[Contentieux électoral en Côte d’Ivoire] La part de vérité du président de La CEI (1ère partie)

[Contentieux électoral en Côte d’Ivoire] La part de vérité du président de La CEI (1ère partie)

Ibrahime Kuibiert-Coulibaly, président de la Commission électorale indépendante (CEI), était l'invité de la télévision NCI du 4 juin 2023 pour débattre du contentieux électoral avec d'autres invités : le Docteur N'goran Bangali, analyste politique spécialiste des relations internationales, Jean-Yves Esso Essis, analyste en sociologie politique, le Dr Geoffroy Kouaho, juriste constitutionnaliste, et Landry Kuyo, juriste enseignant formateur à l'ENA.

-Ibrahime Kuibiert-Coulibaly s’en tient aux décisions de justice

Abidjan, le 6 juin 2023 (crocinfos.net) Nous avons décidé de publier le débat en trois parties. Cette première partie a abordé la polémique autour des nouveaux inscrits, le cas de M. Laurent Gbagbo et les limites que la CEI ne doit pas franchiser dans le respect des lois.

Ali Diarrassouba, le présentateur

Ali Diarrassouba, le présentateur de l’émission NCI 360 du 4 juin 2023. Ph.Dr.

Ibrahime Kuibiert-Coulibaly, président de la Commission électorale indépendante (CEI) : Le contentieux ne se termine pas dans 10 jours. Ce sont les réclamations et les observations qui se tiennent dans 10 jours. Mais le contentieux continue sur un mois. Moi, je ne suis pas de cet avis.

Présentateur : Mais pourquoi ?

Ibrahime Kuibiert-Coulibaly, président de la Commission électorale indépendante (CEI) : Tout simplement parce que la liste électorale a été augmentée d’environ 7 %, soit 531 000 électeurs de plus, par rapport à la liste électorale dont on parle. Cette liste électorale est à la disposition des partis politiques depuis longtemps.

Pour preuve, lors de la présentation de la nouvelle liste provisoire, nous avons remis cette liste-là aux partis politiques 10 jours avant. Quand on me parle d’un million de personnes, je ne sais pas d’où ça sort ! Parce que cette liste existe depuis longtemps et les partis politiques la manifestent. Elle n’a été améliorée que de 7%, soit un maximum de 531 000 électeurs. Pour cela, on ne va pas me donner des données d’un mois, et si les uns et les autres étaient regardés, on aurait pu le constater par l’engouement lors de l’enrôlement.

Je ne sais pas ce qui peut justifier cela, mais commençons déjà. Nous avons un mois et nous verrons. Défendre la Commission électorale indépendante et nous verrons.

Présentateur : Le délai de 10 jours est-il prévu par la loi ou est-ce la Commission électorale indépendante avec ses membres qui décident de la durée ?

Président de la CEI : Le délai est prévu par le décret fixant les modalités de la révision de la liste électorale. Il est de 10 jours à compter de l’affichage de la liste électorale provisoire. Vous avez donc dix jours pour examiner la liste électorale provisoire, pour y décélér les différentes irrégularités, après quoi vous faites vos observations.

Ces observations sont également publiées dans un délai de 10 jours pour permettre aux personnes qui permettent de formuler des observations contraires. Ensuite, la Commission électorale une semaine (7 jours) pour trancher. Et si vous n’êtes pas satisfait des décisions de la Commission électorale indépendante, vous avez trois jours pour saisir le Tribunal, et le Tribunal à 5 ​​jours. Vous voyez ce que cela donne ? C’est pourquoi on ne peut pas dire que le contentieux se limite à 10 jours. Le contentieux ne dure donc pas 10 jours, ce sont les observations qui ont une durée de 10 jours.

Je tiens à préciser que la liste électorale provisoire a été remise aux partis politiques 10 jours avant son affichage. Normalement, on découvre la liste électorale le jour de l’affichage, mais nous leur avons donné cette liste-là 10 jours avant. Je répète, la différence entre la liste électorale provisoire et l’ancienne liste est de 531 000 électeurs de plus. Les partis politiques ont eu le temps de l’exploiter et de décélérer toutes les irrégularités.

