[Politique] Vincent Toh Bi Irié témoigne de la présidentielle au Venezuela
Vincent Toh Bi Irié, ex-préfet d'Abidjan, par ailleurs président de Aube Nouvelle qui a assisté en tant qu'observateur à la présidentielle au Venezuela rend un témoignage sur la démocratie et le système électoral vénézuélien.
-Ici au Venezuela
Abidjan, Côte d’Ivoire, le 2 août 2024 (crocinfos.net)—Ici les Vénézuéliens ont voté hier (28 juillet2024). 21 millions d’électeurs sur 35 millions d’habitants. C’est environ 60% de la population qui se retrouve sur la liste électorale, un record en comparaison avec notre liste électorale en Côte d’Ivoire (environ 26,58% de la population).
Mais ces chiffres sont une tendance normale ici en Amérique du Sud, en Amérique Centrale, donc généralement en Amérique Latine.
Les bureaux de vote ont fermé autour de 20h et les résultats des votes des 21 millions d’électeurs Vénézuéliens ont été donnés à 00:07, soit 4 heures plus tard, qui donnent le Président Maduro vainqueur avec 51% des voix sur les 80% de vote dépouillés.
Hier, dans les faubourgs de Caracas, j’ai vu les plus longues files d’attente de vote que je n’ai jamais vues de toute ma vie : certaines files pouvaient atteindre 1 kilomètre, alors que le vote n’est pas obligatoire ici comme ça l’est au Pérou. Au Pérou, le vote est obligatoire et toute personne qui ne vote pas n’est frappée d’une amende de 30 $ (environ 18.600 FCFA), alors que le smic est de 300 $ (186.000 FCFA).
Alors que les démocraties traditionnelles ont 3 Pouvoirs (le Pouvoir Exécutif, le Pouvoir Législatif, le Pouvoir Judiciaire), ici au Venezuela, il y a 5 Pouvoirs: les 3 pouvoirs ci-dessous cités et deux autres Pouvoirs spécifiques à ce pays : le Pouvoir de la Protection Publique/Médiation et … le Pouvoir Électoral. Ce dernier se justifie ainsi parce que le vote est sacré et le choix du peuple supposé inviolable.
Le Conseil National Électoral (CNE) est donc un Pouvoir qui a les mêmes attributions que le Pouvoir Judiciaire. Ses décisions ont force d’autorité judiciaire. C’est aussi la tendance dans la Région. Des Commissions électorales puissantes composées de personnalités totalement indépendantes ont permis de stabiliser de nombreux pays d’Amérique Latine, jadis en proie à toutes formes d’aventures militaires et dictatoriales.
‘’Les bureaux de vote ont fermé autour de 20h et les résultats des votes des 21 millions d’électeurs Vénézuéliens ont été donnés à 00:07, soit 4 heures plus tard, qui donnent le Président Maduro vainqueur avec 51% des voix sur les 80% de vote dépouillés.’’
Mais dans le cas spécifique du Venezuela, la consolidation démocratique n’est pas encore totale. Leurs élections ressemblent fort bien aux élections là-bas dans mon Afrique natale : Opposants bâillonnés et emprisonnés, médias d’Etat caporalisés, espaces publics accaparés.
Le Venezuela vote avec la machine à voter depuis des décennies. Il a une longue tradition de vote. La gestion des flux humains et la maîtrise des opérations électorales sont un point fort. D’ailleurs, le niveau d’alphabétisation du Venezuela est l’un des plus élevés au monde avec, un moment donné, plus de 99% de taux d’alphabétisation, tous les Présidents ayant fait de l’Education la priorité des priorités depuis l’Indépendance. Presque tous les Vénézuéliens savent lire et écrire.
Le pays a un système d’élection présidentielle un peu compliqué. Un Parti peut être admis à participer à des élections présidentielles. Mais il peut avoir pour candidat le candidat d’un autre Parti, s’ils sont dans la même alliance. Ainsi sur le bulletin de vote unique, le même candidat apparaît plusieurs fois comme candidats de différents partis, comme vous pouvez le voir sur l’une des photos en illustration. Nous, nous ne comprendrions pas un tel système en Afrique, mais il permet simplement de savoir, dans le cadre d’une alliance, combien de voix un Parti de l’alliance a apportées au candidat, en vue du partage futur des postes dans le Gouvernement. On vote donc pour le Parti et pour le Candidat.
