[Interview] Mme Euphrasie Kouassi Yao parle du programme de l’ingénierie du genre (operanews)
2017-2024. Sept ans que la Chaire Unesco « Eau, Femme et Pouvoirs de Décisions » a initié la formation en Ingénierie du genre. Euphrasie Kouassi Yao, la seule femme titulaire d’une Chaire Unesco en Côte d’Ivoire donne les biens fondés de cette formation dans cette interview à l’approche de la rentrée académique de la 7e promotion.
- Vous êtes reconnue à travers le monde comme la spécialiste du genre. Qu’est-ce que le genre ?
Le genre, c’est une stratégie de développement. C’est une approche de développement qui vise à corriger les inégalités sociales en termes d’éducation, de santé, les inégalités économiques, en termes d’opportunités, les inégalités politiques en termes de prise de décision et même les inégalités culturelles d’une région à une autre entre les femmes et les hommes ou entre les filles et les garçons. Il permet de relever tout ce qui est injustice, discrimination parce qu’en fait c’est ce qui est à la base des inégalités. Une politique qui prend en compte le genre, c’est une politique qui va toujours analyser de manière comparative la situation des femmes et des hommes et va identifier les sources des inégalités et analyser les outils à utiliser pour pouvoir corriger toutes ces choses. Ce qui suppose la connaissance de ces outils et la bonne pratique dans l’utilisation, l’exploitation.
- Vous êtes la seule femme à avoir une Chaire UNESCO, la Chaire UNESCO « Eau, femme ou femme et pouvoirs de décisions ». A cet effet vous avez initié une formation en ingénierie du genre. Qu’est-ce que c’est et à quoi répond cette formation ?
Quand nous avons commencé à travailler sur les questions du genre, nous nous sommes rendus compte que les décideurs ne connaissaient pas cette approche. Donc c’était difficile de les convaincre, d’agir. Nous avons décidé d’ouvrir cette formation en ingénierie du genre destinée aux décideurs pour leur donner des outils, afin qu’ils soient capables d’identifier, de planifier, de suivre des actions, des programmes en matière de genre. C’est comme ça qu’a été créée l’ingénierie du genre. J’ai mis plusieurs outils ensemble ; Ce travail a duré neuf mois. Dès que les apprenants sortent de notre école d’ingénierie, en tout cas leur vision change. Nous n’avons plus besoin de faire des plaidoyers pour eux. Aujourd’hui nous avons 317 diplômés, des hauts cadres issus de tous les secteurs. C’est une grande satisfaction pour moi. Nous avons des DG, des Généraux des Eaux et Forêts, des Colonels de la douane, de l’armée, des médecins, etc. Avec la promotion qui vient d’achever la formation nous avons eu la Direction générale du budget, de l’économie, etc. C’est notre grande satisfaction. Nous avons les décideurs, ce qui est très important. La Chaire est une chance pour la Côte d’Ivoire.
- Quelles compétences on acquiert grâce à la formation à l’ingénierie du genre et à qui est destiné cette formation ?
On acquiert des compétences comme je dis au niveau du genre avec des outils vraiment pointus. On acquiert des compétences en leadership pour pouvoir faire changer les choses. On acquiert des compétences en management. Nous essayons de faire la planification sur une période de 09 mois. Ce qu’il faut retenir c’est qu’on acquiert une spécialisation. Nous formons les spécialistes de la Violences Basées sur le Genre. En Audit genre, il y a des spécialistes, analyse budgétaire selon le genre, genre paix et sécurité et puis genre eau et environnement. Nous formons des spécialistes dans ces différents domaines. Ces spécialistes sont destinés aux entreprises, aux décideurs, aux ministères. C’est la particularité de l’ingénierie du genre qui est un programme de haut niveau. Outre l’ingénierie du genre, nous avons le Master en genre économie et gestion durable de l’eau. Ce programme est conçu pour les étudiants qui, après la recherche, sont appelés à travailler dans des structures des Nations Unie. Aujourd’hui les Nations Unies recherchent des travailleurs qui ont des profils dans ces domaines. Ce programme est destiné aux personnes qui au moins le BA+ 3 et qui sont déjà en activité. Exceptionnellement, nous avons pris un étudiant au cours de l’année écoulée. Concernant le master, il faut avoir au moins la licence dans tous les domaines à savoir les sciences sociale, économique, etc. puisque le master même, il est transversal, pluridimensionnel. Dans un même master, il y a des cours d’Economie, d’environnement, l’eau, etc. Contrairement à l’ingénierie de genre où les cours ont lieu deux fois par semaine, les cours en master sont dispensés du lundi au samedi. Le programme en ingénierie du genre est conçu en tenant compte du statut des apprenants qui sont tous des décideurs. C’est fort de cela que nous avons une partie en présentiel et l’autre en ligne. Et puis, nous avons aussi des apprenants qui sont à l’extérieur. Nous avons formé des Togolais, des Burkinabés, des Canadiens et j’en passe. L’année dernière, nous avons eu une ministre d’État du Tchad qui s’était inscrite. Mais elle n’a pas pu terminer les cours, faute de temps. Au plan local, nous avons formé des ministres dont la ministre Myss Belmonde. Tout le monde peut se former à ce programme.
