[Interview sur la fraude de l’or au Burkina] Le Capitaine Sougrinoma Zongo fait la lumière

[Interview sur la fraude de l’or au Burkina] Le Capitaine Sougrinoma Zongo fait la lumière

La Société Nationale des Substances Précieuses (SONASP), sous la direction du Capitaine Sougrinoma Zongo, lutte contre la fraude sur l'or artisanal au Burkina Faso et ses initiatives pour renforcer l'économie minière nationale. Interview…

Abidjan, le 21 octobre 2024 (crocinfos.net) – Dans le N° 0005 / octobre 2024 du Magazine de référence sur le secteur extractif au Burkina Faso, Mines Burkina Actu, le Capitaine Sougrinoma Basile Zongo, Officier de l’Armée de Terre, nommé Directeur Général de la Société Nationale des Substances Précieuses est une société (SONASP) en Septembre 2023 est sorti de sa réserve. Dans cette interview, il exprime au micro de notre confrère dans le cadre de l’accès à l’information d’intérêt public, la fraude sur l’or dans son pays. Titulaire d’un Master 2 en Gestion et management des projets, il justifie la création de la SONASP, ses acquis depuis sa création, le projet de transformation des résidus miniers, la construction de la raffinerie.

Selon lui, cette nouvelle orientation permettra à l’État d’avoir un meilleur contrôle du circuit de la commercialisation de l’or produit artisanalement et partant améliorer les retombées du sous-secteur de l’artisanat minier dans l’économie nationale et lutter contre les flux financiers illicites.

Une partie de la production artisanale de l’or fait l’objet de fraude à la commercialisation: Avez-vous une idée sur les quantités fraudées ?

La production d’or des exploitations minières artisanales est importante mais leurs valeurs exactes restent encore difficiles à maitriser. Elle est estimée à 9,5 tonnes d’or par an selon l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD).

Cependant, une étude réalisée par l’OCDE à partir de la mesure des émissions de mercure dans l’atmosphère utilisés par les artisans, révèle que cette production se situerait autour de 20 à 25 tonnes d’or par an.

Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociétale des entreprises minières révèle que 15 à 30 tonnes d’or font l’objet de fraude par an.

Nonobstant l’importance de la production artisanale annuelle d’or estimée, la production annuelle déclarée de 2015 à 2023 n’a jamais atteint 500 kilogrammes.

Pouvez-vous décrire le circuit de la fraude ?

Le circuit de la fraude de l’or est divers et assez complexe.

Il faut cependant noter que le circuit informel du commerce de l’or s’identifie à celui des transactions informelles de l’or. En effet, l’or est un moyen d’échange reconnu et accepté, notamment chez les commerçants, qui permet de diminuer ou d’éviter les droits de douane perçu à l’importation de marchandises. L’or sert aussi comme monnaie d’échange permettant aux agents économiques de se passer des circuits officiels bancaires et de change.

Ainsi, un commerçant qui désire acquérir des marchandises en grandes quantités dans un autre pays, peut se servir de l’or comme un moyen de paiement. En étant transporté en contrebande, l’or échappe à toute imposition. En le vendant

dans un pays frontalier ou à Dubaï, le commerçant réussit à localiser des devises à l’étranger, lesquelles lui permettront d’acquérir puis d’importer des marchandises en les déclarant à des prix moindres ou en les faisant passer en contrebande

Comment la SONASP compte-t-elle lutter efficacement contre cette fraude de l’or ?

Avec l’adoption de la loi n°016- 2024/ALT du 18 juillet 2024 portant Code minier du Burkina Faso, le législateur a créé les conditions favorables pour lutter efficacement contre la fraude en matière de commercialisation de l’or. En effet, la SONASP fait désormais office de guichet unique pour les exportations d’or de production artisanale et semi-mécanisée. Cela permet de canaliser les quantités d’or issues de ces productions.

Par ailleurs, la SONASP a mis en place des mécanismes de facilitation des procédures d’achats et d’exportation d’or au profit des acteurs de la chaine de commercialisation.

Ces mécanismes ont permis de développer un climat de confiance entre les acteurs. En outre, la SONASP en tant que comptoir public, propose des prix d’achat incitatif en vue de booster les quantités déclarées.

L’ensemble de ces mesures ont permis d’engranger des résultats forts appréciables.

La SONASP va consolider ces mesures et développer d’autres initiatives afin de réduire la dépendance des acteurs au

circuits informels. En effet, le recours des acteurs aux circuits informels pour financer les opérations d’achat d’or les

prédisposent à la fraude.

Depuis sa mise en place, quels sont les acquis de la SONASP?

Les acquis de la SONASP peuvent être appréhendés suivant trois axes d’intervention dont le premier concerne la commercialisation. Au 31 août 2024, la quantité d’or achetée s’établie à 8,149 tonnes pour la production industrielle et 4,9 tonnes pour la production artisanale et semi mécanisée.

Il convient de relever que notre pays n’a jamais enregistré une telle quantité d’or provenant des exploitations minières artisanales et semi mécanisées. (NDLR : Soit 13,049 tonnes). Si cette tendance se maintient, ces quantités pourraient atteindre au moins 6,5 tonnes au 31 décembre 2024.

