[Côte d’Ivoire Atteinte grave à la liberté de la presse] Les journalistes Alex Hallan Yao (Pdci24) et Stéphane Beti (App) font des révélations
Abidjan, le 21-11-2020 (https://crocinfos.net/) Alex Hallan Yao, journaliste à Pdci24 et Stéphane Beti, correspondant de l’Agence de presse panafricaine (App) ont été victimes de torture, de brimade et d’intimidation de la part des policiers avant de subir une détention préventive prolongée, respectivement le 3 et le 9 novembre2020. Alex Hallan Yao, lui, sera écroué à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) du 6 au 10 novembre. Dans cet entretien, nos confrères racontent leurs calvaires.
Dans quelles conditions avez-vous été interpellés et par qui ?
Stéphane Beti (App) : J’ai été arrêté par un homme en civil, armé de kalachnikov, en plein exercice de mon métier de journaliste, le lundi 9 novembre 2020 à l’entrée du village Yopougon-Kouté, précisément devant le portail du cimetière dudit village.
Alex Hallan Yao (Pdci24) : J’ai été arrêté par des éléments de police en cagoule, le mardi 3 novembre à la résidence du président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié, alors que j’y étais pour couvrir une conférence de presse.
Pensez-vous que cette interpellation s’est faite dans les règles ?
Stéphane Beti (App) : Je peux dire que mon arrestation ressemblait à un enlèvement, vu que je venais à peine de terminer la seconde interview d’une personne qui sortait du village où il y avait affrontement entre les habitants de Yopougon-Kouté et les forces de sécurité.
C’est après ça qu’un homme lourdement armé est sorti derrière moi et m’a ordonné de le suivre. Comme il n’y avait personne, j’ai tout de suite obtempéré, de peur qu’il n’ouvre le feu sur moi.
C’est arrivé au niveau des feux tricolores qui se trouvent entre la paroisse Saint Laurent et le village, que j’ai aperçu d’autres hommes armés en civil autour de cinq véhicules 4×4 banalisés et le sieur qui a procédé à mon arrestation m’a conduit auprès de ceux-ci.
L’un d’eux a ouvert la portière d’une des 4×4 et m’a demandé de monter à bord. C’est à ce moment que j’ai posé la question monter comment ? Qui êtes-vous ? Cette question ne devrait pas être posée, j’ai reçu des violents coups de poing venant de partout. J’ai commencé à crier ‘’laissez-moi je suis journaliste, laissez-moi je suis un journaliste’’. Dans la foulée, l’un d’eux a répondu ‘’ journaliste ta mère c…’’ c’est vous qui vilipendez l’image de la Côte d’Ivoire, tu auras pour ton compte.
Comme j’insistais sous les coups de la bastonnade à ne pas vouloir monter dans ce véhicule sans savoir à qui j’avais à faire, l’un d’eux a décliné son identité comme étant de la PJ. Moi, j’ai répondu que la PJ n’existe plus. Il m’a dit PJ c’est PJ. Et c’est à ce moment-là que je suis monté dans le véhicule. Nous avons pris la direction du palais de justice de cette commune et par la suite sommes entrés dans le village où étaient stationnés les corps habillés. C’est à ce moment que je me suis dit gloire à Dieu à la vue des corps habillés. Ils m’ont présenté à un commissaire en ces termes : “Mon commissaire nous avons mis aux arrêts un journaliste Camerounais”.
Stéphane Beti (App) : ‘’Ma détention était déplorable en ce sens que j’ai été interné dans une cellule avec des personnes gravement blessées avec des odeurs nauséabondes’’
Le commissaire a par la suite demandé qu’on m’embarque au poste de police. J’ai demandé au commissaire si je pouvais informer ma hiérarchie. Il a répondu oui, mais ceux qui ont procédé à mon arrestation se sont opposés et ont arraché mon téléphone. Par la suite les coups ont recommencé à pleuvoir sur moi. Arrivés au niveau du cargo, un confrère m’a reconnu et a confirmé que je suis journaliste. Bien qu’il me soit inconnu, c’est le lieu pour moi de remercier ce confrère dont l’intervention a quelque peu altéré la tension à mon encontre. Il est en est de même des syndicats corporatistes et même des organes de presse qui ont aussitôt régi à l’alerte donnée par ce confrère.
Alex Hallan Yao (Pdci24) : Je préfère vous faire le récit. Le lundi 2 novembre, il y a eu des tirs devant la résidence du président du Pdci-Rda, Bédié. Le mardi 3 novembre, les journalistes de la presse nationale et internationale ont été conviés à une conférence de presse à sa résidence à Cocody.