Pour que les élections se tiennent dans un contexte apaisé, il a été institué ce qui est appelé ici « la Loi sèche », une Loi suivant laquelle toute commercialisation ou consommation d’alcool sont interdites 2 jours avant les élections et 1 jour après les élections, pour éviter la violence et la corruption des esprits dans un pays où les gens peuvent être excessivement festifs . L’alcool a souvent servi à acheter les voix des électeurs. D’où la « Loi sèche », qui peut être étendue par le Président de la Commission électorale sur plusieurs jours après les élections, en vertu de son pouvoir d’autorité judiciaire, s’il estime que les opérations ne sont pas terminées et que l’alcool peut être une menace.
Cette élection se tient dans un contexte économique et social de crise. Le pays est en chute. Les discours idéologiques et révolutionnaires ne font pas toujours vivre un pays. Quand le petit peuple finit de louer le révolutionnaire Simon Bolivar (Père de l’Indépendance en 1811) dans la République Bolivarienne du Venezuela, il cherche à manger. Il n’en trouve pas toujours et le quotidien est difficile. Il finira par tourner le dos à la révolution et aux révolutionnaires ou à faire une autre révolution. Mais le Venezuela est un pays est pleine affirmation de son identité millénaire à laquelle elle ne renoncera jamais malgré les influences et surtout à cause de son histoire de tentatives et d’expériences de domination extérieure ancienne et récente.
Le pays était en plein essor économique quand les sanctions occidentales sont tombées. Les entreprises ont fermé. Des avoirs ont été gelés. Des sanctions ciblées ont effrayé le monde des affaires. Le pays vend difficilement ses biens et son pétrole car les acheteurs ne peuvent pas commercer avec le pays ni payer en monnaies internationales. Les sanctions sont déjà régulièrement renouvelées. Logé dans des bidonvilles juchés sur le flanc abrupt des montagnes, le peuple vivote, vit de la débrouille et la criminalité s’est installée, à tel point que le pays est devenu un point rouge déconseillé aux touristes.
Le pays d’Hugo Chavez (décédé depuis), où coulait il y a un peu plus de 10 ans le pétrole et le dollar à flots est à l’arrêt.
Lorsqu’un pays est porté par une personnalité forte capable d’actionner les réseaux économiques et diplomatiques et d’influencer les politiques intérieures et extérieures, il doit faire attention aux optons qu’il prend, un moment donné de son histoire, car il peut s’offrir à la ruine, une fois le leader parti. Le Venezuela en est une illustration.
On a du mal à imaginer que ce pays-là, il y a peu, dans un élan de solidarité socialiste, distribuait des centaines de millions de dollars aux pays pauvres du monde dont certains en Afrique de l’Ouest. Un pays a toujours une histoire qui ne dort pas. Il n’est jamais en haut pour toujours ni en bas pour toujours.
Ce type de mission technique que nous effectuons est toujours une mission de leçon, d’expérience et d’humilité car la politique sous des cieux éloignés est quelques fois la même. L’histoire est un excellent précepteur.
Pour finir sur une note plus gaie et légère, on est à Caracas comme on est à Abidjan. Le Centre des affaires n’a rien de différent du Plateau. Par ailleurs, Abobo, Adjame, Treichville et Yopougon sont aussi ici. Le même monde, les mêmes commerçants sur le trottoir, la même circulation hasardeuse, en clair le même désordre.
Et la ressemblance ne s’arrête pas là. On mange ici le manioc bouilli comme le bon manioc de Bonoua. On mange le même dooknou (pâte de banane cuite dans les feuilles de banane).
L’alloco des Vénézuéliens est très bon. Pendant que nous les Ivoiriens nous disons que nous sommes les inventeurs de l’alloco, les Vénézuélien disent que les Ancêtres de leurs Ancêtres mangeaient l’alloco depuis des millénaires et que ce sont eux qui nous ont prêté cette plante…
Vincent Toh Bi Irié
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