[Côte d’Ivoire Interview] Abessi Ayoman Ambafi Hugues-Alexandre (maîtrise en criminologie) à propos de la violence extrême : « Ses effets pervers n’augurent rien de positif » #violence
Abessi Ayoman Ambafi Hugues-Alexandre, est titulaire d’une maîtrise en criminologie, par ailleurs élève à l’Institut national de Formation judiciaire(Infj) à l’école des greffes, cycle moyen judiciaire. Dans cet entretien qui tourne autour de la violence où les jeunes sont les plus indexés, nous lui avons tendu le micro, en tant que jeune (la trentaine révolue).
Quel regard portez-vous sur la violence en général ?
Pour bon nombre de personnes, la violence est un moyen d’expression, un canal porteur d’innovations, de changements durables. C’est en cela que devant un régime dictatorial, l’ultime alternative pour l’opposant, c’est la violence. Il en va de même pour un parent qui bat son enfant afin de lui imposer l’obéissance et l’éduquer.
Pour notre part, la violence a une connotation péjorative en raison de ses innombrables conséquences (violation de droits de l’homme, morts, représailles…) Quand bien même elle comporterait des effets vertueux, il n’en demeure pas moins vrai que ses effets pervers n’augurent rien de positif.
Aujourd’hui, en plus de l’utilisation des armes à feu, les criminels utilisent des explosifs ou des armes blanches. Pourquoi ?
Ce penchant pour les explosifs ou les armes blanches se justifie. Selon moi, tout est tributaire des dégâts que l’on veut causer. Le kamikaze usera d’explosifs pour perpétrer l’acide criminel, car il vise généralement plusieurs cibles à la fois. Tandis que le petit agresseur aura par exemple le couteau comme instrument opératoire.
Par ailleurs, cela est aussi une question de moyens financiers. Les explosifs sont onéreux et donc pas accessibles à tous. Ce n’est pas le cas pour des armes blanches qui peuvent s’arracher comme de petits pains.
L’Homme serait-il devenu aussi sanguinaire ou loup pour son semblable ?
A cette question, nous répondrons par l’affirmative. Aujourd’hui, tuer semble devenu un fait banal. La vie de l’homme, comme l’affirme le préambule de la constitution, est sacrée. Pour asseoir sa domination, l’homme ne tarde plus à tuer autrui. Pour un simple bien matériel périssable, l’on va de façon désinvolte jusqu’à ôter la vie à son prochain et ce, sans remords
Quelle explication donnez-vous à cette violence ?
Un auteur énonçait que toute société engendre des marginaux et même les sécrète. Parallèlement à cela, nous serons tentés de dire que toute société engendre des violents et même les sécrète. De fait, face aux injustices sociales, aux maux qui minent le monde, certains n’ont pour solution que le recours à la violence comme palliatif. C’est un moyen d’affirmation pour eux. Boko Haram justifie ses attentats par la dépravation des mœurs qui est l’émanation des civilisations occidentales. Le simple ‘’microbe’’ justifiera son acte par l’oisiveté, l’extrême pauvreté entre autres. C’est cela qui, selon nous, explique cette violence.
Un peu partout, ce sont des gamins qui sont les auteurs des attaques sanglantes. Y a-t-il une explication particulière à cela?
Les enfants n’agissent généralement pas d’eux-mêmes. Ils sont manipulés malheureusement pour la plupart par les adultes. Les mineurs de 0 à 10 ans sont pénalement irresponsables. Ceux de 13 ans bénéficient de l’excuse absolutoire de minorité. Enfin, ceux de plus de 13 ans jusqu’à 16 ans bénéficient de l’excuse atténuante de minorité. Les adultes qui utilisent les gamins pour accomplir leur bien ignoble besogne le savent bien. En plus, les mineurs pour leur part semble avoir conscience qu’ils bénéficient d’un traitement spécial de la part du législateur, ce qui a pour effet d’amplifier la perpétration de tels actes.
Pourquoi, selon vous cette montée en puissance de la violence ?
L’étiologie de la montée en puissance de la violence révèle qu’elle est de plusieurs ordres: politique, socio-économique.
Au plan politique, les régimes dictatoriaux n’ont pour effet que de favoriser la violence comme ce fut le cas avec la Libye. Au plan socio-économique, l’extrême pauvreté, le chômage poussent certaines personnes, notamment ceux dont les liens sociaux sont distendus, à recourir à la violence afin de subvenir à leurs besoins. En clair, ce sont les tares de notre monde qui expliquent la montée en puissance de la violence. La liste n’est pas exhaustive.
En Côte d’Ivoire on parle de “microbes”, ailleurs de terroristes. Comment expliquez-vous cette barbarie?
Terroristes ou enfants en conflit avec la loi communément appelés ‘’microbes’’ ont pour frontière la violence. Les actes criminels par eux perpétrés sont un moyen d’affirmation, d’expression. Ainsi, ils militent pour un changement, mais de la mauvaise des manières. Ils passent un message à notre société qui n’arrive malheureusement pas à le décrypter.
En Côte d’Ivoire, doit-on parler d’effets liés à la guerre ?
Oui, l’on pourrait parler d’effets liés à la guerre d’autant plus que cette violence s’est amplifiée à la faveur de la crise post-électotrale qu’a connue le pays. De fait, nous avons pu assister à la naissance du phénomène des enfants en conflit avec la loi, à la naissance d’attentats terroristes, notamment ceux de Grand-Bassam. Une grande première en terre d’Éburnie. La paix, jadis caractéristique première en terre éburnéenne, nous a abandonnés depuis lors.
Quelles sont les propositions de solution durable, selon vous?
Terroristes et microbes, ayant pour dénominateur commun la violence, nous disent quelque chose de notre société et de son organisation. N’agir qu’en exerçant des représailles constituerait un manquement originel. Cela dit, il urge pour nos gouvernants d’attaquer le problème à la racine. C’est-à-dire depuis sa genèse, étudier les raisons résultant de cette violence criante afin d’y faire échec. Par ailleurs le législateur s’agissant des mineurs doit reformer ses textes relativement à la protection des mineurs délinquants. Car cette sorte d’immunité les couvrant tend à encourager ces comportements déviants. Pour notre part, un mineur qui tuera désormais doit être mis aux arrêts et purger une peine privative de liberté tout en bénéficiant d’un traitement spécial. L’État doit également sortir de son laxisme face à cette violence criante et assumer pleinement son rôle régalien.
Entretien réalisé par Sériba Koné
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