Le 2e axe concerne l’exploitation. Le conseil des ministres du 07 juin 2023 avait retenu 7 sites au profit de la SONASP en vue de développer des unités de production semi-mécanisée. À ce jour, un modèle type de protocole de gestion et un cahier de charges fixant les conditions de gestion desdits sites ont été élaborés. L’ensemble de ces sites ont fait l’objet de reconnaissance et les évaluations environnementales sont en cours.

Le dernier axe est le traitement et de transformation des produits miniers. La SONASP a pris des participations dans la raffinerie MARENA Gold Burkina. Le lancement des travaux de construction de la raffinerie a eu lieu le 23 novembre 2023. La SONASP a également pris des participations dans la société Golden Hand SA dont le lancement de l’usine de traitement a eu lieu le 26 décembre 2023.

Parlez-nous justement de la place d’une raffinerie d’or au Burkina Faso?

Le Burkina Faso fait partie des 3 grands pays producteurs d’or en Afrique de l’Ouest derrière le Ghana et le Mali. Depuis 2009, l’or est le premier produit d’exportation. Cependant, malgré ce rang et contrairement aux autres pays miniers, le Burkina Faso ne dispose pas d’une chaine complète de l’industrie minière. En effet, il ne dispose pas jusqu’à présent d’une unité de raffinerie d’or.

‘’La production d’or des exploitations minières artisanales est importante mais leurs valeurs exactes restent encore difficiles à maitriser.’’

Toutes les opérations d’affinage sont réalisées hors du territoire national. Conscient de cela, le Gouvernement en partenariat avec le secteur privé a développement un projet de raffinerie et a lancé le démarrage des travaux de construction le 23 novembre 2023.

D’un coût global de 7 milliards F CFA (la valeur du terrain non comprise) le financement est assuré par l’État et son partenaire Marena Gold Burkina. La capacité d’affinage sera de 149 tonnes par an pour un titre de 99,99%. La raffinerie sera approvisionnée par trois principales sources : l’or de production artisanal et semi mécanisée au plan national; l’or de production industrielle (grandes et petites mines) ; l’or importé de la sous-région ou d’autres régions du monde.

Il convient cependant de relever qu’au regard du retard observé dans l’exécution des travaux, le Gouvernement a pris l’initiative de réévaluer ses engagements avec son partenaire MARENA GOLD BURKINA en vue d’accélérer la réalisation du projet.

Qu’en est-il du projet de transformation des résidus miniers ?

Nonobstant le développement de l’industrie extractive au Burkina Faso, l’on relève toujours des maillions essentiels manquants dans la chaine des valeurs. En effet, pendant que les sociétés minières au Burkina Faso génèrent plusieurs tonnes de résidus, il n’y a aucune entreprise spécialisée dans l’extraction de métaux précieux à partir des résidus miniers sur le territoire national.

Ces résidus sont exportés hors de notre pays pour traitement avec ce que cela peut comporter en termes de manque à gagner pour l’État. Il vous souviendra sans doute, “l’affaire dite de « charbon fin » qui a défrayé la chronique depuis quelques années.

Et comme vous le savez bien, notre pays s’est engagé dans la voie de l’affirmation de sa souveraineté dans tous les domaines y compris celui du secteur minier. Aussi, est-il apparu nécessaire de trouver une solution au niveau national pour récupérer les métaux qui se trouvent dans les résidus miniers de type charbon fin, scories, cendres et concentré acidique.

C’est alors que l’État en partenariat avec le secteur privé national a développé le projet de traitement des résidus miniers porté par la société GOLDEN HAND SA.

D’une capacité de traitement d’environ 1 000 tonnes de résidus/an, ce projet ambitionne d’apporter des solutions novatrices de traitement de résidus miniers de types charbon fin, scories, cendres contenant des métaux précieux.

Elle est approvisionnée à partir des résidus des sociétés minières industrielles. Elle a également vocation à importer des résidus des sociétés minières étrangères pour traitement.

Le gouvernement est en train de constituer des réserves d’or. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La constitution de la réserve d’or s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du Plan d’Action pour la Stabilisation et le Développement (PA-SD) adopté par Gouvernement en 2022. Il est l’instrument d’opérationnalisation de la politique nationale de développement durant la période de la Transition. Il prévoit des activités majeures dans le secteur minier qui visent à développer un secteur industriel et artisanal compétitif, à forte valeur ajoutée et créateur d’emplois décents ».

Le gouvernement s’atèle à la définition d’un cadre juridique et institutionnel approprié pour sa constitution et sa gestion.

L’approvisionnement de la réserve d’or peut provenir plusieurs sources dont l’or de production artisanale et semi-mécanisée au plan national ; l’or de production industrielle (grandes et petites mines) ; l’or importé de la sous-région ou d’autres régions du monde ; l’or affiné en provenance de raffineries nationales ; l’or produit dans les unités de traitement des résidus miniers et l’or confisqué au profit de l’État.

Pour terminer, je dirai que la maîtrise des quantités d’or issues de l’Exploitation minière artisanale et à Petite échelle (EMAPE) constitue un défi majeur pour notre pays. Pour relever ce défini il est plus que nécessaire d’articuler une vision claire et de développement une synergie d’actions entre les acteurs. Les quantités d’or collectées à ce jour par la SONASP démontre à souhait que le potentiel est réel mais qu’il convient de travailler à alléger les contraintes de la chaine formelle de commercialisation de l’or afin de créer les conditions d’un commerce responsable de l’or.

Interview réalisée par Elie KABORE

 


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