Au moment où la conférence devait commencer, nous apprenions que dehors, l’armée est en train d’encercler la résidence du président. Nous sommes sortis pour prendre des images.
Les confrères ont préféré rentrer à cause des gaz lacrymogène. Moi, je suis resté pour être témoin des faits.
Tour à tour, les éléments de police encagoulés ont fait monter les responsables du Pdci-Rda : Maurice Kakou Guikahué, Seri Bi, Yapo Valérie et autres….
Au moment où, je m’y attendais le moins, l’un des éléments encagoulé est venu vers moi et m’a intimé l’ordre de monter.
Je lui ai dit que je suis journaliste et que je suis venu couvrir la conférence de presse. Il m’a regardé et m’a dit : ‘’on fait rien avec, viens monter’’. Il m’a même poussé. C’est comme ça que j’ai été arrêté.
Dans quelles conditions avez-vous été détenus ?
Stéphane Beti (App) : Ma détention était déplorable en ce sens que j’ai été interné dans une cellule avec des personnes gravement blessées avec des odeurs nauséabondes. D’ailleurs, j’ai été menotté avec l’une des personnes gravement blessé lors de mon transfert à la préfecture de police. Je rappelle que les agents de la préfecture de police ont refusé d’accueillir ces personnes vu leur état de blessures. C’est dire qu’on essayait ainsi de m’intimider en me mettant dans cette cellule apparemment réservée à des repris de justice, eu égard aux blessures graves qu’ils présentaient.
Je n’avais accès à aucun contact extérieur. Dans un premier temps, ils nous ont envoyé à la Préfecture de police. Là-bas, dans les présentations, le préfet de police, Dosso, m’a mis de côté. Des officiers m’ont sifflé à l’oreille : ‘’tu seras libéré parce que tu es journaliste’’.
Alex Hallan Yao (Pdci24) : À ma grande surprise, mon nom figurait parmi ceux qui ont été appelés pour être conduit, selon les agents de police, à la sûreté.
Chemin faisant, arrivé ‘’au Carrefour de la Vie’’ à Cocody, nous avons été conduits à la DST. Nous y sommes restés pendant 4 jours assis dans des chaises. Nous dormons là, sans se laver, ni se brosser. Le 5e jour, à 6h30min, le sous-directeur de la DST est venu nous dire : ‘’vous serez libérés mais avant, vous serez entendus par un juge, donc on vous envoie au bureau d’un juge à Angré, à la cellule spéciale d’enquête‘’.
Le doyen des juges, Coulibaly Ousmane, m’a mis sous mandat de dépôt, et nous avons été convoyés à la Maca, le lendemain à 5 heures du matin. Les charges retenues contre moi sont nombreuses. Je peux citer, entre autres le terrorisme et les tueries.
Alex Hallan Yao (Pdci24) : ‘’J’ai été arrêté le 3 novembre et libéré le 10 novembre 2020. J’ai donc passé 7 jours de privation de tous mes droits. J’ai été écroué à la Maca du 6 au 10 novembre, soit 4 jours’’.
Combien de temps a duré votre garde à vue ?
Stéphane Beti (App) : De l’heure de mon arrestation en passant par le commissariat du 16è arrondissement jusqu’à la préfecture de police, et à ma libération, cela a duré 8 heures. Aucune charge ne m’a été signifiée.
Alex Hallan Yao (Pdci24) : J’ai été arrêté le 3 novembre et libéré le 10 novembre 2020. J’ai donc passé 10 jours de privation de tous mes droits. J’ai été écroué à la Maca du 6 au 10 novembre, soit 4 jours.
Qu’a entrepris votre organe pour dénoncer de tels abus ?
Stéphane Beti (App) : Non, ma rédaction a décidé ne pas porter plainte. Toutefois, l’action combinée des organismes spécialisés et des organes de la corporation a permis d’indexer des abus qui ne s’expliquent guère dans un environnement conflictuel comme c’était le cas au moment de la survenance des faits au lieu de mon interpellation.
Alex Hallan Yao (Pdci24) : La rédaction a saisi les organisations professionnelles des journalistes, le groupement des éditeurs de presse, les organisations, associations et syndicats de défense des droits de journalistes.
Pour le moment, nous n’avons intenté aucune action en justice parce que ces arrestations sont plus politiques. Mais, nous n’hésiterons pas le moment venu.
Nous remercions, sincèrement, tous ceux qui se sont mobilisés pour notre libération. Nous avons repris nos places dans nos différentes rédactions et nous continuons notre métier.
Entretien réalisé par Sériba Koné
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