Vous avez dit recherches ? (Par Venance Konan)
C’est l’histoire d’un ami que j’appellerai Lattié, puisqu’il est de la région de la Mé, une histoire que j’ai déjà relatée dans une chronique parue dans Ivoir’Soir il y a très longtemps de cela, mais que je me fais le plaisir de vous raconter à nouveau.
Abidjan, le 11-1er-2022 (crocinfos.net) Vous avez dit recherches ? C’est l’histoire d’un ami que j’appellerai Lattié, puisqu’il est de la région de la Mé, une histoire que j’ai déjà relatée dans une chronique parue dans Ivoir’Soir il y a très longtemps de cela, mais que je me fais le plaisir de vous raconter à nouveau. Lattié et moi avions fait nos études ensemble à Nice, en France, lui en chimie, moi en droit. A la fin de ses études sanctionnées par un doctorat, il est rentré au pays comme nous tous. Mais au bout d’un an, il est reparti en France où il s’est définitivement établi. Il a épousé une française, a pris la nationalité française et prépare actuellement son retour au pays pour y vivre sa retraite. Je l’avais revu quelques années après son retour en France, dans son élégante maison d’un quartier chic de Nice, et il m’avait raconté son histoire à peu près en ces termes : « A la fin de mes études, le jour même où j’ai soutenu ma thèse, un représentant d’un laboratoire de Monaco qui était là m’a fait une offre d’emploi. Mais comme vous, je ne me voyais pas travailler ailleurs que dans mon pays qui avait financé mes études en me donnant des bourses depuis le collège. Je suis donc rentré et ai été recruté à l’université. Le premier problème qui s’est posé est qu’il n’y avait pratiquement rien dans le laboratoire pour faire des recherches sérieuses. Le second, est que j’ai dû attendre presqu’un an avant de toucher mon premier salaire. Et il m’avait fallu soudoyer quelqu’un pour l’avoir. Il s’est trouvé que juste à ce moment, le laboratoire de Monaco est revenu à la charge, en me faisant une offre plus intéressante. Je n’ai plus hésité. »
Combien de Lattié n’avons-nous pas formés, combien ne sont-ils pas revenus, pleins d’enthousiasme à l’idée de servir leur pays, et combien n’avons-nous pas dégoûtés au point de les obliger à repartir « se chercher » en Europe ou ailleurs ? Tous les fonctionnaires ivoiriens connaissent la galère des premiers salaires. Lorsque l’on commence à travailler dans la fonction publique, il faut s’armer de patience et de courage avant de toucher son premier salaire qui ne tombe que de longs mois après la prise de fonction. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Je n’ai pas d’autre explication. En attendant, il faut s’endetter, vivre de la charité des proches. On pourrait dire que ce problème-là n’est pas insurmontable. Mais qu’en est-il des conditions de travail ? Nous nous targuons de faire de la recherche dans nos universités. Mais quelle recherche ? Depuis plus de soixante ans que nous faisons de la recherche, quelle résultat sérieux un chercheur africain, en dehors de l’Afrique du sud, a-t-il obtenu ? Rien, parce qu’il n’y a rien dans nos laboratoires, parce que nos centres de recherche n’ont aucun moyen. Nous faisons donc semblant de faire de la recherche, nos chercheurs les plus doués publient des articles dans des revues scientifiques occidentales afin d’avoir de la promotion, en attendant de se faire recruter à l’extérieur par des instituts plus sérieux que les nôtres. Et depuis plus de soixante ans, nous nous jouons cette comédie-là. La réponse de nos dirigeants est connue : nous n’avons pas les moyens. Alors, nos chercheurs ont le choix entre faire avec, c’est-à-dire jouer eux aussi la comédie de la recherche, ou s’expatrier. Mais alors, pourquoi gaspiller nos maigres ressources à faire semblant de faire de la recherche ? Pourquoi ne ferions-nous pas de la recherche scientifique une priorité en lui donnant les moyens qu’il faut au détriment d’autres secteurs ? C’est juste une question de volonté. En son temps, Houphouët-Boigny disait que l’avenir appartenait à la science et à la technique. Et, joignant l’acte à la parole, il a créé un lycée scientifique et des grandes écoles qui ont formé des générations d’ingénieurs et de hauts cadres qui continuent de servir toute l’Afrique. Sous Laurent Gbagbo ces écoles avaient été laissées à l’abandon, et c’est Alassane Ouattara qui est en train de leur redonner leur lustre. Il est vrai que la recherche scientifique coûte cher. Mais tout dépend de ce que nous voulons chercher. Et il est un adage qui dit que l’union fait la force. C’est fort de cela que des organisations régionales ont été créées dans toute l’Afrique. Alors, pourquoi, dans un cadre régional, au lieu d’avoir plusieurs pseudo-centres de recherche parfaitement inutiles dans chacun de nos pays, ne nous mettrions-nous pas ensemble pour créer un vrai institut de recherche dont les résultats profiteraient à toute la région ? Cela nous semble impossible ? Savons-nous que les Européens ont créé ensemble un Centre européen de recherche nucléaire (CERN) ? Tout dépend de l’identification de nos besoins. Je ne sais pas si nous avons pour le moment besoin d’aller sur mars ou de fabriquer une bombe nucléaire plus puissante que celles qui existent déjà. Mais par contre, pourquoi la CEDEAO ne créerait-elle pas dans notre région un centre de recherche sur le paludisme par exemple, qui regrouperait nos meilleurs médecins travaillant sur la question ? Ou des recherches qui libèreraient nos femmes de la corvée qui consiste à passer une bonne partie de la journée à piler, ou nos paysans de la dictature de la machette et de la daba ? C’est impossible ? Il est peut-être temps de réfléchir à ce que nous voulons vraiment. Continuer de faire semblant ou nous donner les moyens de résoudre nos vrais problèmes ?
Venance Konan
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