François M'BRA II], une écriture visuelle entre journalisme et littérature
Dans cette étude critique, Dr Oulaï Koatéhi Natem explore l'hypotypose dans l'œuvre "Au-delà de l’épreuve" de François M'BRA II. Il analyse comment l’auteur transforme la description littéraire en une expérience visuelle, abordant ainsi des enjeux esthétiques et sociaux.
ETUDE CRITIQUE
Déconstruction cinémato-littéraire de l’hypotypose dans un extrait de l’œuvre "Au-delà de l’épreuve" du journaliste-écrivain ivoirien, François M'BRA II,
Enjeu de l’étude
Il s’agira de comprendre, à travers une étude critique relativement succincte, comment François M'BRA II transforme la description littéraire en une expérience visuelle, qui déplace les limites entre texte, image et confusions de sens, pour fédérer des effets de sens qui se projettent dans le développement durable.
I-PARATEXTE CRITIQUE
1-Note sur l’auteur et son œuvre
N' Guessan François, de son vrai nom, est un Journaliste de formation. Fin érudit de l'écriture journalistique, François M'BRA II est l'une des figures majeures des médias en Côte d'Ivoire et un expert dont la compétence est âprement sollicitée dans le secteur de la communication dans de nombreux pays africains. Consultant formateur, il est membre de l'Union des Journalistes de Bouaké (UJB), de l'Organisation Nationale des Journalistes d'Investigation de Côte d'Ivoire ( ONJ-CI) , du Réseau des Journalistes d'Investigation du Nord de la Côte d'Ivoire ( REJIN-CI) ainsi que de plusieurs associations internationales.
Je commence cette étude critique par ce confrère, car il m’a fait l’honneur de me convier à la dédicace de cette œuvre où j’ai, dans les échanges, abordé la question de l’hypotypose, un aspect fondamental qui caractérise son style d’écriture.
"Au-delà de l’épreuve" est sa première œuvre narrative (roman) parue en 2024 à l’édition Papyrus. L’œuvre relate la rude mise à l’épreuve d’un amour fusionnel entre deux jeunes gens, N'djabian et la belle Enoubla.
2-Qu’est-ce que l’hypotypose ?
L'hypotypose est une figure de style. Elle consiste en une description très vivante et détaillée d'une scène, qui amène le lecteur ou l'auditeur à avoir l'impression de vivre cette scène sous ses yeux. Elle utilise de nombreux procédés qui rendent la description frappante.
II- CORPUS DE L'ÉCRITURE
« La scène est déchirante, des personnes épuisées se retrouvent à même le sol pour trouver un semblant de repos, tandis que d’autres s’efforcent de rester débout, luttant contre la fatigue et la frustration. Nous sommes au CHU d’Ivoirekro, au centre du pays. A l’entrée du service Gynéco obstétricale, un spectacle encore plus troublant se dévoile. Des patients, des parents inquiets et le personnel médical cohabitent avec des poubelles débordantes de tas d’ordures. L’environnement est insalubre et désolant. Les moustiques porteurs de maladies, tournoient en essaim, agressant impitoyablement les visiteurs déjà affaiblis par l’angoisse. A côté, des sanglots étouffés d’un jeune venu accompagner sa bien-aimée résonnent dans l’atmosphère pesante. Le travail a eu raison d’elle, plongeant cette âme dans un sommeil sans fin. Il y a maintenant six longues heures que N’djabian, assis sur un banc délabré, n’a pas eu les nouvelles d’Enoubla sa bien-aimée. Chaque instant qui s’écoule sans nouvelle est un supplice et l’incertitude pèse sur ses épaules comme un fardeau insurmontable ».
François M’BRA II,"Au-delà de l’épreuve", Edition papyrus, pp 31-32
III- ANALYSE ET EVALUATION CRITIQUE
1-Esthétique de la visualisation et dynamique de l’hypotypose
La description porte sur des détails éloquents comme le narrateur lui-même le dit « la scène est déchirante ». Des opérateurs de figurativités pertinents nous le démontrent. D’abord les opérateurs visuels : « des personnes épuisées », « à même le sol », « poubelles débordantes de tas d’ordures », « moustiques porteurs de maladies, tournoient en essaim », « un banc délabré » et « l’environnement est insalubre et désolant ».
Ensuite suivent les opérateurs auditifs « des sanglots étouffés », « résonnent dans l’atmosphère pesante » puis les opérateurs symboliques. Par exemple « le travail a eu raison d’elle, plongeant cette âme dans un sommeil sans fin » euphémisme figuratif de la mort, qui humanise et poétise la tragédie. Il y a également « l’incertitude pèse sur ses épaules comme un fardeau insurmontable » comparaison évoquant de la douleur morale. « chaque instant est un supplice » hyperbole de la souffrance psychologique, opérateur d’intensité figurative.
Ces opérateurs bien que variés en fonction de leur nature, laissent transparaitre la puissance d’évocation des détails et misent sur le caractère poignant de cette description en milieu hospitalier, toute chose qui met en relief une dextérité dans la composition textuelle. Mais il n’y a pas que cela.
