Pays-Bas: le tribunal penal international pour la Yougoslavie ferme ses portes…
Deux semaines après le suicide en pleine audience de Slobodan Praljak, une cérémonie a lieu ce jeudi pour la fermeture du TPIY à La Haye. Créé en 1993 pendant les guerres en ex-Yougoslavie, ce tribunal a jugé 161 hauts dirigeants serbes, croates, bosniaques ou albanais, mais fait aussi l’objet de vives critiques.
Après un quart de siècle d’existence, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) baisse le rideau ce jeudi à La Haye. La cérémonie de clôture, en présence du Roi Willem-Alexander des Pays-Bas et du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, se tient sous les voûtes en bois de la Ridderzaal (salle des chevaliers) dans l’enceinte du Parlement hollandais. Une architecture gothique pour un événement qui sera forcément marqué par le suicide en pleine audience, le 29 novembre dernier, d’un ancien chef militaire croate. «Slobodan Praljak n’est pas un criminel de guerre, je rejette avec mépris votre verdict», s’est écrié à la troisième personne le condamné à l’annonce de la décision de justice, avant d’avaler le contenu d’une fiole de cyanure. Une dernière péripétie embarrassante pour le TPIY. Depuis sa création par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU en 1993, il a jugé 161 personnes pour violations graves du droit international pénal et humanitaire lors des trois guerres (Croatie, Bosnie-Herzégovine puis Kosovo) qui ont ensanglanté l’ex-Yougoslavie de 1991 à 1999. Parmi ces personnes, 90 ont été condamnées, 19 acquittées. Hormis celui, spectaculaire par son issue, de Slobodan Praljak, le dernier grand procès du TPIY fut celui du Serbe Ratko Mladic, condamné à perpétuité le 22 novembre dernier pour génocide et crimes contre l’humanité et reconnu coupable d’avoir dirigé le siège de Sarajevo et le massacre de Srebrenica.
Le TPIY, pionnier de la justice internationale
La cérémonie de ce jeudi a été précédée trois jours auparavant d’un colloque à l’Université de Leyde, dont le titre, «Regard sur le passé pour aller de l’avant», traduit l’état d’esprit des promoteurs du tribunal. Il s’agit pour eux d’établir le bilan, aujourd’hui contesté, du TPIY pour en déterminer l’héritage. «Le TPIY a posé les bases de la justice pénale internationale moderne», a notamment salué Silvia Fernandez, la présidente de la Cour pénale internationale (CPI), tribunal permanent créé en 2002 qui, selon ses propres mots, «poursuit» le travail de «pionnier» du TPIY. Un argument que partage Loïc Trégourès, chercheur en Science politique à l’Université Lille-2, qui écrit sur le site The Conversation que le «TPIY a ouvert la voie à la pratique de traduire – ou du moins d’avoir l’espoir plus tout à fait utopique de pouvoir un jour traduire – en justice des criminels de guerre d’où qu’ils viennent». Mais des personnes accusées par le TPIY n’ont pas pu être jugées, à l’image de l’ancien président serbe, Slobodan Milosevic. Inculpé en 1999 alors qu’il était encore en exercice – une première en matière de justice internationale -, celui-ci est mort en prison en 2006. Les détracteurs du TPIY dénoncent sa lenteur. Des critiques que rejette Alain Pellet, professeur émérite de Droit à l’Université Paris-Ouest. «Les procédures ont été longues mais la justice pénale est toujours lente et ici, c’est combiné avec le caractère international du Tribunal et le très grand nombre de victimes», explique au Figaro celui qui était le rapporteur de la commission à l’origine du projet français de TPIY.
Des acquittements font débat
L’héritage du TPIY est aussi historique. «Il laisse aux chercheurs des millions de pages d’archives. Nous savons grâce aux enquêtes qui a fait quoi à qui, où, comment et avec qui», explique Loïc Trégourès. Pourtant, certaines décisions prêtent à controverse. «Je dois dire que certains acquittements m’ont surpris», témoigne Alain Pellet. Loïc Trégourès cite ainsi celui du Serbe Vojislav Seslj, acquitté quelques jours après avoir été mis en cause nommément dans l’«entreprise criminelle conjointe serbe» lors du procès de Radovic Karadzic. Mais d’autres pointent au contraire du doigt l’acquittement de Bosniaques, de Croates ou de Kosovars, ennemis des Serbes lors des guerres d’ex-Yougoslavie, notamment le cas de l’actuel premier ministre du Kosovo, Ramush Haradinaj, acquitté en 2008 dans des conditions troublantes alors que neuf témoins à charge ont été assassinés ou sont morts dans des conditions suspectes lors de son procès. «Entre 1997 et 2005, 52 inculpations avaient été retenues par le TPIY, dont 45 contre des Serbes», note Alexis Troude, enseignant à l’Université de Versailles-Saint Quentin, dans Causeur , évoquant un «deux poids, deux mesures». Parmi les accusations récurrentes contre le TPIY, revient régulièrement l’idée que cette juridiction servirait la justice des «vainqueurs», selon l’adage antique «Malheur aux vaincus». «Les juges n’ont pas été insensibles à certaines considérations politiques. Mais dans des affaires aussi sensibles auraient-ils dû l’être?», abonde prudemment Alain Pellet. «Les Serbes y voient la manifestation d’une justice partiale inféodée aux États-Unis», poursuit Alexis Troude, qui met en garde: «L’action [du TPIY] ne peut que pousser, par un effet boomerang, une partie de la population dans les bras des mouvements nationalistes serbes ou musulmans».
L’échec de la réconciliation
Ainsi, le président de l’entité serbe de Bosnie, non reconnue par la communauté internationale, a déclaré que Ratko Mladic était un héros pour le peuple serbe, tandis que le premier ministre croate dénonçait une «profonde injustice morale» après le suicide de Slobodan Praljak . «Le TPIY a échoué à être considéré comme un acteur neutre et légitime auprès des opinions publiques locales. Il serait néanmoins injuste de faire porter au TPIY la responsabilité de l’échec d’un processus de réconciliation dont les responsables politiques locaux n’ont, en réalité, jamais voulu», modère Loïc Trégourès dans The Conversation . Le TPIY rappelle d’ailleurs dans un communiqué qu’il n’a «jamais été mandaté pour parvenir à la réconciliation». Dans ses statuts, il met un point d’honneur à juger les «personnes présumées responsables» et non les États, pour ne pas attiser les haines nationales. Une précaution qui ne suffit pas à désamorcer les critiques, émises aussi contre la Cour pénale internationale, accusée de ne juger que les petits États, en particulier africains. Un argument entendu par la présidente de la CPI, qui, lors de son hommage appuyé au TPIY, a rappelé que «la justice pénale internationale de demain devrait traiter toutes les situations de crimes de manière égale et que la ratification universelle du Statut de Rome était essentielle».
À ce jour, deux tiers environ des 193 États membres de l’ONU ont ratifié ce Statut et acceptent donc l’autorité de la CPI. Mais les États-Unis et la Russie, s’ils l’ont signé ne l’ont pas ratifié tandis que la Chine boycotte la CPI. Des limites qui illustrent le fragile héritage du TPIY.
Source: Le Figaro
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