[Côte d’Ivoire] L’espace public ne doit pas être un cadre de l’exhibition de ce qu’il y a de plus laid en l’homme #édito
-“J’appelle à un véritable cessez-le-feu sur le front du langage socio-politique!”
C’est vrai qu’en Afrique, la majorité de la population est loin d’avoir atteint l’amour du citoyen. C’est plutôt l’amour parental qui régit la plupart des institutions des pays du continent. Pour autant, l’espace public ne doit pas être un cadre de l’exhibition de ce qu’il y a de plus laid en l’homme, un choix entre le préférable et le détestable. L’espace public doit être le lieu pour faire apparaître la grandeur de la pensée. Il nous faut alors réussir à prouver ainsi qu’il est possible, encore aujourd’hui, de se mettre à une telle hauteur, chacun de nous, comme nous sommes.
Dans les débats de société comme dans les batailles politiques en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique, la dignité, la décence, les valeurs morales, juridiques, religieuses et celles des coutumes africaines nous convoquent et nous appellent à regarder l’autre avec les yeux de la raison. La lumière de l’humain sur son visage doit nous faire prendre conscience de ce que Lévinas appelle la « responsabilité sur autrui ». Les animaux ont des griffes ou des crocs, des becs ou des pinces, mais ils n’ont pas d’éthique.
L’éthique commence quand je cesse de regarder l’autre du haut de ma pseudo-puissance de mortel poussiéreux parce que j’ai découvert une puissance venue d’ailleurs, la puissance du visage.
Cette puissance du visage n’est pas la puissance des faux puissants de ce monde, une puissance mondaine nécrologique. C’est la force d’une présence, d’un regard qui se tourne vers moi et m’incline à une réaction d’humanité. Face à un visage pâle, un teint blafard, une expression faciale de tristesse, nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Nous ne pouvons pas tourner les talons de la raison théorique et passer notre chemin socio-politique. Réussir cet essai phénoménologique, c’est faire preuve de « cette vraie générosité envers l’avenir qui consiste à tout donner au présent », dont parle Albert Camus.
Il nous faut savoir être créatifs face aux adversités, aux challenges, aux maux de notre société et aux tempêtes de l’actualité.
Oui, tout donner pour préserver le débat politique en Côte d’Ivoire dans le respect des valeurs démocratiques et humaines, en évitant les comportements hasardeux et les mesquineries intellectuelles de toutes parts qui tissent les tissus des rancœurs et de la belligérance fratricide. Le faisant, nous donnerons aux proches et au monde une belle leçon de qualité de cœur politique, d’une magnifique dignité humaine et d’une inépuisable force de vie démocratique, dans un espace social et public fraternel.
Lorsque l’un de nos semblables semble frappé par la fièvre politique ou que les ingrédients semblent se concocter pour lui infliger une grippe para-politique, les moyens techniques peuvent nous manquer ou ne pas suffire pour faire front ou même lents à produire des résultats souhaités. Et pourtant, parce qu’humains, il nous faut pouvoir continuer à creuser la conscience et la pensée. Il nous faut lapider cette force morale et cette audace intellectuelle, bien différentes des pompeuses parades langagières qui tentent de transformer l’espace public en un ring pour cochons dodus et de Katas de biceps de pécule, afin de continuer de puiser dans les ressources de l’imagination, de la sensibilité et des intelligences pour faire face à la difficulté de la situation. Il nous faut savoir être créatifs face aux adversités, aux challenges, aux maux de notre société et aux tempêtes de l’actualité. Le créatif est un homme qui essaie d’épuiser le contenu même du concept d’humanité pour se positionner comme un leader, un être charismatique, un sage. Il est celui-là même qui se détache de la répétition monotone et mécanique des vieilles traditions politiques qui guident la masse pour en créer de nouvelles. C’est un être qui manifeste au maximum son humanité. C’est Nietzsche qui disait, dans “le prologue de Zarathoustra”, que ce qu’il y a de grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but.