Docteur N'goran Bangali

Docteur N’goran Bangali : Je pense que le délai est assez approprié, comme il l’a souligné, puisqu’il est encadré par les textes de loi en la matière. Il revient aux différents partis politiques de prendre les dispositions nécessaires pour se conformer à ce délai, et éventuellement, s’il y avait un dépassement de ce délai, la possibilité de décider collectivement d’une prolongation pourrait être susceptible.

Jean-Yves Esso Essis : Moi, j’ai un problème sérieux concernant ce délai, effectivement. Le président de la CEI nous dit que les partis politiques ont reçu la liste 10 jours avant l’affichage et qu’ils disposent de 10 jours pour faire des réclamations. Mais il se trouve que dans cette liste, nous avons constaté énormément d’anomalies et d’incohérences. On pourrait supposer qu’une liste électorale émise de la CEI, qui devrait normalement être révisée chaque année selon l’article 2 de la loi sur la CEI, aurait pu être produite en une année, disons, acceptable. Cependant, nous constatons que lorsque la liste apparaît, il y a des choses invraisemblables, certaines irrégularités sont inacceptables.

Il est vrai qu’il y a un lot d’irrégularités, mais certaines sont inacceptables. Donc, lorsque nous prenons conscience de tout le travail à accomplir sur la liste, 10 jours plus 10 jours, soit 20 jours, ne suffisent pas pour que nous réclamions des réclamations. Je comprends tout à fait la demande de prolongation formulée par les partis politiques.

Dr Geoffroy Kouaho : J’estime que la CEI devait faire droit à la demande des partis politiques qui sont les principaux acteurs des élections. En ce sens, ce que les partis politiques reflètent, c’est l’ampleur des irrégularités qui ne peuvent pas être traitées dans les tours de temps encadrés par la loi. Je pense que, pour une question de création et de transparence des élections, prolonger le délai participerait à crédibiliser davantage notre système électoral lors de cette relève de la CEI.

Présentateur : Est-ce que cela relève de la CEI quand on dit que c’est un texte de loi qui encadre la période du contentieux électoral ?

Dr Geoffroy Kouaho : Oui, mais ils vont s’adresser à la CEI et ensuite, la CEI s’adressera à qui de droit. Dans tous les cas de figure, parce que lorsque le président dit qu’il donne une fin de non-réception à cette demande, cela signifie que le système est déjà grippé. Or, je pense que nous ne sommes pas dans un bras de fer entre la CEI et les partis politiques, bien au contraire, ce sont des partenaires. Ils doivent trouver un consensus dans le but ultime de la transparence et de la création des élections.

Landry Kuyo : Déjà, quand on sait que l’on vise une question d’ordre juridique et que cette question-là est encadrée par des textes, dont un décret, je crois que nos partis politiques s’adressent à la mauvaise personne. Parce que le décret est pris par le Président de la République. Lorsqu’on a eu des mois et des années antérieures pour évoquer la question du dialogue politique et que la question électorale était bien au cœur du dialogue politique, on aurait pu, bien sûr, d’autant plus que la question de la liste électorale a toujours été au cœur de la polémique, évoque cette question. Et ce, afin d’obtenir une rallonge, mais pas de manière incidente, parce que cela serait inopérant et ne pourrait que créer plus de polémiques et de tensions qui, de mon point de vue, sont inutiles. Nos partis politiques ont manqué là de pouvoir toucher de très près un sujet très important parce que manifestement, si l’on estime que la question électorale est une question qui est épineuse et que la question de la liste électorale revient toujours, ils ont manqué d’être pertinent. Deuxième chose, lorsque l’on a le chiffre qui porte sur le nombre de nouvelles personnes inscrites et qui ne fait même pas le million, ma foi, d’un point de vue qualitatif et quantitatif, il y a un échec de nos partis politiques qui ne dit pas son nom. Lorsqu’on a la présence de tous ces partis, et qu’on a battu campagne et qu’on n’a pas été capable de pouvoir amener plus d’un million d’Ivoiriens, c’est qu’on n’a pas convaincu qui que ce soit. Il faut le préciser, lorsqu’on évoque le million, voire plus de millions de personnes qui sont dans ce cas d’irrégularité alors qu’on a d’abord une liste qui a été complétée par 500 000 personnes, je m’interroge, dans ce cas-là ces parties qui disposent de cette liste électorale depuis belle lurette n’ont-ils pas pu décélérer ces irrégularités-là ? Concernant ses anciens inscrits, voici autant de questions qui se posent et qui nous interrogent sur l’efficacité des équipes dont disposent les partis politiques au niveau électoral.

