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C R O C I N F O S

[Liberté de la presse] Menaces de mort contre correspondant, journaliste d’investigation à Bouaké

[Liberté de la presse] Menaces de mort contre correspondant, journaliste d’investigation à Bouaké

Le journal à paraître

À Bouaké, capitale de la région du Gbêkê, le journaliste d’investigation François M’BRA II subit de nouvelles menaces de mort suite à un article sensible sur l’état du Groupe scolaire RAN, révélant une fois encore les risques pesant sur la liberté de la presse ivoirienne.

Abidjan, 20 août 2025 (crocinfos.net)---François M’BRA II, correspondant de Crocinfos.net dans la région du Gbêkê et secrétaire en charge de la formation au sein de l’Organisation nationale des journalistes d’investigation de Côte d’Ivoire (ONIJ-CI), traverse une nouvelle épreuve inquiétante. Sa vie, ainsi que celle de sa famille, est de nouveau menacée. En cause : ses enquêtes sans concession, et plus récemment, un reportage à paraître sur l’état de délabrement avancé du Groupe scolaire RAN à Bouaké.

Dans la nuit du 4 août 2025, le journaliste a reçu un appel anonyme provenant d’un numéro masqué. La voix à l’autre bout du fil, refusant toute identification, lui a adressé des propos glaçants :

« Tu te crois intouchable, c’est toi qui dis toujours ce que les autres ne disent pas... Tu crois que tu es caché ? Tu penses qu’on a peur de toi ? Cette fois-ci, on ne va pas te louper. On sait où tu habites. Fais attention... si tu t’amuses, ça va te passer par la gorge. »

Ces menaces directes, dignes d’un scénario sombre, illustrent la réalité brutale des journalistes d’investigation en Côte d’Ivoire. Ceux qui choisissent de mettre en lumière les zones d’ombre s’exposent à une violence psychologique, parfois physique, destinée à les réduire au silence.

Un parcours marqué par la persécution. Le nom de François M’BRA II est déjà associé à une longue liste d’agressions et d’intimidations. Le 8 juillet 2017, à Yamoussoukro, il est agressé par le sergent Issa Coulibaly, alors en fonction au bataillon Nord-Ouest. Le militaire est interpellé puis remis à la Garde républicaine, mais cette affaire ne débouchera sur aucune suite judiciaire significative.

Le 6 décembre 2018, lors de la commémoration du 25ᵉ anniversaire du décès du président Félix Houphouët-Boigny, il est de nouveau la cible de violences. À Yamoussoukro, dans le quartier Millionnaire, il est poignardé par des hommes à la recherche d’une clé USB contenant des éléments sensibles liés à une enquête sur la gestion du lac aux caïmans. Quelques années plus tard, en 2020, il subit encore une double agression : d’abord victime d’un vol à son domicile, il est ensuite dépouillé de sa moto dans l’enceinte même de la mairie de Bouaké.

Ces événements répétés traduisent une volonté claire : intimider, briser et réduire au silence un journaliste qui refuse de fermer les yeux.

Un engagement reconnu et salué. Mais loin de céder, François M’BRA II poursuit inlassablement son combat pour la vérité. Ses enquêtes couvrent des domaines sensibles : sécurité, éducation, blanchiment d’argent, droits humains, ou encore foncier rural. Cette ténacité lui a valu la reconnaissance de ses pairs et de nombreuses distinctions.

En 2023, il est sacré Meilleur journaliste TV lors de la Nuit du Mérite de l’Union des journalistes de Bouaké (UJB), avant de recevoir, la même année, le prix de Meilleur journaliste TV à la cérémonie nationale de la Plume d’Or de l’UNAJCOP-CI. En 2024, il se voit décerner le Super Prix du Mérite de l’UJB, confirmant son statut de référence journalistique dans le Gbêkê et au-delà.

Hors de Côte d’Ivoire, il est régulièrement sollicité comme consultant et formateur. Membre de l’International Press Institute (IPI), basé en Autriche, il intègre un réseau mondial de journalistes défendant la liberté d’informer. En 2014, il bénéficie d’une bourse du gouvernement américain dans le cadre du programme IV, expérience qui a renforcé son ouverture et ses compétences.

Un symbole fragile de la liberté d’informer. Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur lui soulignent une contradiction persistante : si la liberté d’expression est inscrite dans les textes ivoiriens, elle demeure fragilisée par la réalité du terrain. Chaque nouvelle attaque contre un journaliste met en péril le droit fondamental des citoyens à être informés.

Il est urgent que les autorités sécuritaires de la région du Gbêkê prennent des mesures fermes pour protéger François M’BRA II. Au-delà de son cas personnel, c’est la sécurité de tous les journalistes d’investigation en Côte d’Ivoire qui est en jeu. Les organisations de défense des droits humains, nationales comme internationales, doivent également se mobiliser pour exiger l’identification et la sanction des auteurs de ces menaces.

Une lutte qui dépasse un homme. François M’BRA II n’est pas seulement un journaliste. Il incarne le courage de ceux qui, au prix de leur sécurité, portent la voix des sans-voix et dévoilent ce que d’autres cherchent à cacher. Son parcours, fait de blessures et de résistances, illustre à lui seul les difficultés d’un métier pourtant indispensable au fonctionnement de toute démocratie.

La Côte d’Ivoire ne pourra prétendre à une presse véritablement libre tant que ceux qui osent enquêter seront réduits à vivre dans la peur. Sauvegarder la sécurité de François M’BRA II, c’est protéger la liberté d’informer et, par-delà, l’un des piliers essentiels de la démocratie.

Car réduire au silence un journaliste, c’est condamner toute une société à l’ombre.


Seriba Koné