Nous avons alors le devoir de participer à l’être du monde par la qualité de notre habitation dans ce monde, en évitant les pensées de forme qui déforment les fonds politiques.
En toutes circonstances socio-politiques, il nous faut pouvoir affirmer haut et fort que la fraternité est ce qu’il y a de meilleur pour tenter d’accomplir notre humanité́ errante et incertaine. C’est ce qu’avait proclamé la société mondiale en 1948 en promulguant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme pour faire face à la barbarie dont la deuxième guerre mondiale avait été le théâtre, révélant la face la plus sombre et la plus obscure de l’humanité. Sur quoi repose la Déclaration Universelle ? On l’oublie un peu vite mais l’article 1er de ce texte rappelle l’impératif éthique majeur : « les hommes doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Ce qui veut dire que la fraternité doit s’imposer aux hommes. Elle est, comme l’a dit le philosophe Emmanuel LÉVINAS, « un fait originel ». Autrement dit, la fraternité n’est pas une option mais une nécessité et un impératif. Les rédacteurs de la déclaration de 1948 ont eu l’intuition et l’optimisme de penser qu’il y a un potentiel humain qui doit advenir, et c’est la fraternité qui définit et circonscrit le mieux cette espérance.
Mais, bien sûr, la fraternité n’est ni spontanée ni immédiate, et il ne servirait à rien de la décréter et encore moins de l’imposer. Non, la fraternité s’apprend à travers l’éducation et la formation et c’est précisément ce que disaient les rédacteurs de la Déclaration Universelle dans le préambule de leur texte. C’est aussi ce que nous dit Martin Luther King : « Où bien nous apprendrons à vivre ensemble de façon fraternelle, ou bien nous périrons tous comme des idiots ». Il y a donc un apprentissage tout au long de la vie scolaire et non scolaire à effectuer pour reforger la fraternité républicaine en Côte d’Ivoire, par la démocratie et la morale. En réalité, l’humanité n’a de sens que si elle renvoie à un monde que nous pouvons mettre en commun, à un univers où, animés de bonté, nous pouvons vivre dans une amitié fraternelle permettant de saisir l’autre comme un rameau de la même vigne de la vie, selon les termes du Professeur Augustin DIBI. Sans cette amitié fraternelle, sans cette cohabitation fraternelle, nourrie de l’attention à ce qui est fragile et menacé, que vaudraient la vie et l’action politique, sinon simplement un métal qui résonne, une cymbale glapissante ?
Il y a donc un apprentissage tout au long de la vie scolaire et non scolaire à effectuer pour reforger la fraternité républicaine en Côte d’Ivoire, par la démocratie et la morale.
La fraternité républicaine doit alors être reforgée individuellement mais surtout collectivement, dans le ciment de la démocratie et de la politique en Côte d’Ivoire, si nous voulons nous garantir une existence de paix, préalable à toutes actions de gouvernance et de développement. Nous devons être capables de nous inventer des solutions pour nous tirer d’une situation qui se dessine bien compromise, a priori désespérée. Sachons-nous créer des outils pour nous construire des abris démocratiques de coexistence pacifique. Il est temps de nous confectionner des habits pour nous protéger des prédateurs politiques et nous draper continuellement dans notre dignité d’êtres humains ivoiriens. J’appelle à un véritable cessez-le-feu sur le front du langage socio-politique! Nous ne devons pas démissionner de toute responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes, des autres et de notre Nation!
Comme le dit Joseph Ki-Zerbo, « N’an laara, an saara.- Si nous nous couchons, nous sommes morts» !
Docteur Pascal ROY
Juriste, Philosophe et Diplômé de Sciences politiques
Enseignant-Chercheur des Universités
Chercheur-Associé à l’Institut Catholique de Paris
Membre-Associé à la Société Française de Philosophie
Écrivain et Chroniqueur
www.docteurpascalroy.com
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