2-Pan d'une déconstruction par binarités instables
La déconstruction montre comment le texte est habité par des oppositions que le narrateur met en tension sans jamais les résoudre. Nous prenons par exemple les binarités suivantes:
La Vie / la mort : la bien-aimée “plongée dans un sommeil sans fin”, mais le texte maintient le suspens du deuil ;
L'hygiène / l'insalubrité : l’hôpital, lieu de soin, devient foyer de maladies ;
L'espoir / le désespoir : N’djabian attend, mais l’attente elle-même devient torture.
Les sens de ce contraste se verront dans l'effet de sens.
2-De la représentation mimétique à la transposition iconique
Notre focalisateur, narrateur dont l’œil sert de vision ici, s’adonne à un mouvement de plans visuels comme au cinéma. Son œil, telle une caméra, progresse d’un champ à un autre, notamment à partir d’un plan d’ensemble pour atteindre un plan moyen et finir avec un gros plan. Cette progression cinématographique de l’hypotypose nous plonge dans sa transposition iconique. L’ordre de la chronologie descriptive du narrateur part du général au particulier.
Plan d’ensemble (le général). Ce plan démarre avec « La scène est déchirante…Nous sommes au CHU d’Ivoirekro, au centre du pays » La macro structure « CHU d’Ivoirekro » est un macro espace. Le narrateur y présente l’atmosphère globale avant de nous inviter à le suivre dans le deuxième décor, le plan moyen.
Le plan moyen (un service du CHU). Ici, nous suivons le narrateur qui entre au « service Gynéco obstétricale » où il promène son regard sur la promiscuité du cadre et les insuffisances gênantes de ce service. Après un tour d’horizon dans ce service, le narrateur va particulièrement se focaliser sur un personnage central, N’djabian. Il développera sur ce personnage le gros plan (plan rapproché.)
Le gros plan est une focalisation interne. N’djabian assis sur un banc délabré est au centre de l’attention du narrateur qui va s’attarder sur lui et les sentiments qui l’habitent. Les phrases « Il y a maintenant six longues heures que N’djabian ……fardeau insurmontable » témoignent bien cela.
La progression en plans cinématographiques pour vivifier sa description et emporter le lecteur avec lui, fait de notre narrateur (auteur) un maillon incontournable dans la construction des effets de sens de cette description.
IV- EFFETS DE SENS
1- Confusion de sens dans l’effet de sens de la symbolique de l’hôpital
« Des patients, des parents inquiets et le personnel médical cohabitent avec des poubelles débordantes de tas d’ordures » cette phrase à elle seule retient tout le sens de la description. Cette visualité immédiate, presque cinématographique, est le lieu même où se joue la déconstruction. La déchirure initiale (“la scène est déchirante”) n’est pas que thématique, elle est structurelle. Elle laisse apparaitre le non-dit, le sens caché de ce qu’il montre.
L’hôpital est devenu le laboratoire de distribution « volontaire » des maladies. L’indolence, l’indifférence et la négligence absolue du personnel face à la situation. Des patients en état de santé fragile, y voient leur situation s’empirer. L’hôpital c’est désormais la mort et non la santé! Un choc psychologique qui fragilise la compréhension et qui crée un conflit de sens sur le sens réel d’un hôpital.
2-Une quête du développement durable
La scène, dans cet extrait, met en lumière les défis auxquels est confronté le système de santé dans nos Etats. Les ressources sont clairement insuffisantes pour répondre aux besoins de la population. Le personnel médical peine à offrir les soins et le réconfort nécessaire. La vétusté des installations, le manque d’hygiène et le désordre ambiant témoigne d’un système en crise incapable de faire face à l’afflux des patients. Un constat qui pourrait donc s’apparenter à une interpellation faite par l’auteur, le journaliste François M’BRA II, qui certainement appelle les pouvoirs publics à se pencher sur les tristes réalités vécues dans nos hôpitaux. L’amélioration de ces insuffisances et dysfonctionnements pourra sans nul doute contribuer au renforcement du système de santé publique et déboucher sur l’épanouissement des populations, dans la dynamique du développement durable.
3-Une transposition du journalisme en littérature ?
Nous pouvons évoquer l’hypothèse que François M’BRA II transposerait « par reflexe » son métier de journaliste dans l’écriture littéraire. Une étude psychocritique plus élaborée pourra le confirmer ou l’infirmer. Toutefois, il est à souligner que le journalisme, c’est fournir de l’information avec des détails captivants : c’est donc de l’hypotypose ! Et François M’BRA II s’est efforcé à dépeindre les tragédies vécues dans les hôpitaux à la fois d’un œil journalistique et d'un œil littéraire, une complémentarité utile pour le bonheur de la société !
Cependant pour nous, ce texte n’est pas seulement une peinture chaotique du système de santé, mais bien plus. Il s'agit, tout simplement, d'un discours sur la ruine du monde !
Domaines de l’étude: stylistique, narratologie, cinéma, psychocritique, éthique et post-structuralisme.
Par Dr Oulaï Koatéhi Natem, spécialiste en théories littéraires.