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C R O C I N F O S

[BAD sous pression] Colère des communautés africaines face aux ravages de ses projets de développement

[BAD sous pression] Colère des communautés africaines face aux ravages de ses projets de développement

La photo de famille. Ph. Dr.

Alors que la BAD célèbre bientôt sa 60e assemblée, des voix s’élèvent contre les impacts dévastateurs de ses projets. Communautés locales et ONG dénoncent un développement imposé, destructeur et profondément inégalitaire.

Abidjan, le 24 mai 2025 (crocinfos.net)---À l’approche de la 60e Assemblée Annuelle du Conseil des gouverneurs de la Banque Africaine de Développement (BAD) et de la 51e Assemblée du Fonds africain de développement (FAD), prévues à Abidjan du 26 au 30 mai 2025, un vent de contestation souffle en coulisses. En effet, en marge de ces rencontres officielles, un contre-espace s’est constitué. Il a rassemblé pendant trois jours des représentants de communautés locales directement impactées par les projets financés par la BAD, ainsi que des organisations de la société civile et des mouvements sociaux venus de plusieurs pays africains. Leur objectif est clair : dénoncer le modèle de développement capitaliste et néocolonial que promeut la BAD, et mettre en lumière les conséquences humaines, sociales, économiques et environnementales souvent occultées de ses interventions.


Un modèle de développement contesté


La Banque Africaine de Développement, institution phare du financement du développement sur le continent, est aujourd’hui vivement critiquée pour son incapacité à répondre aux véritables besoins des populations africaines. La récente conférence de l’Union Africaine sur la dette a souligné l’échec flagrant des Institutions Financières Internationales (IFI), dont la BAD fait partie, à impulser un développement durable et équitable. En particulier, l’orientation de l’agriculture vers l’exportation, au profit des grandes entreprises d’agrobusiness, a des effets dévastateurs : elle détruit l’agriculture vivrière traditionnelle, appauvrit les paysans, et accroît la dépendance alimentaire des États africains, fragilisant ainsi leur souveraineté alimentaire.

Cette dynamique va à l’encontre des discours officiels qui célèbrent les succès de la BAD. En réalité, les populations locales vivent une tout autre expérience, marquée par la perte de leurs terres, la destruction de leurs moyens de subsistance, et une marginalisation croissante. Ces contradictions soulignent la nécessité de repenser en profondeur les stratégies de développement mises en œuvre sur le continent.


Des projets emblématiques aux impacts lourds et multiples


Les critiques ciblent plusieurs projets emblématiques financés par la BAD, qui illustrent les dérives du modèle actuel. Parmi eux, les barrages hydroélectriques de Singrobo en Côte d’Ivoire, Kandadji au Niger, Bomboré au Burkina Faso, Nachtigal au Cameroun, ainsi que les infrastructures routières et les agropoles agricoles dans plusieurs pays. Ces projets, présentés comme des leviers de croissance et de modernisation, ont en réalité des conséquences désastreuses sur les communautés locales et l’environnement.

La dépossession massive des terres agricoles, souvent sans consentement véritable, engendre des déplacements forcés de populations. La militarisation accrue des zones concernées, censée garantir la sécurité des chantiers, contribue à une atmosphère de tension et de violence. Par ailleurs, la destruction des écosystèmes, la pollution des sols et de l’eau, ainsi que la perte d’accès aux ressources naturelles essentielles, aggravent la précarité des populations. Ces impacts s’inscrivent dans un contexte où les économies africaines, déjà fragilisées par une dette croissante, peinent à générer des emplois et des opportunités économiques, notamment pour les femmes et les jeunes, pourtant premiers concernés par la nécessité d’un développement inclusif.


Les femmes, premières victimes d’un développement inégalitaire


Le communiqué met en lumière la situation particulièrement préoccupante des femmes, qui subissent de plein fouet les effets pervers du « mal-développement ». En milieu rural comme en zone périurbaine, elles assument la charge principale de la production alimentaire, de la gestion de l’eau et du bois de chauffage, ainsi que des soins aux membres de la famille. Ces responsabilités, déjà lourdes, sont exacerbées par la dégradation des ressources naturelles et la perte des terres.

Daleba Nahounou, Coordonnateur de Programme et chargé de la Justice Sociale à l’ONG JVE-Côte d’Ivoire, souligne : « Les impacts des projets dits de développement de la BAD sur les femmes et les communautés à travers l’Afrique sont énormes. Des terres arrachées, des populations déplacées, des fleuves et des forêts détruites. La promesse de prospérité et de bien-être de la BAD n’est qu’un leurre ». Cette situation traduit une profonde injustice sociale, où les femmes, malgré leur rôle central dans la survie des communautés, sont exclues des bénéfices du développement et voient leurs droits fondamentaux bafoués.


Violations des droits fondamentaux et tensions sociales


La visite de terrain organisée à Singrobo a permis de constater concrètement les abus subis par les populations locales. Le non-respect du droit au consentement libre, informé et préalable (CLIP) est manifeste, avec des processus de compensation biaisés qui fragilisent la cohésion sociale et nourrissent les conflits. Les habitants vivent dans la peur permanente que leurs habitations, ainsi que les infrastructures essentielles telles que les centres de santé et les écoles, s’effondrent sous l’effet des explosions de dynamite utilisées sur le chantier.

Reine Baimey, de l’ONG panafricaine écoféministe WoMin Alliance, affirme avec force : « Nous contestons les affirmations de la BAD selon lesquelles elle représente les intérêts des Africains, promeut le développement et réduit la pauvreté. Notre travail avec nos alliés et les communautés à travers le continent nous montre que la BAD promeut ce que nous appelons le mal-développement ». Cette dénonciation souligne l’écart entre la communication officielle de la Banque et la réalité vécue par les populations.


Vers une remise en question nécessaire et urgente


Ces critiques s’inscrivent dans un contexte où la Banque Africaine de Développement est appelée à repenser ses stratégies et ses priorités. Les enjeux sont majeurs : comment financer un développement qui soit véritablement inclusif, respectueux des droits humains et des écosystèmes, et qui réponde aux aspirations des populations africaines ? Les analyses récentes insistent sur l’importance de renforcer le capital humain, d’adopter des technologies adaptées, et de promouvoir une inclusion sociale réelle.

Pourtant, les voix des communautés affectées, relayées par les organisations de la société civile, appellent à une transformation profonde des pratiques. Elles réclament que les projets financés ne détruisent plus les moyens de subsistance, ne creusent plus les inégalités, et garantissent le respect des droits fondamentaux, notamment celui au consentement préalable.

Alors que les assemblées annuelles de la BAD s’ouvrent à Abidjan, ces revendications constituent un appel pressant à un débat sincère et ouvert sur le rôle réel de la Banque dans le développement du continent. Elles invitent à imaginer un modèle alternatif, centré sur les besoins des peuples africains, la justice sociale, et la durabilité environnementale. Ce défi est crucial pour que l’Afrique puisse enfin tirer pleinement parti de son capital humain, naturel et économique au service d’un avenir prospère et équitable.


François M'BRA II, Correspondant Région de Gbêkê