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C R O C I N F O S

[Man frappée par les crues] Voici toute la vérité (De notre correspondant)

[Man frappée par les crues] Voici toute la vérité (De notre correspondant)

Les inondations mettent en lumière urbanisation anarchique et incivisme

À Man, les inondations du 4 septembre révèlent une urbanisation anarchique, l’incivisme des riverains et le laxisme des autorités. Entre habitats en zones inondables et rivières transformées en dépotoirs, la ville paie une insoumission récurrente aux règles.

Man (Côte d’Ivoire), 5 sept. 2025 (crocinfos.net) –La crue des rivières Kô et Doun, consécutive à une pluie torrentielle tombée dans la nuit du 3 au 4 septembre, a transformé des quartiers entiers de Man, dans l’ouest montagneux de la Côte d’Ivoire, en zones sinistrées. Des habitations inondées, des familles déplacées, des biens détruits : les dégâts matériels sont importants. Si aucune perte en vies humaines n’a été enregistrée, le drame met une nouvelle fois en lumière des causes profondes et anciennes, restées sans réponse malgré des alertes répétées.

Les appels n’ont pas été suivis d’effet. Les populations, faute de solutions alternatives et parfois par défiance, ont réinvesti les berges, souvent avec la complaisance silencieuse des autorités locales. Ce retour progressif à l’habitat dans les zones inondables, malgré les avertissements, a contribué à fragiliser davantage la ville.

Les eaux, montées par endroits à plus de trois mètres, ont englouti le pont reliant les quartiers Libreville et Domoraud, noyé les cours en bordure des rivières et contraint des familles à chercher refuge chez des proches. Dans l’immédiat, le maire de Man, Aboubacar Fofana, et le ministre-gouverneur du district autonome des Montagnes, Albert Flindé, ont multiplié les messages de solidarité et les promesses d’assistance. Mais derrière le ballet officiel d’urgence se pose la question des responsabilités et des manquements répétés.

Des avertissements anciens ignorés

Ce n’est pas la première fois que la cuvette manoise se réveille sous les eaux. Il y a quelques années, sous la gouvernance du préfet de région Soro Kayaha Jérôme, une inondation similaire avait déjà endeuillé la ville, provoquant la mort d’un habitant. Le ministre de la Solidarité de l’époque s’était alors déplacé pour soutenir les familles, tandis que les directions régionales de la Construction et de la Solidarité, ainsi que le préfet et le maire, lançaient des campagnes de sensibilisation. L’objectif affiché : convaincre les riverains de quitter les zones à risque situées en bordure des cours d’eau.

Ces appels n’ont pas été suivis d’effet. Les populations, faute de solutions alternatives et parfois par défiance, ont réinvesti les berges, souvent avec la complaisance silencieuse des autorités locales. Ce retour progressif à l’habitat dans les zones inondables, malgré les avertissements, a contribué à fragiliser davantage la ville.

Urbanisation anarchique et démographie galopante

Urbanisation incontrôlée et laxisme des autorités dénoncés. Ph.Dr.

La croissance démographique rapide qu’a connue Man depuis la fin de la crise ivoirienne accentue la pression sur le foncier. Faute d’une politique urbaine claire et d’un contrôle rigoureux, des constructions se multiplient dans des zones à haut risque. Quartiers entiers s’étendent sans plan d’aménagement, ignorant les règles élémentaires d’urbanisme.

À cette urbanisation anarchique s’ajoute l’incivisme des populations. Les rivières Kô et Doun, au lieu d’être protégées, servent de dépotoirs à ciel ouvert. Déchets ménagers, plastiques, débris de chantiers : les eaux se transforment en vecteurs de pollution, accentuant les risques d’obstruction et de débordement.

Un laxisme institutionnel pointé du doigt

Au-delà des comportements individuels, le laxisme des institutions locales est régulièrement dénoncé. L’absence de sanctions effectives contre les constructions illégales et la tolérance des occupations en zones inondables entretiennent un cercle vicieux : les habitants ne craignent pas de voir leurs installations démolies, et les autorités, craignant la contestation sociale, ferment les yeux.

« On retrouve aujourd’hui les mêmes familles sur les mêmes sites, malgré les campagnes de sensibilisation passées », confie un agent administratif sous couvert d’anonymat. « Les consignes existent, mais elles ne sont pas appliquées. »

Une alerte écologique en cours

Au-delà du risque humain, la situation menace désormais l’environnement. Le directeur régional des Eaux et Forêts, le colonel Djan Yapo Évariste, alerte depuis plusieurs années sur la nécessité de reboiser les rives pour stabiliser les sols et limiter l’érosion. Ses initiatives peinent toutefois à s’imposer face à la pression démographique, l’indiscipline et l’absence de relais politiques efficaces.

« Les forêts riveraines disparaissent, les berges s’effondrent, et les rivières se chargent de déchets », explique un écologiste local. « Nous ne sommes plus face à un simple problème d’inondation, mais à la perspective d’un désastre écologique pour toute la région. »

Une ville au bord d’une crise chronique

Man, surnommée la « perle des montagnes », se trouve aujourd’hui confrontée à une crise chronique, à la croisée de plusieurs facteurs : croissance démographique incontrôlée, urbanisation sauvage, incivisme persistant et laxisme institutionnel. L’inondation du 4 septembre n’est pas un accident isolé mais le symptôme d’un système défaillant.

Tant que les mesures de prévention resteront lettre morte, la ville demeurera exposée aux mêmes drames récurrents. Et derrière chaque crue, c’est la même question qui revient : combien de temps encore la cité pourra-t-elle ignorer ses propres vulnérabilités ?


Sosthène Guéi, à Man