Présentateur : Monsieur le président, comment réagissez-vous ? Président de la CEI : D’abord, il est mieux de préciser que ce n’est pas un bras de fer avec les partis politiques. Vous m’avez demandé mon avis, j’ai donné mon avis. Je dis qu’il y a bien longtemps que les partis politiques disposent de cette liste électorale. Cette liste électorale existe depuis bien longtemps entre les mains des partis politiques. Deuxièmement, ça fait cinq fois que nous révisons la liste électorale. Cinq fois et c’est la même liste électorale depuis 2008, c’est cette liste électorale dont ne disposent pas les partis politiques. Il leur est loisible chaque fois de regarder ce qui ne va pas sur la liste électorale. Alors les irrégularités qu’ils ont constatées, c’est sur les nouvelles, c’est sur les nouveaux électeurs ? Mais, ils ne sont que 531 000. Pour 531 000, on va mettre un mois ? Alors que vous avez eu cette liste électorale depuis des années ? Ce qu’il faut retenir, c’est que la liste électorale est permanente et elle est publique. À chaque fois que besoin sera, on pourra demander de régulariser ces irrégularités ou ces omissions. C’est ce que je dis, mais je n’ai pas dit que ce n’était peut-être pas de leur part de dire ce qu’ils disent. Sauf que moi, je leur dis que nous avons fait notre part, au-delà de cela, comme l’a dit Monsieur Kuyo. C’est vrai que la commission électorale est l’organe qui organise les élections, mais la commission électorale ne légifère pas sur les actes qui encadrent l’élection. J’ai toujours dit que la Commission fonctionne sur deux bases : la loi et les accords politiques. Si vous souhaitez, parce que vous avez décelé, sur la liste électorale, des irrégularités énormes, mais l’occasion vous est donnée à l’occasion des accords politiques de décider que désormais, au lieu de 10 jours ou de 20 jours, faites un mois, deux mois ou trois mois. Mais, vous ne le faites pas, et dès qu’on vous donne la liste électorale, vous dites : ”oui, on a besoin d’un mois”. Alors pour moi, ça frise un peu le dilatoire : c’est comme ça que ça s’appelle en droit. J’ai l’impression que la réalité, ce n’est pas la quintessence des irrégularités. On va revenir là-dessus et vous verrez que ce sont des irrégularités qui ne sont même pas nouvelles. Dr Geoffroy Kouaho : Il y a deux choses. Lorsque Landry dit que les partis politiques ont échoué à faire enregistrer les nouveaux électeurs, cela ne relève pas de leur compétence. Le recensement électoral relève de la compétence exclusive de la CEI. C’est la seule institution qui a la compétence exclusive. La CEI a les moyens de faire la communication, de faire toute la propagande autour de ce recensement. Donc s’il y a un échec, ce n’est pas au niveau des partis politiques, mais plutôt au niveau de la CEI. Deuxième chose, quand Monsieur le Président de la CEI nous dit que les partis politiques ont eu cette liste pendant longtemps, on peut aussi lui reprocher la même chose. Pendant longtemps, la CEI avait cette liste. Vous avez dit que c’est 7 % de nouveaux électeurs inscrits, mais comment se fait-il qu’aujourd’hui il y a encore des irrégularités sur cette liste électorale ? Président de la CEI : On n’a pas encore statué sur les irrégularités.

Dr Geoffroy Kouaho

Dr Geoffroy Kouaho. Ph.Dr.

Dr Geoffroy Kouaho : Oui, mais des partis politiques présument des irrégularités.

Président de la CEI : Vous présumez des irrégularités sur la liste électorale, je voudrais que vous soyez précis ? Je ne vous ai pas dit qu’il y avait des irrégularités.

Dr Geoffroy Kouaho : On peut parler de présomption, puisqu’une décision n’est pas encore rendue et que vous n’ n’avez pas été saisi pour un recours administratif.

Président de la CEI : Voyez-vous, je reviens encore pour dire que c’est normal que les partis politiques décèlent des irrégularités sur la liste électorale, mais la liste électorale n’est pas l’œuvre unique de la Commission électorale indépendante. C’est une œuvre commune, voilà pourquoi l’article 12 du code électoral dit : ”Tout électeur peut demander l’inscription d’une personne omise, comme tout électeur peut demander la radiation d’une personne indûment inscrite sur la liste électorale ”. Cela veut dire tout simplement que c’est une œuvre commune, aussi bien de la commission électorale que des partis politiques.

