 octobre 2018] La part de vérité de Mme Chantal Moussokoura Fanny, maire de Kaniasso
-‘’Regardons l’avenir avec plus de sérénité’’
Fraîchement élue pour la deuxième fois consécutive à la tête de la mairie de la commune de Kaniasso, Mme Chantal Moussokoura Fanny, était récemment sur le plateau de la chaîne d’information Medi1 TV Afrique, pour le décryptage des récentes élections couplées des municipales et régionales en Cote d’Ivoire. Point de vue et commentaires sur les élections locales du 13 octobre 2018, sur le faible taux de participations des Ivoiriens au scrutin et la présidentielle de 2020 sont, entre autres les points essentiels abordés par l’élue. Ci-dessous, les points essentiels de l’entretien avec Mme Fanny.
Avant tout propos, s’il vous-plaît, présentez vous à ceux qui ne vous connaissent pas ?
Je suis Chantal Fanny, sénateur de la région du Folon, maire de la commune de Kaniasso. Je suis initialement diplomate de carrière, diplômée de science politique de l’université Laval. J’ai un DUA en droit public, DESS en communication et je suis doctorante en science politique. Cette somme d’études m’a permis de faire de la politique. Mais, je pense que je suis plus agent de développement que politique.
Quel est votre décryptage des scrutins auxquels nous venons d’assister en Côte d’Ivoire ?
Moi, je pense que le Rhdp, puis que moi-même je suis du parti, nous avons pu mettre les pieds dans le plat et prouver à l’opinion publique que nous sommes présents partout sur le territoire ivoirien. Nous maîtrisons la politique en Côte d’Ivoire. La meilleure des choses, c’est de se mettre ensemble pour pouvoir relever la Côte d’Ivoire et unifier les enfants de ce pays.
Pour moi, le Rhdp est une chance pour nous. Car, après ce que nous avons vécu en Côte d’Ivoire, je souhaite que nous regardions l’avenir avec plus de sérénité et que nous apprenions à nous comprendre et accepter nos différences.
À l’analyse des temps forts de ce scrutin, on voit nettement l’emprise du Rhdp sur l’échiquier politique national, mais surtout la percée des candidats indépendants. Quel enseignement peut-on tirer de cela ?
La panoplie des candidats indépendants s’explique par le fait qu’il y a eu beaucoup de personnes qui se sont senties frustrées par leur parti. Et moi, ma conception justement sur le cas des indépendants, c’est qu’il faudrait que nos partis soient plus fermes et rigoureux. Car c’est justement, parce qu’il y a une facilité d’aller et de revenir à la maison que nous avons une percée d’indépendants. Mon souhait est que nous soyons fermes et qu’il ait une discipline du parti. Parce qu’à un certain moment, chacun pensera qu’il peut tout faire. Dès qu’il va en indépendant et qu’il gagne, il revient aussitôt à la maison, car il y a quelqu’un d’autre qui nous fait la cour. Et moi, je suis pour la discipline du parti.
Il y a M. Kouao Julien, analyste politique et écrivain qui disait que c’est parce que le Pdci a connu des difficultés avant ces élections qu’il a enregistré un faible score. Que pensez-vous de cette assertion ?
Personnellement, je ne connais pas la politique interne du Pdci, mais le parti a décidé de faire chemin seul, alors que nous étions ensemble au Rhdp. Moi, je pense que cela est un coup d’humeur, et je crois que c’est ce coup d’humeur qui a donné ce résultat. Et si cela avait été mieux pensé, je pense que le Pdci aurait eu un meilleur score.
Vénérable, pensez-vous que le Rhdp est incapable de mettre en place une société sans violence en Côte d’Ivoire ?
Vous savez, l’herbe a toujours été grasse ailleurs. J’ai été observateur au Mali pour le compte de la Cedeao et vous savez, partout en Afrique, on a toujours eu ces violences pendant les élections, dues certainement à l’immaturité. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’il faut remettre tout en cause, parce qu’il y a la violence.
Cependant, nous déplorons ces les morts là. Nous allons en politique et normalement quand on va en politique, c’est pour améliorer les conditions de vie des populations, nos concitoyens. Alors, il est donc regrettable que certaines personnes utilisent la politique pour se faire un nom, une assurance, une notoriété.
C’est justement maintenant qu’il faut qu’on demande aux partis politiques de créer une école politique afin d’apprendre à leurs partisans, à ces personnes qui sont issues de ces partis politiques.
Il faut leur apprendre ce que signifie réellement, ce que veut dire faire de la politique, que faire la politique, c’est se mettre à la disposition de la population et éviter les attaques et agressions qui traduisent ce que nous vivons et connaissons. Mais je crois que le cas de la Côte d’Ivoire n’est pas un cas désespéré. C’est vrai qu’il y a eu 5 morts pendant ces élections locales. Cinq morts de trop, qui, d’ailleurs n’étaient pas nécessaires. Car il n’y a rien qui justifie qu’il y ait des morts.
