A titre d'illustration
À Gariland, la justice vacille entre comédie et tragédie : rapide pour les faibles, aveugle pour les puissants. Un enseignant qui réclame ses droits y devient un criminel, pendant que les vrais coupables festoient.
Abidjan, Côte d’Ivoire, 5 avril 2025 (crocinfos.net)---Il existe, dans notre imaginaire – quelque part sous nos tropiques, entre lagunes tranquilles et palabres agitées – un pays où la justice a un œil grand ouvert pour les faibles, est binoclard, voire borgne, parfois aveugle, pour les puissants. Un pays où les coupables de bien de coup(e)s dansent libres, pendant que les honnêtes réclamants sont menottés au silence.
Bienvenue à Gariland, le royaume de la Komédie et du Gari politique.
Dans ce pays, certains bâtissent des fortunes non pas à la sueur du front, mais à la fluidité du stylo. Ils ne labourent pas la terre, ils l’annexent. L’exproprient. S’en vantent. « Et puis y a rien. » Grâce à une alchimie bien huilée entre faux papiers, vrais tampons, et une incroyable capacité à faire signer des décisions sans jamais en assumer la main.
Des plaintes ? Il y en a. Des juges ? Aussi. Des inculpations ? Bien entendu. Mais les années passent et les murs des tribunaux s’écartent toujours pour laisser passer certains pieds bien cirés.
C’est cela, la Komédie judiciaire. Un théâtre d’ombres où l’on récite les textes de loi, sans jamais monter la pièce.
Et puis, il y a les autres. Ceux qui n’ont que leur voix, leur indignation, et parfois leur craie pour faire entendre raison. Dans ce même pays, un citoyen, enseignant de son État, a eu l’audace de réclamer ce qui lui était promis : un dû pour son service, un geste pour sa dignité. Il n’a pas crié, il a juste revendiqué.
Voilà le paradoxe de Gariland : la justice y est véloce pour les faibles et poussive pour les forts. On y arrête sans manda(n)t.
Mais à Gariland, revendiquer est un verbe à conjuguer au présent de la précaution. Au passé de l’amnésie. Au futur de la déraison. Car ici, l’indignation est un luxe plus qu’imparfait que l’on ne peut s’offrir sans risque.
On vint le chercher à l’aube, comme un voleur. Des portes forcées. Des cris. Des voisins réveillés. Des agents encagoulés. Des menaces murmurées. Des enfants traumatisés. On parla d’entrave au service public, de coalition illicite : de gros mots pour un petit homme qui voulait juste qu’on tienne parole.
Et dans la foulée, il fut envoyé là où l’on range les gêneurs : dans l’antichambre de l’oubli, pendant que les vrais fauteurs dorment dans des draps brodés au fil doré de la complicité.
Voilà le paradoxe de Gariland : la justice y est véloce pour les faibles et poussive pour les forts. On y arrête sans manda(n)t. Mais on oublie de juger ceux qui cumulent des dossiers épais comme Abomé (Essuez-moi). On y fait taire ceux qui enseignent la liberté, mais on déroule le tapis à ceux qui pratiquent la fraude.
Le Gari politique, c’est cette bouillie tiède qu’on sert au peuple pour vingt ans, pendant que d’autres se partagent les plats de résistance dans des salons de monarchie. C’est ce compromis douteux entre promesses en l’air et répression bien au sol. C’est ce repas national où tout le monde est invité, mais seuls certains (du clan) mangent à leurs fins.
Et pendant ce temps, le rideau reste levé. La Komédie continue. Les scènes s’enchaînent. Les acteurs changent parfois, mais le scénario reste le même.
On dit que le peuple a la mémoire courte. Mais il faudra bien un jour qu’il réclame une autre pièce. Pile ou farce. Il faut une vraie. Écrite à l’encre de la justice, jouée par des citoyens debout, non par résignation, mais par espoir retrouvé.
Au fond, il suffit parfois d’un souffle… d’un murmure devenu cri… pour que la salle entière refuse d’applaudir. Attention, dans certaines cuisines, ça commence à sentir le brûlé.
Israël Guebo, expert en communication
1er vice-président de ADCI.
NB : le titre original est "De la Komédie et du Gari politique