Au-delà de tout, le parti politique est le premier bénéficiaire de la liste électorale, d’autant plus que tout parti politique concourt à l’expression du suffrage. Et la vocation d’un parti politique, c’est de conquérir le pouvoir d’État par le biais de l’élection. C’est pour cette raison que nous sommes les premiers à donner aux partis politiques la liste électorale. Voilà ce que nous avons fait. Au départ, la période d’observation était de trois jours, nous avons demandé au gouvernement de la prolonger en 10 jours, parce qu’on s’est dit qu’il faut donner le temps aux partis politiques de participer à l’élaboration de la liste électorale. Que dit l’article 11 : ”Les partis politiques, tout comme toute personne ayant fait acte de candidature, peuvent se voir délivrer une copie de la liste électorale à ses frais”. Nous leur avons donné gratuitement la liste électorale. En plus, c’est à l’affichage que tout le monde doit découvrir la liste électorale, mais nous avons fait mieux, dix jours avant, nous avons remis la liste électorale aux partis politiques. Tout ceci pour leur permettre de décélérer les irrégularités. Voilà pourquoi, chaque fois que nous avons une opération électorale à faire, nous pourrions les partis politiques à participer à l’opération et à déterminer ensemble le mode opératoire. Mais, à aucun moment les partis politiques nous ont dit, au moment du lancement de la révision de la liste électorale, qu’ils n’auraient plus de temps pour les observations. Ils ne l’ont jamais dit. Donc, pour moi, c’est nouveau. Mais une question nouvelle se traite avec attention jusqu’à preuve du contraire, c’est la loi qui le dit et c’est la loi qui régit la procédure de révision de la liste électorale. [Ndlr : tiré du documentaire lors des échanges. Le professeur Sébastien Dano Djédé souhaite que ”pour qu’il y ait le contentieux, lui, son souhait et la logique veut que Laurent Gbagbo figure d’abord sur la liste provisoire. On l’a bien appelé liste provisoire, il faut aller sur cette liste provisoire, à ce moment-là ceux qui ne sont pas contenus viendront faire des réclamations. C’est ce qui n’est pas fait.’’]

Présentateur : Monsieur le président, comment réagissez-vous ?

Président de la CEI : Je voudrais, avec votre permission, remettre à chacun des invités présents autour de cette table les instruments juridiques encadrant la révision de la liste électorale. Il s’agit de la loi et du décret fixant les modalités de cette révision. Permettez-moi de vous en communiquer les documents.

Pourquoi je donne ces documents ? Parce qu’il semble que l’on pense que le président ou la Commission électorale indépendante définissent les règles qui encadrent la révision de la liste électorale, ce qui est faux. La liste électorale est réglementée par la loi et le décret. Comme je l’ai mentionné précédemment, la liste électorale est un document administratif sur lequel les citoyens s’inscrivent, car il doit être inscrit sur la liste pour pouvoir voter. L’article 6 stipule que “la liste électorale doit être mise à jour pour tenir compte des changements survenus dans le corps électoral“.

Que dit le code par rapport au propos du ministre Dano Djédjé ? L’article 11 du code électoral précise que “la période et les modalités pratiques de l’établissement de la liste électorale sont fixées par un décret pris en conseil des ministres sur proposition de la Commission électorale indépendante”.

Le décret du 9 novembre 2022 énonce quoi ? Car selon le ministre, il faudra d’abord inscrire le président Gbagbo sur la liste et ensuite le retirer en cas de contentieux. L’article 2 de ce décret indique que la révision de la liste électorale comprend trois éléments : premièrement, la mise à jour des données personnelles ; deuxièmement, l’inscription des nouveaux électeurs sur la liste électorale ; et troisièmement, la radiation des personnes décédées, des personnes ayant perdu leur qualité d’électeur et des personnes indûment inscrites sur la liste électorale. Voilà les trois objectifs de la révision de la liste électorale.

L’article 11 de ce décret précise quoi ? À la fin des opérations de mise à jour des données personnelles, d’inscription et de rayonnement de la liste électorale, la commission électorale détermine la liste électorale provisoire qui doit être affichée pour consultation par la population.

