[Interview] Daniel Ninsemon (Pdt de la Jeci) : « Il est difficile de satisfaire plus d’un si la corruption continue de régner en maître et dominer sous nos tropiques »

[Interview] Daniel Ninsemon (Pdt de la Jeci) : « Il est difficile de satisfaire plus d’un si la corruption continue de régner en maître et dominer sous nos tropiques »

Dans cet entretien,  le président de la Jeunesse estudiantine de Côte d’Ivoire (Jeci), Daniel Ninsemon fait le tour d’horizon de l’actualité nationale. Sans détour, il répond à certaines préoccupations brûlantes de l’heure…

Monsieur le président de la Jeunesse estudiantine de Côte d’Ivoire, depuis un moment c’est le silence radio ; pourquoi ?

Parfois, le silence est plus sage que la parole. Et en ces périodes de turbulence politico-social et économique que traverse notre cher pays, je pense que le silence est la forme la plus modeste de la critique.

Aujourd’hui, l’actualité politique tourne autour de la présidentielle de 2020. Certains partis politiques souhaitent le maintien du président au pouvoir. D’autres, par contre, avancent l’alternance. Quant aux pro-Soro, ils parlent de réconciliation.

Quelle analyse faites-vous d’une telle situation ?

Ce qui doit primer et qui doit être le plus important pour tous, c’est l’intérêt supérieur de la Nation. Il va au-delà des considérations individuelles et des intérêts égoïstes des parties en présence. Je souhaite vivement que chaque partie agisse dans ce sens ; cela nous éviterait certaines dérives irréparables.

Vous disiez dans l’une de vos interviews que la jeunesse ivoirienne ne veut pas être observatrice, mais actrice du développement. À trente mois de la présidentielle de 2020, peut-on dire que cette jeunesse est satisfaite ?

“L’éthique et la déontologie à tous les niveaux de la société sont des denrées rares.”

Pas vraiment ! Le bilan n’est pas reluisant. On a, malheureusement, une jeunesse qui reste majoritairement sans emplois stables, une jeunesse en quête de repères et vulnérable. Une jeunesse exposée aux vices inimaginables, avec les enfants en conflits avec la loi, les violences, la délinquance juvénile, la cyber-délinquance, l’hédonisme, etc.

Quand on sait que d’ici 2020, il y aura une nouvelle génération, d’après les années d’indépendance du pays de 4 paliers (ceux de 1970 qui auront 50 années d’âge, ceux de 1980 auront 40 années d’âge, ceux de 1990 auront 30 années d’âge, et même ceux de 2000 auront 20 années d’âge…), qui risque de se retrouver sans une situation sociale stable, il y a lieu de s’inquiéter. C’est une bombe à retardement.

Je suis inquiet, mais à la fois confiant et optimiste également que cette jeunesse peut constituer une force potentielle de changement positif et une puissance de développement participatif, à condition de mieux orienter la politique jeune au niveau de notre gouvernement. A l’état actuel des choses, nous ne sommes pas à l’abri.

En son temps, vous avez sensibilisé des chefs d’entreprises pour une bonne collaboration entre les étudiants et le patronat afin que ceux-ci créent un climat de confiance. Où en êtes-vous ?

Le constat est positif et le bilan est satisfaisant. Nous avons une parfaite collaboration avec le patronat et les chefs d’entreprises qui nous font confiance. Ce qui a valu plusieurs embauches et stages de nos différents membres à l’issue des conventions et partenariats que nous signons. Je saisis cette occasion pour traduire mon infinie gratitude à tous nos partenaires du privé comme du public.

Ne pensez-vous pas que la jeunesse ivoirienne est son véritable problème, parce qu’elle accepte de jouer le rôle de la 5ème roue des hommes politiques ?

Justement ! Cette situation est due à la vulnérabilité de notre jeunesse en quête d’un mieux-être, mais qui, malheureusement, essaye de retrouver ses repères en se livrant à ceux qui sont à la base de leurs souffrances. Cependant, force est de reconnaitre que cette situation est volontairement voulue par les manipulateurs véreux qui trouvent plaisir à manier avec flexibilité comme un potier la jeunesse en état de désœuvrement. Cette prise d’otage de la jeunesse par ces bourreaux politiques ne peut s’estomper que par l’autonomisation de la jeunesse et sa responsabilité de celle-ci à tous les niveaux de l’échelle sociale. C’est la raison donc qui fonde notre combat et les actions que nous menons.

Quel regard portez-vous sur l’école obligatoire pour les enfants de 6 à 16 ans ?

Je salue et j’approuve cette décision qui nous permettra d’avoir une société de qualité, plus citoyenne et moins exposée à la manipulation. Aussi, ne faudrait-il pas ignorer les conséquences d’une telle mesure, dans le cas où elle souffrirait d’un véritable accompagnement. Cela rendrait mort-né ce projet ambitieux porté par le gouvernement.

L’Université Félix Houphouët-Boigny brille, mais le matériel d’étude fait défaut par endroit. Partagez-vous le même constat que nous ?

Oui, malheureusement.

En plus des cas de fraude, il a été question de corruption aux derniers examens. Quelle analyse faites-vous de ces tares qui rongent de plus en plus la société ?

Nous sommes en perte de nos valeurs morales. C’est le triste constat. L’éthique et la déontologie à tous les niveaux de la société sont des denrées rares. Il s’agit donc de la société, en général. Pour poétiser, je dirai donc que nos mœurs se meurent. Il faut donc agir en inculquant dès la base les principes moraux à nos progénitures. Il faudra bien les enseigner, mais par qui ? Si vous avez des enseignants eux-mêmes qui ne partagent pas ces valeurs, comment voulez-vous qu’ils les transmettent ? La problématique reste posée.

Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, précisément dans la région de Logoualé, depuis 2015, ce sont des élèves qui enterrent leurs camarades quand celui-ci décède. Trois villages (Koulinlé, Ziogouiné et Dioulé) ont subi des incendies de maisons, des casses, des pillages, etc. Avez-vous écho de la situation ?

Non, malheureusement. Je ne suis pas informé d’une telle situation aussi triste qui me laisse sans voix si elle est avérée.

Certains observateurs avancent que cela est en rapport avec les crises successives que la Côte d’Ivoire a connues et que cette partie de la jeunesse est marquée par les atrocités de la guerre. Partagez-vous leur opinion ?

Je partage leur opinion, dans la mesure où les séquelles après une longue série de crises successives sont multiformes et pluridimensionnelles. C’est déplorable. Il faudrait une prise en charge psychologique.

Monsieur Ninsemon, en Côte d’Ivoire on ne parle plus du panier de la ménagère, mais du sachet de celle-ci, pourtant le gouvernement parle de croissance à deux chiffres. Selon vous, la richesse dont il est question est-elle distribuée de manière inclusive ?

La croissance à deux chiffres relève du domaine de la macro-économie et l’appréciation que porte la ménagère sur le volume de son panier relève du domaine de la micro-économie. C’est là que les efforts restent à faire. En ce qui concerne la distribution de manière inclusive, il est difficile de satisfaire plus d’un si la corruption continue de régner en maître et dominer sous nos tropiques.

 Aujourd’hui, les pluies diluviennes font le travail de suivi des infrastructures en lieu et place de ceux qui doivent faire un rapport honnête sur les travaux de réalisations. A chacune de ses gouttes des pans de goudron sont détruits, certains ponts s’effondrent. Quelle est votre proposition ?

Il faut agir pour la réparation des dégâts le plus tôt possible et sanctionner les mauvaises entreprises à partir de la qualité du travail livré et services fournis sur la base du cahier de charges. Lequel cahier doit être rigoureusement suivi avant livraison des travaux.

Justement, le tronçon Toumodi-Yamoussoukro est l’une des voies qui, avant les pluies diluviennes, a montré les limites d’un État dans lequel les travaux ne sont pas suivis. Les acteurs sont connus mais il n’y a pas de poursuite contre ces fossoyeurs de fonds. Quel jugement portez-vous sur cet état de fait ?

Il faut plus de sanctions sévères à l’encontre des entreprises reconnues coupables et dont leurs responsabilités sont engagées. Nous devons noter que ces travaux sont d’une utilité publique et ne doivent être bâclés.

La plupart des rues, qui ont bénéficié de goudron grâce au Programme d’urgence présidentielle (PPU), sont revenues à leur état initial. Autant affirmer que ces voies sont aujourd’hui impraticables.

Peut-on parler de bonne gouvernance dans ce cas ?

Je disais plus haut que l’un des plus grands démons du développement en Afrique, c’est la corruption. Nous avons tous les organes de contrôle et de régulation. Il n’y a donc pas de raisons fondées qui peuvent justifier un tel constat qui met en mal toutes les actions dans le sens du développement.

Après deux premiers emprunts, le chef du gouvernement était la dynamique du Road show de l’Eurobond 2017 avec pour objectif la mobilisation des ressources pour le financement du Plan national de développement (Pnd) 2016-2020. L’Eurobond est diversement interprété par le citoyen lambda…

“On peut s’endetter mais l’idéal, c’est d’être créancier plutôt que débiteur.”

Évidemment ! Le mérite n’est pas de s’endetter à coût de centaines de milliards, mais plutôt comment nous devons affecter cette dette pour qu’elle soit créatrice de richesses. Les capacités de production de richesses et le rendement de la dette sont faibles à cause des ressources qui sont prioritairement affectées au financement des infrastructures non directement productives de richesses nationale, telles que les ponts, les routes et les bâtiments…

De 2012 à 2016, le taux de croissance de la dette a été de 114,24% tandis que le taux du Pib a été de 53,1%. En 2014, nous avions eu comme dette 375 milliards de Fcfa d’Eurobond, et en 2015, 150 milliards de Fcfa d’emprunts islamiques et 500 milliards de Fcfa d’Eurobond. Alors qu’en 2017, nous avons 5772 milliards de Fcfa au troisième Eurobond. Ce montant est à peu près égal au stock de la dette extérieure du pays qui était de 6373 milliards de Fcfa avant la remise des 4090 milliards de Fcfa, à l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte, en 2012. Le stock actuel de la dette de la Côte-d’Ivoire se situerait selon les chiffres donnés par le Trésor public, sauf erreur, à 9073 milliards de Fcfa. Il y a lieu de s’inquiéter de cette inclination à l’endettement, au constat du faible rendement de cette dette publique.

Certains affirment que nos ressources sont déjà vendues sans qu’elles ne soient exploitées. Quel est votre point de vue sur la question…

De quelles ressources parlons-nous ? C’est vous qui m’informez.

La Côte d’Ivoire peut-elle sortir facilement de tous ces prêts ?

Oui. On peut s’endetter, mais l’idéal, c’est d’être créancier plutôt que débiteur.

Quelle vision avez-vous de l’année 2020 qui est considérée comme l’année de l’émergence ?

Je considère l’année 2020 comme un carrefour de générations. Cette année sera le passage du flambeau d’une génération à une autre, c’est-à-dire notre génération. Ce sera l’année du renouveau, l’année de la ‘’Jeunesse’’ à tous les niveaux, l’année du changement. Et aucun jeune ne doit manquer à ce grand rendez-vous. Pour ma part, quant à l’émergence du pays, je reste optimiste et prudent à la fois.

Sériba koné

kone.seriba67@gmail.com

 

 

 

 

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