Façade du siège de la Commission européenne à Bruxelles avec des drapeaux de l’Union européenne en berne
Malgré des efforts notables, la Côte d’Ivoire a été inscrite sur la liste noire de l’Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Analyse des manquements identifiés par le GAFI et la Commission européenne.
Abidjan, le 12 juin 2025 (crocinfos.net)---Un coup dur pour l’image financière de la Côte d’Ivoire. Alors que des pays comme le Sénégal viennent d’être retirés de la liste des pays tiers à haut risque en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), la Côte d’Ivoire, elle, y entre brutalement. La Commission européenne a en effet actualisé sa liste noire, s’alignant sur les conclusions du Groupe d’action financière (GAFI), en classant la Côte d’Ivoire parmi les juridictions présentant des carences stratégiques majeures.
Quand le doute l’emporte sur les efforts. Depuis octobre 2023, la Côte d’Ivoire figurait déjà sur la liste grise du GAFI. En octobre 2024, malgré des engagements politiques renouvelés et des avancées institutionnelles, les experts internationaux ont jugé insuffisants les progrès accomplis. Résultat : l’Union européenne applique automatiquement ses mécanismes de vigilance renforcée sur les transactions financières impliquant le pays.
Ce basculement vers la liste noire européenne découle d’un faisceau d’éléments préoccupants relevés par le GAFI. Il ne s’agit pas simplement de retard dans les réformes, mais de faiblesses structurelles persistantes, notamment sur :
- L’accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs : malgré la loi n°2013-867 sur l’accès à l’information publique, les données sur les bénéficiaires réels des sociétés restent largement inaccessibles, voire opaques. Un manquement majeur dans un contexte où la transparence est une arme cruciale contre les réseaux de blanchiment.
- La coopération judiciaire limitée : le GAFI note que la Côte d’Ivoire doit améliorer la coopération internationale, en particulier dans les enquêtes transfrontalières. Or, certaines données judiciaires restent inaccessibles, même pour des institutions nationales comme la Haute autorité pour la bonne gouvernance ou le Conseil national des droits de l’homme.
- Des résultats insuffisants en matière de poursuites : le GAFI attend des actions concrètes, et surtout mesurables, en matière d’enquêtes et de poursuites. Mais les autorités ivoiriennes ne rendent pas publiques ces données, ce qui alimente les soupçons d’inefficacité.
Une évaluation technique rigoureuse. Du côté de Bruxelles, la Commission européenne insiste sur le fait que cette décision ne relève pas d’un jugement politique mais d’une évaluation technique rigoureuse, alignée sur les standards du GAFI. Le règlement délégué de l’UE, pris dans le cadre de la quatrième directive anti-blanchiment, repose sur des critères méthodologiques précis, incluant des visites de terrain, des dialogues bilatéraux et des études d’impact.
Comme l’indique la déclaration officielle :
« L’identification des juridictions à haut risque reste un outil essentiel pour préserver l’intégrité du système financier de l’UE. »
Cette liste impose des obligations renforcées aux entités bancaires européennes lorsqu’elles sont en relation avec des institutions ivoiriennes : contrôles accrus, obligations de déclaration, voire restrictions de flux. Un climat défavorable aux affaires.
Le Sénégal et la Côte d’Ivoire, deux trajectoires opposées. Ce contraste est d’autant plus saisissant que le Sénégal vient tout juste d’être retiré de cette liste, tout comme la Barbade, les Émirats arabes unis ou les Philippines. Ces pays ont su démontrer des progrès tangibles : application des sanctions financières ciblées, augmentation des poursuites judiciaires, transparence dans les registres publics.
Pour la Côte d’Ivoire, malgré la mise en place d’une agence de gestion des avoirs saisis et confisqués, ou l’adoption de réformes législatives, le manque d’efficacité opérationnelle reste un problème. Les institutions sont créées, mais leur fonctionnement reste en deçà des attentes.
Six axes prioritaires ignorés ou sous-exploités. Le GAFI a pourtant identifié six axes prioritaires à suivre pour espérer sortir de cette liste :
- Coopération internationale renforcée dans les poursuites ;
- Meilleure gestion des risques dans les institutions financières ;
- Sensibilisation accrue des entreprises ;
- Accès public aux bénéficiaires effectifs ;
- Exploitation effective des renseignements financiers ;
- Hausse significative des enquêtes et poursuites pénales.
Mais jusqu’ici, ces recommandations n’ont pas été traduites en résultats chiffrés. Le flou reste total sur les progrès réels, alimentant une méfiance légitime des partenaires internationaux.
Et maintenant ? L’inscription sur la liste noire de l’UE est une alerte rouge pour l’économie ivoirienne. Les conséquences pourraient être lourdes : réticence des banques européennes, baisse des investissements directs étrangers, majoration des primes de risque, fragilisation du système bancaire local.
Pour éviter une spirale négative, le gouvernement ivoirien devra plus que jamais accélérer la mise en œuvre effective de son plan d’action, tout en instaurant une communication transparente sur les avancées. L’enjeu n’est plus seulement technique : il est stratégique.
À l’heure où la stabilité économique et diplomatique de la Côte d’Ivoire dépend aussi de sa crédibilité financière, sortir de cette liste noire devient une priorité nationale.
Sériba Koné