[Côte d’Ivoire] Intimidations et emprisonnement des journalistes : ce qu’il faut retenir
-“Le pays va mal”, dixit Tiken Jah
Ils ne sont pas militaires, ni policiers encore moins des gendarmes. Et pourtant ils ont passés les nuits du dimanche 12 au lundi et du lundi 13 au mardi 14 février 2017, en détention à la gendarmerie d’Agban. Le plus grand camp de gendarmerie de Côte d’Ivoire. Eux, ce sont six journalistes. Tenez-vous bien, ces journalistes, dont 3 directeurs de publication n’y étaient pas en mission encore moins en reportage, mais bien en en détention.
Leur crime, avoir fait leur travail. Celui d’informer au quotidien leurs lecteurs sur le dernier soulèvement des militaires à Adiaké au Sud-Est de la Côte d’Ivoire. Au nombre de ceux-ci, les Ivoiriens, dont le quotidien rime, désormais avec des coups de feu depuis le début du mois de janvier.
Pas des coups de feu de bandits, encore moins de policiers à la poursuite de malfrats. Mais des bruits de bottes de la ‘’grande muette’’, dont la mission est de sécuriser le pays en cas d’attaque. N’est-ce pas révoltant de voir ceux dont la place est dans les casernes, envahir les rues des différentes localités du pays pour terroriser les populations, sans oublier des pertes en vie humaine (à Yamoussoukro) et des blessés au sein de la population civile?
C’est justement, l’escalade de l’incivisme doublé d’indiscipline de ces militaires, traité par ces journalistes sur le dernier soulèvement cette fois-ci, de la Force spéciale qui leur a valu d’être arrêtés. Pour diffusion de « fausses informations et incité à la révolte des soldats», selon le procureur.
Les journalistes Coulibaly Vamara, directeur de publication de ‘’Soir Info’’ et de ‘’L’Inter ‘’, Yacouba Gbané, directeur de publication de ‘’Le Temps’’ et ‘’LG Infos’’, Bamba Franck Mamadou, directeur de publication de ‘’Notre Voie’’, Hamadou Ziao, rédacteur en chef de ‘’L’Inter’’, Ferdinand Bailly, journaliste à ‘’Le Temps’’ et Jean Bédel Gnago, correspondant de ‘’Soir Info’’ à Aboisso ont été libérés mardi soir au Tribunal d’Abidjan après avoir été entendus par un juge d’instruction. Mais ils sont toujours inculpés.
Quand le pouvoir se fait peur
C’est un secret de polichinelle. La Côte d’Ivoire va mal, voire très mal. Donnantt, ainsi raison au chanteur reggae, Tiken Jah Fakoly qui, très tôt a eu raison : “Le pays va mal.” Ce n’est pas l’exécutif ivoirien qui dira le contraire. Lui qui depuis le début de l’année en cours est contraint de se détourner de sa mission, celle d’œuvrer pour le développement du pays. Des revendications intempestives, aussi bien au sein des soldats que des différentes couches socio- professionnelles ont pourri l’environnement sociopolitique installant le pays dans une situation d’incertitude. Cela est su de tous. Sauf des tenants actuels du pouvoir idéologique d’État qui veulent pour des raisons qui leur sont propres cacher le soleil avec la main.
Est-ce un crime de lèse- majesté de dire que les soldats issus de l’unité des “ Forces spéciales” (sic), à l’instar de leurs frères d’armes qui se sont soulevés pour réclamer des primes ont été pris en compte? Ou encore, est-ce un crime de lèse-majesté de dire que la boîte de pandore étant ouverte, tout le monde veut se servir à satiété surtout ceux qui ont des moyens de pression comme les militaires qui ont des armes?
Malheureusement, c’est cette vérité que les autorités d’Abidjan refusent d’accepter. Et pourtant, elle saute aux yeux. Alors même que les populations ivoiriennes croupissent sous le poids de la paupérisation et que l’insécurité grandissante a pignon sur rue, et ce en dépit de la croissance à deux chiffres( sic), des milliards de francs sont distribués à des soldats( sic) qui se sont détournés de leur mission, celle de protéger le pays et ses citoyens.
Du risque d’un dérapage totalitaire
Au regard des derniers développements de l’actualité, il y a risque d’un basculement dans le totalitarisme, tant le régime d’Abidjan s’est installé dans une logique de phobie de la critique. Tant le même régime est devenu frileux. L’on se souvient qu’alors même que le gouvernement s’est empressé à satisfaire les soldats mutins, le même gouvernement est passé par l’intimidation face aux revendications des fonctionnaires et agents de l’État qui comme les militaires ne réclamaient que de meilleures conditions de vie et de travail. La suite est connue de tous. Plutôt que de trouver une issue définitive et heureuse aux préoccupations des fonctionnaires et agents de l’État, ce sont au contraire des promesses qui ont été faites, la grève a été « suspendue ». Autant dire que sur ce dossier, le feu couve sous la cendre.
De la mutinerie des “Forces spéciales” (sic)
Dernier rempart de la sécurité du pays et du président de la République, cette unité s’est invitée dans les revendications de primes et autres droits. Évidemment, cette situation a suscité des interrogations et commentaires, les uns aussi passionnés que les autres.
Les uns s’expliquant difficilement que ceux-là même qui incarnent la loyauté absolue parce que dernier bouclier du régime et de son président, puissent entrer dans la danse des revendications, les autres estimant que cela témoigne de « la fébrilité » et de « la déliquescence » du régime.
Il était de bons alois de tirer la sonnette d’alarme pour prévenir d’éventuels mouvements qui pourraient mettre à mal la stabilité du pays. C’est d’ailleurs, ce que les journalistes ivoiriens actuellement inculpés ont fait. Rien d’autre. Et cela mérite d’être su de tous. En décidant d’une part d’embastiller la presse, considérée à juste titre comme le 4ème pouvoir et d’autre part de laisser libre cours aux agissements anti- républicain des hommes en armes au détriment des civils, les autorités d’Abidjan ont décidé d’emprunter le sinueux chemin du totalitarisme qui consiste à bâillonner le peuple. En d’autres termes de tuer la démocratie.
Le régime du “ Vivre Ensemble” aurait-il perdu sa sérénité ? Ou encore, est-ce le chant du cygne? Rien, n’est moins sûr. Toujours, est- il que l’invitation, à tout le moins inélégante de la justice dans ce débat interpelle et inquiète quant à la sérénité du pouvoir.
EKB
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