Que signifie cela ? Cela signifie que la radiation se fait avant l’établissement de la liste électorale provisoire, c’est simple. Je le répète, à la fin des opérations de mise à jour des données personnelles, d’inscription et de radiation de la liste électorale, la commission chargée de la liste électorale provisoire. Cela signifie simplement que la radiation, la mise à jour des données personnelles et l’inscription sont des opérations qui précèdent l’établissement de la liste provisoire.

De quoi s’agit-il ? Lorsque nous collectons les données, un citoyen qui souhaite mettre à jour ses données peut le faire lors de son enrôlement. Celui qui n’est pas sur la liste électorale et qui souhaite y figurer peut présenter les documents nécessaires pour être inscrits. C’est pourquoi l’article 9 énonce ceci : l’article 5 précise que “c’est l’inscription sur la liste électorale qui confère la qualité d’électeur”. Je suis surpris d’entendre dire qu’il faudrait d’abord inscrire le président Gbagbo sur la liste électorale avant d’engager un contentieux. En droit, le contentieux naît du désaccord entre ce que l’on demande et ce que l’on vous accorde.

Si vous demandez à être inscrit sur la liste électorale et que vous y êtes effectivement inscrit, il n’y a pas lieu d’engager un contentieux, cela n’aurait aucun sens. C’est pourquoi l’article 12 du code électoral stipule très clairement que “toute personne peut demander l’inscription d’une personne omise”. Cependant, si vous êtes omis, c’est simplement parce que vous auriez dû figurer sur la liste électorale, donc l’omission est une irrégularité. Lorsqu’on parle de radiation, cela signifie que la personne est déjà inscrite sur la liste électorale, ce sont donc des opérations qui précèdent nécessairement l’établissement de la liste électorale provisoire. Je bien étonné de penser que des gens s’imaginent que dès que vous dites que vous voulez vous inscrire sur la liste électorale vous devez y être jusqu’au contentieux.

Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Je le répète, le contentieux et la procédure cohérente à soumettre à une instance judiciaire ou arbitrale les différends opposant plusieurs personnes. Ici, si vous demandez à être inscrit et que la commission vous inscrit sur la liste électorale, il n’y a pas de contentieux. Je le répète encore, le contentieux naît du désaccord entre ce que vous voulez et ce que l’on vous accorde.

Jean-Yves Esso Essis : Si vous me permettez, je ne vais pas m’attarder sur le cas du président Laurent Gbagbo. Je souhaite m’adresser directement au président de la commission. Monsieur le Président, tout d’abord, merci d’être présent sur le plateau, même si, selon l’article 2 de votre code, vous y êtes un peu obligé, car vous devez faire de la sensibilisation. Vous avez été nommé à ce poste par la grâce de Dieu, mais aussi et surtout en raison de votre compétence dans la matière, comme on peut le constater immédiatement lorsque vous exprimez, ainsi que de votre probité et de votre intégrité légendaires. Nous sommes dans une situation tendue en Côte d’Ivoire. La loi de finances du 20 décembre 2022 (je crois) a accordé 57 milliards de francs CFA à la CEI, dont 12 milliards ont été affectés à la révision de la liste électorale. Lorsque je vous écoute parler, je ressens une certaine tension, une défiance de votre part, vous êtes prêt au combat. Cela me pose problème, car nous souhaiterons nous réconcilier. Tout le monde ne reconnaît pas les termes techniques, les termes juridiques. Je ne vais pas aborder le cas du président Laurent Gbagbo, car je n’ai pas les arguments ni les armes pour le défendre. En revanche, je pense avoir des arguments pour demander l’humilité au président d’écouter les préoccupations des partis politiques. La liste électorale qui a été publiée a été une surprise pour tout le monde en raison de la quantité d’anomalies qui y sont révélées. Il est vrai que vous avez mentionné 531 personnes en trop. Je ne vais pas fournir toutes les anomalies, mais il y en a énormément. Pour favoriser la réconciliation, une bonne entente et pour ne pas permettre à certaines personnes de profiter de cette tension pour remettre en cause l’impartialité de l’institution, ne pensez-vous pas qu’il serait compréhensible et acceptable d’écouter ce que les partis politiques ont-ils à dire ? D’autant plus que dans certains autres pays, il existe des audits indépendants. Je ne sais pas si certains partis politiques ici l’ont demandé. Ces partis politiques demandent simplement du temps pour pouvoir étudier cette liste, même si le décret prévoyait un délai de 10 jours. Écoutez ce que les partis politiques ont à dire ? D’autant plus que dans d’autres pays, il existe des audits indépendants. Je ne sais pas si certains partis politiques ici l’ont demandé. Ces partis politiques demandent simplement du temps pour pouvoir étudier cette liste, même si le décret prévoyait un délai de 10 jours. Je ne sais pas si certains partis politiques ici l’ont demandé. Ces partis politiques demandent simplement du temps pour pouvoir étudier cette liste, même si le décret prévoyait un délai de 10 jours.

