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[Dossier] Nassian, un carrefour de richesses ignorées au cœur du Bounkani

[Dossier] Nassian, un carrefour de richesses ignorées au cœur du Bounkani

La traversée du fleuve comoé entre Dabakala et Nassian.Ph.F.M.

Riche en ressources agricoles, artisanales et écotouristiques, le département de Nassian peine à révéler son plein potentiel, freiné par des infrastructures défaillantes et une structuration économique encore embryonnaire. Un avenir à construire.

Bouaké, le 19 mai 2025 (crocinfos.net)---Au nord-est de la Côte d’Ivoire, le département de Nassian, situé dans la région du Bounkani, se distingue par un potentiel socio-économique, touristique et culturel remarquable. Entre une agriculture variée, un artisanat traditionnel riche mais peu structuré, et la proximité du parc national de la Comoé – classé au patrimoine mondial de l’UNESCO –, Nassian regorge d’opportunités de développement. Toutefois, cet élan est entravé par des infrastructures insuffisantes, une faible mise en valeur touristique et des besoins sociaux persistants.

Le département de Nassian, qui compte environ 120 000 habitants selon le dernier recensement de l’INS (2021), constitue un carrefour culturel et économique de la région du Bounkani. Sa position géographique, à la frontière avec le Burkina Faso et le Ghana, lui confère un rôle stratégique dans les échanges transfrontaliers. L’agriculture y demeure le socle de l’économie locale, portée par les cultures vivrières traditionnelles et une production d’anacarde en pleine expansion. En parallèle, la diversité culturelle des ethnies Lobi, Koulango et Malinké, conjuguée à la richesse écologique du parc de la Comoé, offrent des perspectives prometteuses pour le tourisme. Néanmoins, des défis structurels majeurs freinent encore l’essor de ce territoire.


Une agriculture diversifiée, pilier économique du territoire

À Nassian, l’agriculture est essentiellement familiale et vivrière. La superficie moyenne des exploitations est estimée à 2,4 hectares (FAO, 2023), avec pour principales cultures l’igname, le manioc, le maïs et le riz, assurant une relative sécurité alimentaire locale. Toutefois, c’est la filière anacarde qui connaît la progression la plus marquée.

Un stock de noix de cajou à Talahini, dans la s/p de Nassian

Le département bénéficie en effet d’une production d’anacarde en pleine croissance, devenue un pilier économique majeur. La région du Bounkani fait partie des zones de production les plus dynamiques du pays, avec une récolte dépassant les 48 000 tonnes en 2022, après une baisse conjoncturelle en 2021, liée à la sécheresse et à certaines pratiques commerciales illicites (AIP, 2023).

D’après une étude conduite dans la région, quelque 30 000 producteurs seraient engagés dans la filière, sur une superficie excédant 64 000 hectares. La densité moyenne des vergers est évaluée à 768 pieds par hectare, avec une population active majoritairement âgée de 30 à 50 ans (ISSR Journals, 2019).

Pour le sociologue Dr Rodolphe Sambou, spécialiste du développement local, « l’anacarde est devenue un levier économique essentiel pour Nassian. Toutefois, cette croissance doit s’accompagner de pratiques agricoles durables et d’une diversification des cultures, afin d’éviter la dépendance et de préserver la sécurité alimentaire ».

En effet, l’extension des plantations d’anacarde entraîne une pression foncière croissante, au détriment des cultures vivrières, mettant en péril la résilience des populations face aux aléas climatiques ou économiques.

Les coopératives agricoles – notamment féminines – jouent un rôle structurant. La coopérative PROVINA, qui regroupe plus de 850 femmes réparties dans 34 groupements, s’est spécialisée dans la production d’oignons et d’autres vivriers. Pour sa présidente, Yao Ahoua Marie, « faire de Nassian un grenier agricole régional est notre ambition. Nos femmes sont déterminées à nourrir leurs familles tout en contribuant à l’économie locale ». Ce modèle favorise à la fois l’autonomisation économique des femmes et la résilience communautaire.


Artisanat local : structurer un savoir-faire ancestral

À Nassian, l’artisanat traditionnel – tissage, poterie, sculpture sur bois, vannerie – constitue un patrimoine vivant, mais reste largement informel. Les artisans, insuffisamment organisés et accompagnés, peinent à accéder aux marchés régionaux et nationaux.