- Quels sont les défis et les obstacles rencontrés lors de la mise en œuvre du programme de formation en ingénierie de genre ?
En fait, comme vous l’avez souligné plus haut, je suis leader mondial en matière de genre par rapport à la Chaire. J’ai à mon actif des décennies de pratique du genre. J’avais pendant au moins dix ans, tester mes outils. Il ne me restait plus qu’à monter les modules pertinents et accrocheurs. Comme je l’ai dit, la finalité de cette formation, c’est qu’en neuf mois, l’apprenant puisse changer. Le défi, c’était ça. Maintenant il fallait voir l’agencement du programme. Que mettre en avant, après, ensuite, jusqu’à ce qu’on arrive à la spécialisation pour que les gens soient touchés. Et décident de changer et de s’engager. Cette année (2023), on a eu vingt hommes. Les autres fois, c’était cinq, huit au maximum. L’objectif était de structurer l’ingénierie du genre. Je me suis basée sur mon expérience, sur ma connaissance, sur mon bon sens pour concevoir ce programme. Il y a aussi ma passion, mon enthousiasme qui ont contribué à son succès. Je rappelle que c’est moi qui ai conçu la politique genre de la Côte d’Ivoire.
- Quelles sont les perspectives d’avenir pour l’ingénierie du genre ?
Je souhaite qu’il y ait beaucoup plus de personnes qui se forment, que l’État s’engage, que les entreprises s’engagent également parce qu’il y a beaucoup de perspectives avec le genre D’où la nécessité de la formation. Je voudrais, qu’il y ait beaucoup de personnes formées au sein des ministères, au niveau de l’État, dans les entreprises privées, etc. Avec le genre, chacun agit depuis la cellule familiale, sur soi-même, la communauté, au travail, à l’international, etc. D’où la nécessité de la formation. Il faut dire aussi qu’au départ, les gens ont trop confondu le genre avec la femme. Je ne sais pas si le mot leur plaisait. Tout le monde parle du genre sans y mettre un contenu. Nous, nous avons créé un contenu en tant que titulaire de Chaire mondiale.
- À qui ça s’adresse véritablement la formation à l’ingénierie du genre, parce vous avez cité des Colonels, des Généraux, des DG… La formation en ingénierie du genre est-elle ouverte à tout le monde ?
Oui elle est ouverte à tout le monde. C’est-à-dire à tous les travailleurs. Cependant, nous attendons plus de décideurs. Des titulaires du niveau BAC +3. Ce peut être un journaliste, un entrepreneur, un responsable d’une ONG, des personnes qui exercent dans des ministères…Ces personnes sont privilégiées, parce que nous faisons une sélection sur dossier. Nous avons des professeurs de renommée qui viennent de partout. Nous avons des témoignages positifs des diplômés. Il y a l’épouse d’un pasteur qui nous a fait savoir que l’ingénierie du genre l’a beaucoup aidé dans la gestion des fidèles. Il y a un réseau de femmes des professions religieuses qui ont été formées. Il y a par exemple Mme Cissé Bacongo qui a fait former10 personnes de son ONG. En termes de résultats, les étudiants que nous avons formés ont été recrutés par les nations unies à l’issue de la formation. L’ingénierie du genre a permis à plusieurs personnes de changer de statut au sein de leurs entreprises. Nous avons formé beaucoup de personnes dans de nombreuses structures nationales et internationales dont l’OMS, ONU Femmes. La chaire Unesco est une structure de référence agréée auprès du FDFP. Nos résultats sur le terrain témoignent de notre savoir-faire. Nous sommes à la 7e promotion et j’invite donc toutes les entreprises à venir inscrire les membres de leur personnel.
Interview réalisée par ELISABETH GOLI
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