Jean-Yves Esso Essis

Jean-Yves Esso Essis. Ph.Dr.

Pour répondre à mon ami Kuyo, il y a eu des discussions concernant le dialogue politique. Cependant, il n’était pas prévu que nous nous retrouvions avec une liste électorale comportant autant d’incohérences. Il faut comprendre que dans certaines situations, il est nécessaire de sensibiliser et d’accepter certaines choses pour détendre l’atmosphère.

Docteur N’goran Bangali: Je vais revenir sur le cas de la radiation du président Laurent Gbagbo parce que autour de cet enjeu-là, il y a plusieurs questions qui gravitent qui, chaque fois, ressortent dans le débat public. On aimerait bien entendre le président de la CEI sur deux aspects rattachés à la radiation : le premier aspect, il est juridique. Au moment où sa radiation intervient, selon ce qui revient couramment, il y avait deux décisions de justice qui étaient sur la place. La première décision, c’est celle de la justice ivoirienne, l’addition numéro 484/2018 du jugement 870/11. Cette décision a été prise par les juridictions ivoiriennes qui, disons, enlevait les droits civiques et politiques au président Laurent Gbagbo, et donc cette sanction administrative pouvait lui être opposée dans le cadre, bien sûr, de son retrait de la liste électorale. Mais, à côté de cela, il y avait aussi une ordonnance de la Cour africaine de justice, numéro 25/2020 du 25 septembre 2020, qui était opposée à l’État de Côte d’Ivoire jusqu’au 21 avril 2021.

Il y avait donc deux décisions de justice. On conserverait le savoir sur la base de quoi la CEI décide de choisir l’une des décisions de justice et d’ignorer l’autre. Ça, c’est la première question qui revient souvent et sur laquelle on garderait quand même vous entendrez. La deuxième question qui avait fait surface dernièrement dans le réquisitoire qui a été développé par le PPA CI, c’est que le président Laurent Gbagbo ainsi que l’ancien Premier ministre Soro Guillaume ont fait l’objet de la radiation des listes électorales sur la base du fait qu’ils avaient été condamnés par la justice ivoirienne et en même temps, ils avaient l’impression d’un traitement différent pour un groupe de personnes qui étaient dans la même situation. Parce qu’ils ont relevé le fait que sur la liste électorale figurait toujours le nom de Kamaraté Souleymane et de Affoussiata Bamba qui, eux aussi, avaient été condamnés au même titre que Soro Guillaume. Donc l’impression que cela donne, c’est qu’il y a une sorte de ciblage ou d’acharnement de la CEI en fonction des ambitions présidentielles qu’ils se seraient manifestés. On garderait entendre le président de la CEI sur ces différentes préoccupations.

Président de la CEI : Je voudrais répondre à mon frère Jean-Yves Esso Essis pour lui dire que je suis très flatté par ses propos. Mais aussi, lui dire que je ne suis pas vindicatif vis-à-vis des partis politiques, tout au contraire. Je considère que les partis politiques et la CEI sont en partenariat, puisque c’est nous qui organisons les élections, et les élections profitent aux partis politiques, puisqu’ils ont vocation à conquérir le pouvoir d’État par le biais de l’élection. Donc, loin de moi une animosité vis-à-vis des partis politiques, sauf que souvent on est un peu excédé, vous pouvez le comprendre aisément.

Quand vous les (ndlr : les partis politiques) invitez à chaque fois à des débats pour discuter un peu des modes opératoires, et puis vous constatez que ce sont les mêmes choses qui reviennent, sur l’impression de prêcher un peu dans le désert. Ce qui peut conduire peut-être la montée de la tension, mais il n’en est rien du tout. Les partis politiques sont toujours nos alliés.