Pour y remédier, le sous-préfet Adépo Gnando Olivier a initié un programme de structuration des métiers artisanaux, visant à créer des coopératives, renforcer les capacités des acteurs et faciliter leur accès au financement.

Koné Assetou, responsable d’un atelier de tissage, témoigne : « Nous avons beaucoup de talents. Mais sans organisation ni visibilité, nos produits restent inconnus. Avec un accompagnement technique et financier, nous pourrions valoriser ce secteur et créer des emplois ».

Ainsi revalorisé, l’artisanat pourrait devenir un levier économique complémentaire, contribuant à la diversification des revenus tout en préservant les savoir-faire ancestraux.


Tourisme : un potentiel écologique encore sous-exploité

Le parc national de la Comoé, vaste de plus de 11 500 km², est l’une des plus grandes réserves naturelles d’Afrique de l’Ouest. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1983, il abrite une biodiversité exceptionnelle : éléphants, buffles, antilopes, ainsi qu’une flore rare.

Après une période de déclin due à la crise sociopolitique (2002–2011), le parc connaît un renouveau progressif. L’Office Ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR) collabore avec les communautés locales pour développer un tourisme durable. Le village de Bania, par exemple, a mis en place un campement écologique offrant hébergement, restauration et animations culturelles, générant des revenus pour les habitants.

Ce modèle d’écotourisme inclusif allie préservation de l’environnement et développement local. Toutefois, Nassian souffre encore d’un manque d’infrastructures (routes, hébergements, signalisation) et d’une promotion touristique limitée.

Pour S. Coulibaly, guide local, « nous avons un trésor naturel à valoriser. Il faut des investissements pour accueillir les visiteurs dans de bonnes conditions et faire connaître Nassian au-delà de nos frontières ». 


Un capital humain et social à fort potentiel

Les dynamiques communautaires et associatives, notamment portées par les femmes, constituent une force motrice du développement local. L’exemple de la coopérative PROVINA est emblématique : ses membres bénéficient de formations agricoles, gèrent collectivement les récoltes et assurent leur commercialisation.

Le groupement vivrier de Talahini, dirigé par Ouattara Salimata, incarne également cette volonté d’autonomisation malgré des conditions parfois précaires.

Selon une étude de la FAO (2023), les coopératives féminines du Bounkani ont permis d’augmenter de 30 % les revenus des ménages et d’améliorer la sécurité alimentaire. Elles renforcent également la cohésion sociale et assurent la transmission des savoir-faire traditionnels.


Des défis persistants pour un développement inclusif

Malgré ses nombreux atouts, Nassian est confronté à des contraintes majeures. Le diagnostic communautaire de l’UNICEF (2022) pointe l’insuffisance criante des infrastructures scolaires, sanitaires et routières. L’accès aux soins reste limité, les établissements scolaires manquent de ressources, et l’état des routes freine les échanges économiques.

Les artisans du département de Nassian avec le s/préfet Adepo Gnando Olivier

La forte pression foncière liée à l’expansion de l’anacarde menace la diversité agricole. Le tourisme peine à décoller, faute d’une stratégie claire et d’infrastructures adaptées. L’artisanat, bien que riche, demeure fragile faute de structuration.

Annick Assahon, présidente de l’ONG Renaissance Terre, alerte : « Les agricultrices de Nassian subissent déjà les effets du changement climatique : sécheresses récurrentes, pluies imprévisibles... Il est urgent d’accompagner les communautés dans l’adoption de pratiques résilientes ». 


Perspectives et recommandations

Pour Dr Rodolphe Sambou, « Nassian dispose d’un fort potentiel agricole et touristique, mais sa transformation dépendra de la structuration des filières, du renforcement des infrastructures et de l’intégration des enjeux environnementaux ».

Le Plan National de Développement 2021-2025 prévoit des investissements dans les infrastructures routières et sanitaires du Bounkani, ainsi que le soutien aux initiatives agricoles et touristiques. La Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) a également financé plusieurs projets visant à désenclaver Nassian.

Une approche intégrée, mobilisant autorités publiques, collectivités locales, ONG et partenaires techniques, est indispensable pour faire de Nassian un modèle de développement durable.

En somme, Nassian est un territoire en pleine mutation, dont les richesses agricoles, touristiques et culturelles constituent des leviers puissants. À condition de relever les défis d’infrastructures, de structuration économique et de résilience environnementale, le département peut devenir une référence régionale en matière de développement inclusif et durable.


François M’BRA II, envoyé spécial à Nassian