Mais vous verrez que, partout en Afrique, les élections ont toujours engendré beaucoup de violences, parce que les gens mettent trop de passion dans la politique. Et pour corriger cette passion, chaque parti, je prends le cas du Rhdp, doit pouvoir permettre à ceux qui le représentent d’être dignes du peuple et disciplinés. Parce qu’il ne suffit pas de faire de la politique parce qu’on se dit qu’on fait de la politique. À cela, il faut également pouvoir apporter quelque chose à la politique et aux populations. Et chez nous au Rhdp, nous avons déjà initié des formations qui vont dans ce sens. Et je crois qu’avec le temps, nous aurons de meilleurs politiques, de meilleurs représentants de l’État et de la population, et nous aurons aussi des partis politiques responsables.
Est-ce que la nouvelle reforme de la Commission électorale indépendante (CEI) qui devait normalement intervenir pendant ces élections et qui a finalement été reportée par le président Alassane Ouattara est à la base de ces 5 morts de trop?
Non. Je m’inscris en faux sur ce point de vue. Car je ne crois pas que la CEI puisse être l’élément qui a engendré ces 5 morts.
Mais les représentants de l’opposition ont pourtant réclamé cette reforme de la CEI, bien avant la tenue de ces élections…
Ils l’ont réclamé, mais ils ne l’ont pas obtenu, est ce que cela justifie le fait que des gens soient morts ? Non. C’est vrai que le président de la République Alassane Ouattara a dit que nous allons réviser la CEI et nous sommes en train de travailler sur la question. Mais, au-delà de tout ça, je voudrais dire qu’il fallait absolument qu’on parte aux élections locales. Car nous étions en date limite par rapport aux régionales et aux municipales. Qu’est-ce qu’il fallait donc qu’on fasse ? Reporter ces élections et après on allait venir crier au loup, en disant que le président ne tient pas ses promesses. En plus de cela, quand on fait une reforme de la CEI, on ne le fait pas au pied levé. On le fait vraiment dans le fond et dans la forme.
Alors dites nous, qu’est-ce que vous allez changer exactement dans cette reforme ?
Ce n’est pas à moi de vous dire ce qui changera. Nous sommes en train de travailler là-dessus, afin que tous les acteurs politiques puissent travailler sur la nouvelle reforme. Pour qu’après, si jamais nous avons une nouvelle Commission électorale indépendante, nous puissions tous être d’accord sur les personnes qui feront partie de cette reforme.
Quelles sont vos réactions, quant à la possibilité de candidature d’Alassane Ouattara et d’Henri Konan Bédié pour l’élection présidentielle de 2020 ?
Moi je reste perplexe quand je vois aujourd’hui certains responsables parlent de limite d’âge qui a été sautée pour les élections présidentielles. Car nous sommes partis au référendum et nous avons voté, il y avait la possibilité de dire non.
Cela n’a peut-être pas été possible à cause du faible taux de participation au référendum ?
Mais justement, qu’est-ce qui empêchait les gens de participer et dire non ? Il ne suffit pas de l’abstention pour dire qu’on n’est pas d’accord. Il faut aller aux urnes pour voter et espérer que les résultats tournent en sa faveur. Aujourd’hui on a voté, que le taux soit faible ou pas, le fait est qu’on a voté. Et quand on n’est pas d’accord, on l’exprime ou on subit.
Le taux de participation de ces dernières élections locales était de 36%. Avec ce taux très faible, pensez-vous que les Ivoiriens ont boycotté les scrutins ?
Il faut dire que les Ivoiriens sont en train de démissionner de la chose politique. Parce qu’ils estiment qu’ils ne sont pas concernés par les choses politiques. Maintenant, pour remédier à cela, il faut que les partis politiques qui sont déjà là, ou qui se créent ou encore la société civile, exhortent les gens à avoir une introspection et participer au développement du pays. Il faut que les Ivoiriens apprennent à échanger sans passion, apprennent à dire qu’ils ne sont pas d’accord, en participant et en s’exprimant sans pour autant aller à la violence.
Selon vous, qu’est-ce qui pourrait expliquer le faible taux de présence des femmes aux postes électifs ?
Vous savez, sur ce débat moi je suis partie prenante pour que les femmes puissent s’investir. En 2013, quand je me suis présentée pour les municipales à Kaniasso, on nous avait demandé que les femmes se présentent. Et honnêtement, je pensais qu’il allait avoir de la discrimination positive, c’est-à-dire qu’on allait, nous, les quelques femmes qui se sont présentées, bénéficier d’un soutien du gouvernement. Et malheureusement, cela n’a pas été le cas. Mais cette année, par contre, le président de la République a décidé de mettre un accent particulier du côté des femmes au scrutin en nous accompagnant au niveau juridique, etc. Et moi, j’en ai profité parce que j’étais dernièrement au Canada pour un forum Canada-Afrique, au sommet des USA. Et nous avons réussi à créer une organisation appelée le Refep (Réseau des femmes élues et politiques), qui amènera les femmes à s’intéresser davantage à la politique. Malgré tout ça, notons qu’il y a un véritable frein qui empêche les femmes de s’adonner à la politique. C’est que les hommes politiques ont peur de nous les femmes. Car quand on va aux élections, il n’y a pas de débat d’idées. Il y a plutôt des agressions qui touchent l’honorabilité de la femme, et nous les femmes, nous sommes très sensibles. Compte tenu du fait qu’on nous attaque sur notre féminité, nous pensons à nos enfants, nos maris et beaux-parents pour l’image qu’ils auront de nous, nous faisons marche arrière. Nous préférons donc ne pas nous intéresser à la chose politique.
Propos retranscrits par Georges Kouamé
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