Quant aux deux questions qui m’ont été posées concernant les deux décisions contradictoires. Quand on ouvre la révision de la liste électorale, la commission électorale écrite au ministère de la Justice pour lui dire que le code électoral prescrit qu’à l’occasion de la révision de la liste électorale, il faut qu’on sorte les personnes qui sont décédées, il faut qu’on sorte les personnes qui sont déchues de leur droit, qui ont perdu leur qualité d’électeurs, tout comme les personnes qui sont indûment inscrites sur la liste électorale. Comme c’est vous qui détenez le fichier judiciaire des personnes qui sont déchues de leur droit civil et politique, est-ce que vous pouvez nous donner la liste de ces personnes-là ? Le ministère s’exécute.

Nous écrivons au ministère de l’Intérieur, qui gère l’état civil en Côte d’Ivoire, service qui reçoit les déclarations de décès. Est-ce que vous pouvez nous donner la liste des personnes décédées ? Ces deux listes sont confrontées à la liste électorale, et on sort toutes les personnes décédées qui sont sur la liste électorale et qui se retrouvent sur la liste du ministère de l’Intérieur, tout comme le ministère de la justice.

Concernant les personnes qui sont déchues de leur droit civil et politique, c’est sur cette base qu’on retire ces personnes-là de la liste électorale. Je ne souhaite pas qu’on focalise nos interventions sur le président Gbagbo, mais si vous m’y amenez, c’est l’actualité, on va le faire. Le président Gbagbo se trouvait donc sur cette liste, la conséquence c’est sa radiation. En réalité, notre décision est intervenue avant la saisine de la Cour africaine des droits de l’homme. C’est parce que nous n’avons pas fait le droit à la requête des avocats du président Gbagbo qu’ils ont saisi la Cour africaine des droits de l’homme, parce que notre décision radiait le président Gbagbo de la liste électorale, et la Cour africaine des droits de l’homme (je vous le concède) après une décision contraire, retenez tout simplement que les décisions d’une juridiction internationale ne s’appliquent pas de facto à l’intérieur d’un pays souverain.

L’article 30 dit ceci du protocole instituant à la Cour africaine des droits de l’homme : ”Les États partis s’engagent à se conformer aux dispositions aux décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et en assurer l”’ exécution”. Pour cela, ce n’est pas la commission électorale qui est partie à ce protocole, moi je suis une entité d’un État souverain, il appartient à la Cour africaine de notifier cette décision à l’État de Côte d’Ivoire. L’État de Côte d’Ivoire prend les mesures nécessaires pour l’application et assure l’exécution de ses décisions. Moi, je sais que cette décision existe, mais je ne suis pas habilité à l’exécuter sans que cette décision ne soit notifiée à l’État. C’est comme ça que ça se fait. Dans le cadre judiciaire, quand une décision vient d’ailleurs, il faut un exequatur (consiste à faire revêtir à la décision son caractère exécutoire sur le territoire national).

Moi, je ne peux pas de facto, même si je le sais, de mon propre mouvement effectué cette décision. Il faut la notifier à ceux qui sont partis, c’est-à-dire ceux qui représentent largement et constitutionnellement l’État à l’étranger. Ce sont ces derniers qui nous informent de ce qu’il faut effectuer cette décision. C’est comme ça que ça se fait dans un État de droit, et ce n’est pas propre à la Côte d’Ivoire. Il y a une sagesse africaine qui dit : ”même si tu sais que quelque chose t’appartient, attends qu’on te donne.”

Je sais que cette décision existe, mais juridiquement parlant, je ne peux pas l’exécuter parce qu’il y a des mesures à prendre. L’article 12 dit que les décisions du Tribunal en matière de la liste électorale ne sont pas susceptibles de voie de recours. Quand on a radié le président Gbagbo de la liste électorale, ses avocats ont saisi la Commission électorale indépendante en 2020 et lui ont demandé de l’inscrire sur la liste électorale. On leur a répondu que nous ne pouvons pas l’inscrire, parce qu’il y a une décision de justice qui est devenue définitive, et qui fait qu’il ne peut pas être inscrit sur la liste électorale. Ils ont saisi à cet effet le Tribunal du Plateau, le Tribunal du Plateau a confirmé la décision. Se faisant, la décision n’est pas susceptible de voie de recours, puisque c’est l’article 12 qui le dit, et l’article 12 du code électoral n’est rien d’autre que l’expression de la volonté du peuple, la volonté des députés de Côte d’Ivoire. Alors, fort de cela, une décision régionale d’une Cour africaine prend le contre-pied de cette décision, mais il faut d’abord modifier cette disposition qui dit que les décisions du Tribunal ne sont pas susceptibles de voie de recours, parce que cette décision-là va à l’encontre d’une décision qui dit qu’elle n’est pas susceptible de voir de recours.

