C’était il y a trois ans, le 4 juillet 2014. Abou Bakr al-Baghdadi, un jihadiste irakien, montait dans le minbar de la mosquée Al-Nouri de Mossoul pendant la prière du vendredi. Devant l’assistance qui ne le connaissait pas, il se proclamait commandeur des croyants et s’autodésignait «calife». L’Etat islamique n’était plus seulement un groupe jihadiste clandestin. Il était devenu un proto-Etat qui contrôlait la deuxième ville irakienne.

Dimanche, c’est Haïdar al-Abadi, le Premier ministre irakien, qui est venu à Mossoul. En uniforme militaire, il a annoncé la libération de la ville et félicité les soldats irakiens. L’offensive pour chasser l’Etat islamique avait débuté le 17 octobre. La victoire était acquise. Jusqu’à 100 000 soldats de l’armée irakienne, peshmergas kurdes, miliciens chrétiens ont été mobilisés. La coalition internationale a fourni frappes aériennes, tirs d’artillerie et forces spéciales au sol.

Quartiers laminés. La victoire était certaine mais le bilan est lourd. Des milliers d’habitants ont été tués, victimes de l’Etat islamique mais aussi des bombardements irakiens et de la coalition. Des corps sont encore retirés chaque jour des décombres. Les quartiers de la rive Ouest de Mossoul ont été laminés. La vieille ville est fracassée, ses maisons écroulées, ses ruelles remplies de gravats. La mosquée Al-Nouri et son minaret penché ont été dynamités par Daech. La reconstruction des seules infrastructures de base coûtera plus d’un milliard de dollars, selon les Nations unies. Il faudra plusieurs autres milliards pour que les quartiers Ouest redeviennent vivables. Près de 700 000 habitants qui avaient fui les combats ne sont pas rentrés.

L’Etat islamique ne contrôle plus Mossoul, mais il n’a pas disparu. Des centaines de jihadistes irakiens ont pu se faufiler parmi les civils qui s’échappaient chaque jour de la vieille ville. Les autres, les Russes, les Tchétchènes, les Saoudiens, les Tunisiens, les Français, étaient trop facilement repérables pour fuir. Ils n’ont pu que se battre jusqu’à la mort.

Méfiance. L’Etat islamique contrôle encore plusieurs villes à la frontière syrienne et dans la province d’Al-Anbar, dans l’ouest du pays. Ses hommes circulent. Le 25 juin, peu après la tombée de la nuit, une soixantaine d’entre eux ont attaqué deux quartiers de l’ouest de Mossoul, Tanak et Yarmouk, libérés quelques mois plus tôt. Ils arrivaient de Tal Afar, à la frontière syrienne, et avaient reçu l’aide de sympathisants sur place. Vendredi, c’est le village d’Imam Gharbi, au sud de Mossoul et à proximité d’une base américaine, qui a été visé. Il est toujours contrôlé en partie par les assaillants.

La semaine dernière, dans les quartiers Ouest, des habitants disaient leur méfiance et leur conviction que l’Etat islamique reviendrait, d’une manière ou d’une autre. «Nous ne sommes pas en sécurité, les gens ont peur. Les chefs de Daech sont toujours là et ils peuvent recruter à nouveau. Personne n’a pensé à l’après, aux suites de cette bataille, expliquait Yunis, un traducteur qui travaille avec des ONG. Je suis né et j’ai toujours vécu ici, mais c’est terminé, je m’en vais. Je suis en train d’acheter une maison à Souleimaniye, au Kurdistan. Je dirai juste à ma famille de revenir m’enterrer à Mossoul.» 

Luc Mathieu