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C R O C I N F O S

Présidentielle 2025, l’exclusion qui fragilise la démocratie (analyse)

Présidentielle 2025, l’exclusion qui fragilise la démocratie (analyse)

La présidente du Conseil constitutionnel, Chantal Nanaba Camara

Le 8 septembre 2025, le Conseil constitutionnel a invalidé les candidatures de figures majeures de l’opposition, révélant une fracture profonde entre légalité institutionnelle et légitimité politique, et relançant le débat sur l’avenir démocratique ivoirien.

-Le RHDP s'arroge la légalité, Gbagbo et Thiam gagnent la légitimité

Par Parfait Kouacou, PhD

Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne (IRDI)

Pennsylvanie, États-Unis d'Amérique


Abidjan, Côte d’Ivoire, 10 septembre 2025 (crocinfos.net)---Le 8 septembre 2025 restera une date charnière de notre histoire politique. Ce jour-là, le Conseil constitutionnel a exclu Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Affi Nguessan et d'autres figures majeures de l'opposition de l'élection présidentielle de 2025, au terme de motivations si fragiles qu'elles peinent à convaincre le citoyen le plus naïf. L'épisode confirme une dérive devenue structurelle : des institutions façonnées pour valider le fait du prince, non pour garantir l'équité démocratique ; confusion dangereuse entre légalité formelle et légitimité politique.

Des griefs qui défient la raison

Sur le fond, les reproches opposés aux candidats exclus défient la logique élémentaire. À Gbagbo, on reconnaît le droit de fonder et de diriger un parti (droits politiques et civiques) mais on lui dénie celui d'être électeur et éligible ; on lui impute en outre, ainsi qu’à d’autres candidats, des « irrégularités » de parrainage liées à la prolifération de fausses pièces, un dysfonctionnement imputable d'abord à l'État lui-même. Les détenteurs de ces fausses pièces sont en outre autorisés à demeurer sur la liste électorale censée servir à élire un président accepté de tous.

Le candidat dont l’inéligibilité est flagrante est le Président Ouattara—je n’invente rien, je le dis à la suite de Ouraga Obou, Cissé Bacongo et Sansan Kambilé, entre autres. La cécité du juge constitutionnel sur ce fait est plus révélatrice que les arguments de paille contre les opposants.

À Thiam, on reproche son absence de la liste électorale quand l'organe d'enrôlement a failli à sa mission de conduire une opération annuelle en violation de la loi ; à d'autres candidats écartés, on fait des reproches tout aussi légers, alimentant un soupçon légitime de partialité.

Le candidat dont l’inéligibilité est flagrante est le Président Ouattara—je n’invente rien, je le dis à la suite de Ouraga Obou, Cissé Bacongo et Sansan Kambilé, entre autres. La cécité du juge constitutionnel sur ce fait est plus révélatrice que les arguments de paille contre les opposants. Le juriste Souleymane Doumbia dans son essai, « Conseil constitutionnel ivoirien, un juge électoral entre contraintes (2013), avait parfaitement analysé cette mécanique : une « régularisation à posteriori » où le droit maquille des choix politiques déjà arrêtés, au lieu d'éclairer l'action publique. Le paradoxe est saisissant : des acteurs qui, en 2016, affirmaient l'inéligibilité du président sous la nouvelle Constitution cautionnent aujourd'hui l'inverse ; les gardiens du texte fondamental paraissent moins tenus par la norme que par la volonté d'un exécutif sans frein.

Une victoire procédurale arrachée par exclusions sélectives est une victoire à la Pyrrhus : elle affaiblit l'État, installe la défiance et réduit le pouvoir à l'administration d'un clan. En Afrique, Jean-François Bayart a nommé cela « l'instrumentalisation du droit » ; Gretchen Bauer parle de « constitutionnalisme de façade », où l'abondance de textes masque la pénurie de crédibilité — nous y sommes.

Kra Kobenan Kri, qui a étudié le Conseil Constitutionnel ivoirien au Centre de Recherche et d'Etude en Droit et Science Politique (Université Bourgogne) décrit son fonctionnement comme reposant sur « une stratégie des petits pas » — une interprétation restreinte de ses attributions, produisant une jurisprudence peu audacieuse au service du pouvoir exécutif. Cette instrumentalisation grotesque transforme nos institutions en chambre d'enregistrement plutôt qu'en garde-fous démocratiques.

