La Cour Royal de Moosou
À Moossou, la traditionnelle fête de génération s’enlise dans un conflit explosif. La génération N’Nowé, écartée au profit des Noudjou, accuse la préfète de partialité. La cohésion du royaume est menacée.
Grand-Bassam, le 3 juin 2025 (crocinfos.net)---Rien ne laissait présager une telle effervescence dans le paisible royaume de Moossou, dirigé par Sa Majesté Nanan Kanga Assoumou. Pourtant, à quelques jours de la traditionnelle fête de génération, prévue initialement pour le samedi 7 juin 2025, la tension est montée d’un cran, divisant profondément la communauté. En cause : une querelle ouverte entre la génération N’Nowé, officiellement en charge de l’organisation des festivités, et une frange dissidente des Noudjou, dont le mandat a pourtant expiré en mai 2024.
Selon les chefs de la génération N’Nowé, toutes les démarches administratives nécessaires ont été accomplies dans les règles. Un courrier officiel avait été transmis en février 2025, suivi d’une demande formelle de confirmation. Ils rappellent également que la passation de pouvoir a été effectuée en mai 2024, consacrant leur légitimité coutumière. « La tradition est claire : seule la génération en fonction est habilitée à organiser la cérémonie », martèle l’un des chefs N’Nowé. « Nous avons respecté les délais et agi dans le cadre prévu par les us et coutumes. »
Mais cette légitimité est aujourd’hui remise en question par des éléments de la génération sortante, les Noudjou dissidents, qui revendiquent eux aussi la date du 7 juin pour leur propre célébration. Le différend a atteint son paroxysme le 8 avril dernier, lors d'une rencontre avec le corps préfectoral : contre toute attente, une décision a été prise de reporter la fête des N’Nowé au 14 juin et d’attribuer le 7 juin aux Noudjou. Une issue jugée inacceptable par les chefs N’Nowé, qui y voient une rupture avec les fondements mêmes de la tradition locale.
Face à cette décision, la colère gronde. La génération N’Nowé dénonce une injustice flagrante et accuse Mme Sidibé Nassou, préfet de Grand-Bassam, de partialité dans la gestion du dossier. La préfète, jointe par téléphone par le directeur général du quotidien L’Essor Ivoirien, M. Sidi Terha, s’est toutefois défendue de toute ingérence et affirme avoir joué un rôle de médiatrice.
« J’ai exhorté les leaders traditionnels à dialoguer et à trouver une solution consensuelle, tout en insistant sur le respect des us locaux », a-t-elle déclaré. Elle ajoute : « En ma qualité de préfète, j’ai sollicité les rois de Bonoua et d’Ebra pour qu’ils rencontrent les deux camps. À ce jour, je n’ai reçu aucun retour. Lorsque la génération N’Nowé a souhaité organiser sa sortie, et que l’autre camp a tenté de s’y opposer, j’ai fait usage de mon autorité pour assurer le bon déroulement des événements. Tout s’est bien passé. »
Revenant sur la controverse actuelle, Mme Sidibé Nassou se montre ferme : « Je demande aux N’Nowé de laisser leurs aînés célébrer leur sortie le 7 juin, et de tenir la leur le 14 juin. Je ne reviendrai pas sur cette décision. J’assumerai les conséquences. »
Cette querelle met en lumière des problématiques plus profondes : comment concilier les exigences de la tradition avec les réalités administratives ? Quelle place pour la légitimité coutumière dans un État moderne ? Et surtout, comment préserver l’unité d’une communauté quand les symboles identitaires deviennent des objets de discorde ?
À Moossou, les habitants retiennent leur souffle. À quelques jours des festivités, l’heure est à l’incertitude. Beaucoup espèrent une issue apaisée, dans le respect de l’héritage ancestral et des équilibres sociaux. Car au-delà des dates et des mandats, c’est la cohésion du royaume qui est en jeu.
Patrice Kangah