Ce sont donc des mesures nationales à prendre d’abord et ces mesures nationales peuvent être d’ordre administratif, d’ordre constitutionnel, d’ordres juridictionnels ou même politiques. C’est-à-dire qu’elles peuvent arriver à une modification de la loi, une révision constitutionnelle ou l’annulation d’un acte administratif, ou même la reprise d’un procès.

Ce sont ces mesures nationales-là qu’on prend d’abord pour que la Commission puisse permettre la décision, mais tant que cette décision n’a pas été notifiée à la Commission pour que celle-ci puisse le faire, je ne peux pas. Je n’écoute pas aux portes.

Je voudrais terminer sur ce point. On me dit qu’il y a ces deux poids deux mesures, mais qu’est-ce que vous en savez ? Il y a des cas, surtout concernant les personnes qui se sont retrouvées dans la même situation que le président Gbagbo, mais c’est la loi de 2018.

Landry Kuyo. Ph.Dr.

La loi d’amnistie de 2018 dit ceci : ”Que toutes les personnes qui se trouvent dans la même situation que le président Gbagbo peuvent bénéficier de cette loi d’amnistie, à condition qu’elles ne soient pas parmi les trois cas des personnalités en procès devant une instance judiciaire internationale. Deuxième cas, les militaires et troisième cas, les groupements armés : voilà les trois cas qui étaient exclus du bénéfice de la loi d’amnistie de 2018.

Ce faisant, le président Gbagbo n’était pas présent, il était en instance judiciaire, voilà pourquoi le président Gbagbo n’a pas bénéficié de cela, le ministre Blé Goudé également était en instance judiciaire, voilà pourquoi ils n’ont pas bénéficié de cela. Mais tous ceux qui n’étaient pas dans les trois cas ont tous bénéficié de la loi d’amnistie. C’est la raison pour laquelle, Monsieur Katina se retrouve sur la liste électorale, Monsieur Aké NGbo est sur la liste électorale, parce que ces personnes bénéficient de la loi d’amnistie.

Quand on parle de deux poids de mesure, je voudrais préciser ceci : on parle du cas d’Affoussiata Bamba et de Monsieur Soul To Soul. Qu’est-ce que vous en savez ? Comme explication, je m’en tiens à la décision que le ministère de la Justice me donne, disant que ces personnes sont déchues de leurs droits civils et politiques. Maïs, si Madame Affoussi Bamba et Monsieur Soul To Soul ne se trouvent pas sur cette liste, pourquoi veux-tu que je m’acharne sur eux ? Pour que demain, vous me le reprochez.

En réalité, ce sont des gens qui ont exercé des voies de recours. C’est pourquoi ils ne sont pas sur la liste des personnes déchues de leurs droits civils. Parce que seule une décision définitive entraîne la déchéance des droits civils et politiques. Tant que le procès n’est pas définitif, la personne reste électrice. Voilà pourquoi ces deux personnes-là se retrouvent sur la liste électorale. Si la décision est devenue définitive demain, elles seront supprimées de la liste électorale, sinon elles iront à l’élection. Voilà pourquoi il y a cette distinction.

Je terminerais là-dessus en disant ceci : je suis ouvert à toutes les interpellations. Je suis ouvert à toutes les critiques, toutes les suggestions, toutes les contributions pour améliorer la transparence du processus électoral en Côte d’Ivoire. Et j’aimerais que, là où vous constatez des manquements, vous soyez un peu plus précis dans vos observations. Je suis disposé à entendre et à prendre des mesures correctives, mais encore faut-il que vous soyez précis dans vos observations. Voilà ce que je voudrais dire pour finir.

Retrancris par Kpan Charles


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