Les leçons oubliées de 2010-2011

Nous avons déjà payé le prix d'une « légalité » sans légitimité : la crise de 2010-2011 et ses milliers de victimes. Les décisions du Conseil constitutionnel de 2010 ne souffraient d’aucune illégalité, mais la légitimité du pouvoir qui en a découlé était contestée. Cette tragédie aurait dû nous enseigner une vérité fondamentale. Le philosophe Allemand Max Weber l'avait théorisée : l'obéissance à la règle ne suffit pas si l'autorité n'est pas reconnue comme juste.

Une victoire procédurale arrachée par exclusions sélectives est une victoire à la Pyrrhus : elle affaiblit l'État, installe la défiance et réduit le pouvoir à l'administration d'un clan. En Afrique, Jean-François Bayart a nommé cela « l'instrumentalisation du droit » ; Gretchen Bauer parle de « constitutionnalisme de façade », où l'abondance de textes masque la pénurie de crédibilité — nous y sommes.

Le contraste avec les vraies démocraties

Le contraste avec d'autres démocraties rend notre impasse encore plus criante. Au moment même où le Conseil constitutionnel verrouillait la présidentielle de 2025 en Côte d'Ivoire, en France, le Premier ministre François Bayrou engageait la responsabilité de son gouvernement devant l'Assemblée nationale afin de chercher une légitimité sans équivoque. Mis en minorité, il a aussitôt présenté sa démission.

L'exclusion arbitraire des candidatures majeures n'est donc pas une simple faute de procédure, mais un acte d'oppression. Et l'oppression qui vient de dirigeants issus du même peuple porte la marque de la trahison.

Là-bas, la légalité se soumet au jugement des représentants du peuple pour gagner — ou perdre — la légitimité. La sanction politique est l'issue normale d'un défaut d'adhésion. Ici, au contraire, on préfère verrouiller la compétition, fabriquer artificiellement une « majorité » sans consentement populaire, et appeler cela démocratie.

Sur notre continent, l'expérience l'a prouvé : les « démocraties de vitrine » s'effondrent tôt ou tard sous la poussée populaire, comme au Burkina Faso ou au Zaïre. L'exclusion arbitraire des candidatures majeures n'est donc pas une simple faute de procédure, mais un acte d'oppression. Et l'oppression qui vient de dirigeants issus du même peuple porte la marque de la trahison.

Frantz Fanon nous avait avertis : la bourgeoisie nationale reproduit souvent les schémas coloniaux, mais en pire. Car il y a quelque chose de plus grave dans l'oppression exercée par des compatriotes que dans celle imposée de l'extérieur : elle brise le lien de confiance et décuple la violence symbolique et psychologique.

Le droit universel à la résistance

Le devoir qui en découle n'est pas la violence, mais la résistance organisée, lucide et non-violente : refus de cautionner une élection tronquée, mobilisation citoyenne pacifique, documentation systématique des abus, saisine des juridictions et des forums internationaux. Car contrairement aux calculs du pouvoir, cette oppression locale attire déjà l'attention et la sympathie de l'opinion internationale, qui observe avec inquiétude notre régression démocratique.

Un peuple opprimé a le droit de se révolter, et cette révolte attire naturellement la sympathie des peuples du monde entier. Les partenaires de la Côte d'Ivoire ne peuvent plus fermer les yeux sur cette instrumentalisation grotesque des institutions. Dans un monde interconnecté, prétendre organiser une élection démocratique en écartant arbitrairement les adversaires que l’on ne peut objectivement battre relève de l'imposture pure et simple.

Les dirigeants actuels doivent choisir : ou bien restaurer l'adhésion en réintégrant les candidatures écartées, en rendant aux institutions leur indépendance et en organisant une compétition inclusive ; ou bien persister dans la coercition juridique, au risque d'ouvrir la voie à une insurrection des consciences dont nul ne maîtrise ni le tempo ni l'issue.

La question n'est pas de savoir si ce moment viendra, mais quand — et dans quelles conditions. Car, s’il y a une chose que la rébellion de 2002 a enseigné aux ivoiriens, c’est le devoir d’exiger aux dirigeants par tous les moyens, une démocratie authentique où tous les citoyens éligibles peuvent concourir sans être exclus avec des artifices.